22- Tant de choses

J'entends Corwin arriver derrière moi. Je n'ai pas le temps de prononcer le moindre mot, qu'il me pousse l'épaule pour passer et se précipite vers Gwenaëlle pour la serrer dans ses bras. Elle lâche son panier et lui rend aussitôt son étreinte. Elle me sourit, par dessus de son épaule. Je souris, moi aussi, mais ne m'avance pas. Ce moment appartient à Corwin.

Ils se détachent l'un de l'autre au bout de quelques secondes, et mon ami pose ses mains tremblantes sur les joues de sa sœur.

- C'est toi ? C'est bien toi ? Tu es réelle ?

- Bien sûr.

Gwen garde son calme. Elle. Corwin a les larmes aux yeux et la regarde comme si elle allait disparaitre d'une minute à l'autre. Ce qui, théoriquement, peut arriver. Il nous regarde alternativement, un sourire sincère sur le visage. Il n'arrive même pas à pleurer tant il est envahi par la joie. Ce moment doit tout simplement être magique.

Je ne peux m'empêcher de rester pessimiste. Gwenaëlle est morte, quoi que l'on fasse. Même si elle se tient juste en face de moi, j'ai l'impression qu'elle se trouve à des années lumière de mon cœur.

Je m'avance enfin vers elle, et la prends aussi dans mes bras, et je dois me forcer pour ne pas pleurer. Je la lâche et détaille le visage si serein de Gwenaëlle. Elle me ressemble vraiment trait pour trait, c'est fou à quel point nous sommes similaires ! Si j'avais son âge, là tout de suite, Corwin ne saurait sûrement pas nous différencier.

Je tends vers elle mon poing, dans lequel se trouve toujours le petit papier, et elle pose sa main fragile dessus.

Je m'apprête à parler, mais elle me sourit chaleureusement.

Je me tais.

- Nous sommes enfin réunis.

Cette simple phrase suffit à mes larmes pour se libérer de mon emprise.

Corwin parle à son tour.

- Mais comment est-ce possible ? On rêve ou c'est la réalité ?

- Rêve ? Pourquoi rêveriez vous ? Avez-vous l'impression de rêver ?

Nous hochons tous les deux négativement la tête.

- Il n'a jamais été question de rêve. Je suis sincèrement désolée de vous avoir laissés comme ça tous les deux sans les réponses que vous attendiez. Moi non plus je ne comprenais pas tout ça.

Elle continue de nous sourire.

- Vous êtes les personnes à qui je tiens le plus, malgré le fait que toi, Tania, je ne te connaisse pas tant que ça. Si seulement j'avais pu grandir avec toi...

- Mais Gwen, tu n'aurais jamais connu Corwin.

- C'est vrai... Tu as raison. C'est vraiment dommage que nous ne soyons pas tous les trois du même monde...

Mon ami et moi nous regardons. Deux mondes ? C'est donc vrai ?

Soudain, la forêt qui nous entoure se transforme en champs colorés. Moi et mon ami nous relevons, surpris. Gwen, elle, a l'air de trouver ça tout à fait normal. Sa robe blanche est légèrement secouée par une brise, tout comme ses cheveux. Elle nous tourne le dos et se met à marcher, Corwin et moi la suivons.

- Tania, je suis née dans ton monde, ça, tu le sais. Je suis morte dans les bras de papa... Je ne comprends toujours pas pourquoi et comment je suis restée consciente après cela. Ma « conscience », n'avait pas de corps, c'était douloureux. Je voyageais de paysages glacés en paysages glacés. Il y avait beaucoup de créatures effrayantes. J'avais peur... J'ignorais tout.

Elle s'arrête un instant et penche la tête en arrière.

- Mais maintenant je comprends tout.

J'hésite un instant à parler, puis je lui demande :

- Pourrais-tu nous expliquer alors ?

- Je ne sais pas si c'est le bon moment...

Elle laisse retomber sa tête, et Corwin et moi échangeons un regard inquiet.

- Désolée, vous deux. Vous allez vous réveiller.

Ce sont les derniers mots que j'entends avant d'ouvrir les yeux. Je tourne doucement la tête vers mon réveil et déchiffre l'heure. Il est huit heure vingt-trois ! Mon cœur fait un bond et je me lève laborieusement. Une fois debout, cela me frappe : nous sommes dimanche. C'est pour cela que mon réveil n'a pas sonné.

Ouf !

Je me laisse alors tomber sur mon matelas. J'avais oublié de fermer mes stores, la veille, et la fenêtre filtre une douce lumière orangée. C'est agréable.

Je réfléchis. Je crois que cela fait un peu plus d'une semaine que tout dans mon quotidien a été chamboulé. Ça a commencé avec ce rêve, où j'ai vu mon père se planter une dague dans la poitrine. Ou du moins, c'est le dernier qui était à peu près normal. Après, il s'est passé tant de choses...Trop de chose.

Soudain, cela me frappe : mes parents ! Je ne leur ai pas parlé depuis que... Je devrais réagir comment ? Peut-être leur parler, m'excuser ? Tout ça doit être dur pour eux également... D'autant plus qu'ils n'ont aucune idée de ce que je vis, ils ne savent pas que j'ai pu revoir Gwen, que j'ai pu lui parler. Moi je sais qu'elle n'est pas totalement morte même si j'ignore totalement comme c'est possible. Mais une part de moi veut qu'ils restent totalement en dehors de ça. Je pense qu'ils ne comprendraient pas... Et qu'ils seraient encore plus abattus : ils ont déjà fait leur deuil, vaut mieux ne pas rouvrir la plaie.

Je me suis toujours bien entendue avec mes parents. Mais je ne leur parle pas beaucoup de ma vie privée. Au final tout ce qu'ils savent sur moi, c'est que j'ai une meilleure amie, Carla (ils ne savent pas que c'est ma seule amie), que j'ai de bonnes notes, et que je suis appréciée par les professeurs malgré le fait que je sois un peu timide en cours. À aucun moment ils ne se douteraient que je suis très renfermée, que je ne parle qu'à Carla. Et que je vois ma sœur décédée pendant la nuit.

Je ne sais pas combien de temps je passe à penser, comme ça, à tant de choses, allongée en travers de mon lit, le visage zébré par la douce lueur du soleil, les cheveux en bataille, le regard fixant un point invisible de mon plafond ; mais je sais que je m'assoupis et que quand je rouvre les yeux il est tout juste dix heures et que je ne me souviens pas avoir rêvé.

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