24- Réalité affectée
Le lendemain matin, mon réveil sonne. Il est six heures quarante. Mes doigts tâtonnent, trouvent le bouton et le pressent. Il n'y a plus aucun son. Aucun bruit ne vient troubler l'obscurité dans laquelle est plongée ma chambre.
Je suis prise d'une sensation de vide. Je ne ressens rien. Sur l'instant je ne pense à rien. Mon regard perdu dans le noir ne bouge pas. Reste fixe. J'ai l'étrange sensation d'être morte. Depuis quelques jours, je ne me reconnais plus, mais là, au milieu de mes draps, je redeviens celle que j'étais il y a un moment. Renfermée, chassant toute émotion pouvant me blesser.
Je n'ai pas rêvé cette nuit non plus.
Un mot se pose sur mes lèvres et mes pensées ainsi que mes sentiments reviennent à la charge.
- Gwenaëlle.
~
Je réfléchis, la tête appuyée contre la vitre du bus. Carla vient de m'envoyer un message : elle sèche. J'ai beau aimer énormément ma meilleure amie, elle m'énerve. C'est toute seule que je vais encore passer ma journée. Son père, à Carla, est mort quand elle était petite, et ses rapports avec sa mère sont plutôt compliqués. « Inexistants » est le mot exact, en fait. Elle a d'assez bonnes notes mais sèche assez régulièrement les cours, bien souvent pour trainer en ville. Sa mère le sait et s'en moque du moment qu'elle ramène de bons bulletins. Mais moi je ne suis pas d'accord, elle va finir par mal tourner, je le sens de temps en temps. Elle a beau être perpétuellement souriante et avoir pas mal d'amis, elle se sent assez seule au fond.
Un peu comme moi aujourd'hui.
Arrivée au lycée, je me dirige d'un pas machinal vers mon casier. Je l'ouvre en grand et y glisse les cahiers de mes cours de l'après-midi. Je le referme, mon cadenas aussi. Je fais volte-face, un peu trop brusquement peut-être : je vois les murs tanguer. Je vois aussi le visage d'Anaïs, une jeune fille aux cheveux noirs - toujours réunis en queue de cheval - et aux joues rondes, elle est un peu plus petite que moi. Elle est tout près de mon propre visage. Elle me regarde étrangement.
- Tania.
Ça résonne à l'intérieur de mon crâne.
- Tu saignes du nez.
Ma main s'approche de mon visage, touche ma lèvre supérieure. Puis je vois mes doigts tachés d'une substance rouge carmin. Du sang ? Oui du sang. C'est du sang. Il faut que je rentre chez moi...
Mes pensées déraillent. Du brouillard vient perturber ma vision et je tombe à genoux, soudain abandonnée par mes jambes.
Que se passe-t-il ? Je me sens très fatiguée...
Anaïs s'est agenouillée face à moi, je vois cette fois dans ses yeux sombres une vive inquiétude, elle pose ses mains sur mes épaules, et je frissonne sous la pression de ses doigts contre le haut de mes bras. Elle lance à quelqu'un derrière elle :
- Va chercher un surveillant putain. Merde, tu vois pas qu'elle va pas bien ? Jonathan bordel ! J'te cause !
En entendant ce prénom, je souris idiotement, je revois la ridicule imitation que Carla à fait de lui... hier. C'était hier ? Ou avant-hier ? Ce matin ? Je ne sais plus. Il est quelle heure ? Mon sourire s'efface.
Soudain ma conscience m'abandonne et je sens mon corps, mou, tomber vers l'avant-dans les bras de... C'est qui déjà ?
Un instant plus tard, mes paupières s'ouvrent, et se referment aussitôt. Ma gorge fait un bruit, s'approchant plus du râle que du gémissement et mes lèvres s'étirent en une longue grimace.
- Enfin réveillée Miss ?
La voix d'Anaïs résonne de nouveau contre mes tympans. En ouvrant enfin les yeux, je me fais agresser par la lumière du soleil qui passe à travers les larges fenêtres de l'infirmerie aux murs blancs et mauves. Je suis allongée sur un lit. À part elle et moi, il n'y a que des armoires à pharmacie et le bureau de l'infirmière de notre lycée dans la pièce.
- Pas si fort... articulé-je.
- Ouais ouais... Bordel que s'est-il passé ?
Je revois Anaïs en primaire, qui disait déjà plein de gros mots à tort et à travers, et je prends conscience que je la connais depuis la maternelle mais que nous n'avions jamais fait connaissance plus que ça.
- Je n'en sais pas plus que toi.
J'en savais plus qu'elle.
- Et merde.
Oui, son vocabulaire se limite à « merde », « bordel » et « putain ». Elle se lève de la chaise sur laquelle elle était assise et fait les cent pas. Il ne lui faut pas plus de dix secondes pour qu'elle revienne près du lit et qu'elle croise les bras en me fixant.
- Quelle heure est-t-il ? lui demandé-je faiblement.
Elle jette un rapide coup d'œil à son poignet et m'annonce qu'il est presque midi. Je soupire.
- C'est Carla qui ne va pas être contente... ajoute-t-elle.
- Carla ? Mais aujourd'hui elle... elle n'est pas là.
- Si si, comme on n'arrivait pas à joindre tes parents, j'ai proposé qu'on l'appelle elle, comme je sais que c'est ta meilleure amie, peut-être qu'elle savait pourquoi ils ne répondaient pas. Quand elle a su que tu t'étais évanouie, elle a oublié pourquoi on l'avait appelée et est venue en cours. Merde, c'est un truc de dingue ! T'es malade ?
- Je n'en sais rien ! m'énervé-je. Où est Carla alors ?
- Du calme Miss, elle est restée avec toi toute la matinée à l'infirmerie. Elle devait aller aux toilettes mais ne voulait pas y aller au cas où tu te réveillerais alors qu'elle était partie.
- Et donc ?
- Et donc elle vient de partir.
- Aux toilettes ?
- Oui aux toilettes patate ! Merde tu dois vraiment être fatiguée toi... Elle m'a demandé de te surveiller en attendant. Moi j'étais en cours, faut pas rêver, on ne m'a pas laissée rester. C'est ma pause du midi alors je suis revenue prendre de tes nouvelles. Une chance que j'étais là, sinon, sa vessie aurait « explosé ». D'après elle.
Sur ces mots, la furie qui me sert de meilleure amie entre en trombe dans la pièce.
- Alors, elle s'est réveillée ?!
Elle remarque mes yeux ouverts et s'approche du lit en se plaignant :
- Tania ! T'aurais pu attendre que je sois là pour te réveiller ! Crotte, tu n'as vraiment pas le sens du timing.
En voyant Carla et Anaïs me fixant comme ça, côte à côte, je me dis qu'elle se ressemblent vachement. Mentalement j'entends.
Que s'est-il passé ? Je n'en sais rien. Mais je sais que c'est encore lié à ma sœur.
J'ai entendu sa voix m'appeler lorsque je me suis évanouie...
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