Chapitre n°9 : Douloureuse Évasion


Dans l'obscurité la plus complète, l'ombre était tapie, seule dans un coin de la pièce. Rats et souris se livraient une bataille sans merci pour les restes de pain rassis qui traînaient par terre, aux côtés d'une cruche d'eau renversée. Un silence, lourd et pesant, durait....

S'éternisait... Jusqu'à ce que...


- Alors comment va l'guignol ? demande une voix familière derrière la porte.

Aucune réponse.

- Tu réponds pas ? Très bien... J'vais d'voir v'nir te donner une p'tite correction alors !

Amelkar fit tinter ses clés pour annoncer son arrivée et le châtiment qu'il ferait subir à son prisonnier. Cela faisait trois jours que l'étranger était maintenu captif et qu'Amelkar venait le voir, encore et encore, dans le but de venger l'affront qu'il avait subi devant ses hommes. Obsédé par l'idée de le faire payer, il le torturait, mangeant la nourriture qu'on lui avait préparé et la substituant par du pain rassis, le frappant régulièrement jusqu'à ce qu'il tombe inconscient... Mais aujourd'hui serait différent.

Lif, transformé par ses instincts de survie, avait réfléchi, concentrant toutes ses capacités mentales et physiques dans un moyen de s'échapper. Il avait frotté, nuit et jour, la corde qui lui liait les mains contre la roche qui formait les murs. Tuant les rats à coups de dents, il survivait.

Mais il avait fini par réussir. Il était maintenant temps pour lui de montrer à son geôlier qu'il était allé trop loin. Ignorant les ecchymoses et les plaies qui couvraient son corps, il s'était allongé, feignant d'être encore attaché et affaibli. Il n'avait gardé que son t-shirt, son pantalon et ses chaussures. Ceux-ci étaient sales, puants et déchirés par endroits. Fermant les yeux pour se concentrer d'avantage, il tendit l'oreille.

La proie s'était transformée en chasseur mais celui-ci n'en avait pas encore pris conscience.

- C'est l'heure de s'réveiller mon p'tit... Papa est là, et il est pas content... déclara Amelkar, pris d'un rire mauvais.

Ce dernier accrocha les clés à sa ceinture avant de donner un violent coup de pied sur la masse difforme étendue sur le sol, qui laissa un échapper un cri plaintif. Le villageois saisit alors l'étranger pour le relever. Une fois debout, il allait lui asséner un puissant coup de poing quand Lif décida de frapper. Attrapant la tête de son bourreau à deux mains, il envoya son genou à pleine vitesse contre l'entrejambe de son adversaire, qui s'écroula au sol, stupéfait. Sans pitié, le soldat donna des coups de bottes sur le crane du geôlier, encore et encore jusqu'à ce que le sol de sa cellule se couvre de sang. Une fois sa tâche macabre accomplie, il s'empara des clés et sortit dans le couloir, mettant fin à sa captivité.

Alors qu'il respirait bruyamment, il s'arrêta pour tenter de calmer la bête en lui. Il allait réfléchir à ce qu'il venait de faire quand il se reprit : On verra ça plus tard Lif, pour l'instant je dois sortir d'ici.

Taillé dans la roche, le couloir était en réalité un tunnel, uniquement éclairé à la lumière des torches. Celles-ci étaient suspendues de part et d'autre du corridor et constituaient l'unique source de chaleur des alentours. De nombreuses autres portes meublaient le tunnel, signe de la présence d'autres étrangers retenus prisonniers par les villageois.

Attentif au moindre bruit, Lif progressait lentement, prêt à tuer tout ce qui pourrait se mettre en travers de sa route. Il allait passer devant une autre geôle quand une main lui attrapa le bras et le ramena contre la porte de la cellule. Les barreaux de cette cellule étaient assez fins pour que le captif puisse sortir complètement son avant-bras et assurer une prise puissante sur le soldat. Retenant un cri de stupeur, l'étranger donna des coups à son assaillant. Celui-ci resserra son emprise, plantant ses ongles dans la peau de Lif.

- Attends ! Je peux t'aider ! héla son agresseur. Regarde !

Ce dernier présenta le poignet de sa main droite à Lif qui s'arrêta un instant, stupéfait. Un tatouage étrange l'ornait. Deux triangles se faisant face, liés par un carré avec quelques points pour marquer leurs sommets... De nombreuses images refirent surface.

L'équipe au complet pour la dernière fois... L'interrogatoire improvisé sur le premier mercenaire qu'ils avaient combattu.... La tour Nord et la rage de James... Et ce tatouage sur l'innocente qu'il avait abattue.

Mais oui bien sûr ! C'est le même ! pensa Lif.

- L'Hérixe ?! s'exclama-t-il.

- Chuuuuut ! Pas si fort, on pourrait nous entendre, répliqua le mystérieux prisonnier, relâchant peu à peu son étreinte. Oui, c'est exactement ça. J'ai entendu des conversations à ton sujet... Un étranger très doué au combat... Que pourrais-tu faire si loin dans le Nord si ce n'est pour ça hein ?

- Eh bien...

- Allez, libère moi et je serais ton guide... C'est un service contre un autre ! Je te serais loyal jusqu'à ce qu'on soit arrivés à destination, promis, déclara le prisonnier en présentant ses paumes, vides, en gage de bonne foi.

- Tu sais comment sortir d'ici ? demanda simplement Lif en esquissant plusieurs pas en arrière, de sorte à se placer hors de portée de l'inconnu.

- J'ai un plan, bien sûr !

Lif réfléchit... En libérant cet homme, il prenait un gros risque. Ce dernier pourrait très bien alerter, même involontairement, les villageois qui n'auraient aucun scrupule à les embrocher.

En plus de cela, il était bien trop faible pour les combattre. Lif avait confiance en ses propres capacités et savait qu'il pouvait s'en sortir seul... Mais que ferait-il après ? Il n'avait aucune piste, et les chances de retomber sur d'autres villageois hostiles étaient grandes dans cette région. Je n'ai pas le choix... Ce tatouage n'est pas anodin, il pourra forcément m'aider, pensa-t-il.

- Très bien. Je vais te libérer, mais si tu fais le moindre geste stupide, je te tuerai. De mes propres mains. Est-ce clair ?

- On ne peut plus clair...

Pendant que Lif ouvrait la cellule, le mercenaire reprit la parole :

- Au fait, on m'appelle Diego.

- Samuel, répliqua Lif.

Un « click » se fit entendre et l'inconnu sortit brusquement de la cellule. Pendant que Diego sautillait pour gouter à se récente liberté, Lif en profita pour l'étudier.

Il était plus petit que sa récente férocité le laissait penser, et assez maigre... Couvert de taches, ses vêtements autrefois blancs étaient très assombris. Avec sa barbe de trois jours grise et sale, ses yeux bleus vitreux et ses cheveux châtains en bataille, on aurait facilement pu le prendre pour un des nombreux sans-abri qui quêtaient dans la capitale.

Ce dernier arrêta de tourner sur lui-même quand il vit le regard surpris de son sauveur.

- Eh ben ? Tu t'attendais à quoi mon pote ? Et ça fait seulement une semaine que je suis là-dedans ! s'exclama-t-il. Tu t'es pas vu non plus on dirait !

- Euh... Ouais O.K. Bon, passons... Comment on sort maintenant ? demanda Lif en jetant un œil à ses vêtements, en piteux état.

- Tu l'auras peut être deviné, mais je ne suis pas trop doué pour le combat... Donc je compte sur toi pour passer devant. Je te guiderai, répondit-il en chuchotant.

D'un signe de tête, il poussa Lif à s'avancer dans le tunnel.

Ils progressèrent lentement, évitant de trop s'approcher des cellules. Après quelques minutes d'avancée silencieuse et inquiet de n'avoir rencontré personne, Lif se retourna pour questionner Diego.

Rien. Il avait disparu et Lif était seul à nouveau.

Il allait rebrousser chemin à la recherche de son camarade quand le sol se mit à trembler.

Plaquant ses mains contre la paroi rocheuse pour rester en équilibre, le soldat tendit l'oreille. Un son, lointain, se rapprochait rapidement. Paniqué, Lif ne savait dans quel sens courir. Une partie des villageois étaient sûrement à ses trousses et l'autre le cueillerait à sa sortie s'il continuait sans prendre de précautions. Tentant le tout pour le tout, il décida de courir en direction de la cellule la plus proche et de s'y réfugier. Arrivé devant les barreaux métalliques dressés à la verticale, noirs et froids, il porta la main à sa ceinture.

- Merde... merde... merde !!! L'enfoiré...

Diego lui avait pris les clés et s'était enfui. Désespéré, Lif se laissa glisser le long des barreaux. Le sol tremblait à intervalles régulier et les sons qu'il avait perçus étaient de plus en plus distincts. Des bruits de pas... j'en suis sûr, pensa-t-il. Ce n'est même pas la peine... je suis trop fatigué pour me battre contre autant de monde.

Ils étaient presque à son niveau.

Acceptant son sort, il releva les genoux et plaça ses mains sur son visage. Il inspira profondément, exténué.

- Au moins j'aurais essayé... Désolé les gars... lâcha-t-il dans un dernier soupir.

- Mais essayé de quoi ?! lança Diego, surexcité. Allez viens on s'en va !

Ce dernier lui tendit le bras pendant que de nombreux hommes leur passaient devant, continuant leur progression dans le tunnel.

- Mais, mais... répliqua Lif, interloqué.

- Je te raconte sur le chemin ! s'exclama le mercenaire en tirant le bras du soldat, le poussant à se relever.

Complètement désorienté, Lif suivi son guide à travers le dédale de cavités et de passages creusés à même la roche. Les hommes qui l'entouraient portaient des vêtements délabrés voire n'en avaient presque plus. Comme lui, ils avaient surement été maltraités. D'autres prisonniers... Diego a libéré d'autres prisonniers... Mais alors ce n'est pas une évasion qu'il veut, c'est une émeute !

- Diego ! À quoi tu joues ! s'écria-t-il en poursuivant sa course.

- Comment ça ? Je nous trouve un moyen de sortir !

- C'est la mort qui les attend au bout de ce tunnel, tu en es conscient ?! Ça va se terminer en bain de sang !

- Écoute. Tu cherchais un moyen de sortir, eux aussi. J'ai laissé une chance à tout le monde. Alors si tu veux la prendre, prends-la et suis moi... Sinon, adieu !

Diego entama alors une course folle vers la sortie du tunnel. D'instinct, Lif s'élança à sa poursuite, bousculant les récents évadés.

Trente secondes plus tard, des hurlements se firent entendre. Ils avaient atteint le village.

Jouant des coudes pour se frayer un passage à travers la foule de prisonniers qui s'était arrêtée, il cherchait Diego.

Soudain, une fourche transperça l'homme qui se tenait face à lui. Celui-ci s'effondra sur le sol, inanimé. La réaction de Lif fut immédiate. En à peine quelques secondes, il avait bondit au-dessus du cadavre et envoyé un crochet droit au visage de son adversaire, qui était tombé en arrière. L'ensemble des hommes qui l'avaient accompagné dans le tunnel le virent. Enhardis par cet acte héroïque, ils s'élancèrent alors en direction du village. Il allait les suivre quand un chuchotement l'interpella :

- Par-là ! Viens ici ! lui intima Diego en lui faisant signe de le rejoindre.

Ce dernier s'était recroquevillé sur la droite, juste devant la sortie du tunnel de sorte à laisser les hommes qu'il avait libérés passer devant lui. Mauvais combattant et lâche de surcroît...

Qu'est-ce qu'il fait dans l'Hérixe ? se demanda alors Lif, sans trouver de réponse à sa question.

Une fois arrivé à sa hauteur, Diego lui montra la grotte dans laquelle ils étaient arrivés. Elle était immense. Un village comme on trouverait dans n'importe quelle plaine de l'archipel d'Hélion y siégeait, occupant les trois quarts de l'espace. Ce dernier était éclairé par de nombreuses torches et feux disposés entres les habitations, de façon à toujours garder l'endroit lumineux. Les prisonniers, fiers de leur nouvelle liberté, couraient aveuglément en direction des villageois. Ces derniers se tenaient devant leurs maisons, prêts à tout pour protéger leurs biens et leurs familles. Les maisons étaient très rustiques : en bois de chêne, leurs toits étaient du matériau le plus simple : la paille couvrait ainsi l'ensemble des bâtiments de la grotte. De petite taille, ils révélaient la précarité dans laquelle vivaient ses habitants, justifiant quelques peu le comportement qu'ils avaient eu envers l'étranger qui avait détruit leur piège à ours...

- Il y a un passage de l'autre côté du village... C'est par là que je suis arrivé, déclara Diego. Suis-moi !

Il s'élança dans la direction opposée aux prisonniers, longeant la paroi droite de la grotte.

- Mais... et les autres ? On ne peut pas les laisser comme ça ! Ils vont se faire exterminer !

- C'est la diversion rêvée ! On n'a pas le choix Samuel... On ne s'en sortira pas non plus si on se préoccupe d'eux. On saura rendre leur sacrifice utile !

Lif n'en revenait pas. Il s'apprêtait à laisser mourir une vingtaine d'innocents simplement pour sauver sa misérable vie... Mais Diego avait raison... Il était trop tard maintenant. Il ne pouvait plus rien pour eux.

Se faisant violence, il courut à la suite de son compagnon, tentant d'ignorer les cris de douleur en provenance du village. Arrivé à l'autre bout de la grotte, il retint un regard en arrière et entra dans le passage face à lui.

Quelques minutes plus tard, le bruit du champ de bataille s'était estompé. Lif et Diego avait escaladé la pente, très raide, qui les menait à la sortie. Une fois dehors, Diego se tourna vers son nouveau camarade.

- Bon, c'est maintenant que tu choisis. Tu viens avec moi ou pas ?

Lif hésita. Après ce qu'il venait de subir, il avait toutes les raisons du monde d'arrêter sa mission et de trouver un moyen de rentrer.

Sauf que des moyens de rentrer il n'en connaissait justement pas. Et il avait froid.

- C'est loin ? répondit-il simplement.

- Dix minutes de marche, tout au plus.

- Je te suis.

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