15- Pluie

Elle rabaisse la tête.

- Ho.

- Oui, oh.

Elle continue de fixer le cadre et je m'impatiente :

- J'attends !

- Je... j'ai...

Elle prend d'une main tremblante le cliché.

- C'est vrai que tu mérites des explications...

- J'espère bien les entendre, et vite ! Parce que je suppose que je suis un de ces deux bébés ?!

Je crie presque. À croire que je suis en train d'engueuler ma mère. Elle ne passe pas par quatre chemins et me déballe ses explications :

- Je... J'étais enceinte de vraies jumelles. La grossesse s'est passée à merveille, vous vous portiez bien. L'accouchement s'est lui aussi bien déroulé. Mais... Mais à peine quelques heures après la naissance de vous deux, ta sœur a fait un arrêt cardiaque... Une petite malformation du cœur, nous l'avons appris juste après...

Ses yeux se remplissent de larmes au fur et à mesure qu'elle parle. Elle me fait penser à Corwin, qui me raconte la disparition de sa sœur. Elle ne cherche pas mentir, ni à réfléchir à la meilleure manière d'amener ça. Tout d'une traite. C'est plus facile.

- Si tu savais à quel point c'est dur de perdre un bébé si jeune ! On avait décidé de ne pas t'en parler pour que tu puisses vivre normalement, sans le regret de ne pas l'avoir vu grandir... Comme ton père et moi...

- Mais...

Je baisse la tête. Mes yeux s'humidifient sans que je leur ordonne.

- Mais c'était ma jumelle ! Je ne suis pas censée être la première à en souffrir ?

- Je te jure que c'est pour toi que l'on a fait ça ! Ne nous en veux pas...

Elle s'est mise à pleurer, comme moi. Ça me brise le cœur de la voir comme ça.

- On devait l'appeler Gwe...

- Gwenaëlle ?

- Comment tu...

- Elle a été enterrée ? la coupais-je.

Pourquoi Gwenaëlle ? Je me sentais liée à elle, mais je n'aurais jamais cru à ce point-là ! Et puis, ça ne tient pas la route... Pourquoi ce pressentiment ? Pourquoi cela m'affecte autant ? Des questions naissent par milliers dans mon esprit.

Ma mère interrompt le fil de mes pensées :

- Oui... Au cimetière près de la mairie...

Je me précipite dans le vestiaire, je prends ma veste noire en passant devant la porte. Je sors, me fiche de la pluie qui s'est remise à tomber, et me mets à courir.

Simplement vêtue d'un pull bleu, d'une veste et d'un jean, je vais rentrer trempée.

Mais il faut que je voie. Il le faut...

J'arrive au cimetière, vide, sûrement à cause de la météo, désastreuse. Je passe devant des dizaines de tombes avant de tomber sur celle de ma sœur.

Une petite tombe. En marbre rose. Une si petite tombe...

Gwenaëlle Deleresse
1999

Partie trop tôt
À jamais dans nos mémoires

Je passe un moment à regarder ces inscriptions.

Une goutte de pluie vient se poser sur ma joue et roule jusque mon menton, comme pour remplacer la larme au coin de mon œil qui elle n'arrive pas à se libérer.

Mes genoux se dérobent. Je sens l'eau transpercer mes vêtements, mais je m'en moque. Mes cheveux collent à mes joues, mouillés de pluie et de larmes qui coulent maintenant sans retenue.

Je ne l'ai même pas connue et pourtant nous sommes si liées.

Je me relève, et me mets à courir. Je me fiche de quel côté, mais je veux juste m'éloigner de ma douleur.

C'est fou je ressens la même que Corwin dans son grenier. La même douleur que quelqu'un qui vient de perdre un proche.

Encore ce matin, je n'aimais pas la pluie ce matin... Et je me surprends maintenant à croiser les doigts pour qu'elle continue de couler. Elle m'aide à le laver de mes questions et de mes problèmes. Même s'ils sont toujours là... C'est comme s'ils étaient passés au second plan.

Il n'y a que moi, et la pluie.

Quand je m'arrête, mes jambes sont à deux doigts de me laisser tomber. Je fais rapidement le point et me mets à marcher. Je suis trempée et il ne pleut plus. Il va bien falloir que je rentre. Il fait presque nuit.

Une fois devant chez moi, je m'arrête dans un rayon de lune.

Je ne veux pas avoir à affronter le regard de ma mère, alors je fais le tour, escalade le cabanon pour accéder à la fenêtre de ma chambre. Silencieuse, je rentre et retire mes chaussures.

J'entends mon père descendre les escaliers.

Une fois qu'il est dans la cuisine, je vais m'assoir sur les marches du haut et écoute :

- Elle sait pour sa sœur...

- Quoi ?! Mais on s'était mis d'accord ! On ne...

- Je sais ! Mais elle a trouvé ça ! J'ai... Je lui ai raconté. On lui devait la vérité...

J'entends ma mère se mettre à sangloter.

- Viens là chérie...

Un froissement de tissus m'informe qu'il vient de la prendre dans ses bras. Je sais qu'ils pleurent en silence... N'ayant pas besoin d'en entendre plus et je remonte dans ma chambre et m'affale sur mon lit, le regard vide.

Une vague de questions sans réponse s'abat sur moi.

Je ne dors pas de la nuit. J'ai peur de la voir dans mes rêves. Je lui dirais quoi ?

Qu'elle est morte au bout de quelques heures de vie ?! Que je n'avais même pas eu conscience de son existence ? Que seules trois personnes la pleurent ?

Une violente colère commence à bouillir en moi. Mais je sais pas contre qui la diriger, cela ne fait que mettre de l'huile dans le brasier qui commence à enflammer mon cœur.

- Pourquoi... Pourquoi...

Je murmure dans mon oreiller entre deux sanglots.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top