Chapitre n°9-bis: Du sang et des larmes




La pièce était sombre.  Un son, toujours le même,  retentissait à intervalles réguliers. Une  lampe, indiquant l'emplacement d'une sortie de secours, grésillait.  C'était l'unique source de lumière. Après être descendue le long des  marches, Efilenia avait scruté l'endroit, à la recherche du moindre  indice pouvant la mener aux bureaux de Bruce. Face au manque  d'éclairage, elle ne put distinguer que quelques barreaux de fer.  Sa  poitrine se serra quand elle s'approcha des barreaux. Malgré la  pénombre, elle finit par deviner la forme d'un lit. Des dortoirs...  pensa-t-elle. Je n'ai rien à faire là. Il faut que je sorte, et vite. Le son régulier n'était autre que celui d'un ronflement. De nombreux ronflements.

Si jamais je réveille ne serait-ce qu'un seul d'entre eux, c'est fini, songea-t-elle.  Ils étaient beaucoup trop nombreux et l'espace trop réduit pour qu'elle  puisse les combattre. En plus de ça, quand bien même elle y arriverait,  l'alarme résonnerait dans toute la base et Bruce serait déjà bien loin  quand elle aura trouvé ses quartiers.

La respiration  sifflante, elle sortit de la salle à reculons. Son cœur battait la  chamade et elle sentait de grosses gouttes de sueurs rouler le long de  sa nuque. Tiens bon... La discrétion est la clé, se dit-elle pour  s'encourager. La femme soldat se dirigea à pas léger vers la porte au  bout du couloir. Les dortoirs étaient ouverts : aucune porte ne séparait  les pièces du corridor.  N'importe qui pouvait être réveillé et  regarder dans sa direction au moment où elle s'avancerait.

Elle allait passer  devant la dernière chambre et atteindre la porte quand elle entendit un  bruit sur sa droite. La guerrière se figea sur place. Les battements de  son cœur s'accéléraient et battaient violemment contre ses tempes.  Efilenia attendit. En prise à des sueurs froides, cette attente lui  parut une éternité. Elle compta jusqu'à trente. Aucun son ne survint. À  bout de nerfs, elle ouvrit la porte et entra dans la salle suivante.

Surprise, elle retint un  juron. Sous ses yeux se tenait un espace gigantesque creusé à même le  sol. Placée en hauteur, elle perçut de nombreuses habitations et  conteneurs  métalliques à ses pieds. La grotte était rectangulaire. Deux  tours bardées de fer s'élevaient, face à face, au cœur de la base  souterraine. Des passerelles étaient suspendues au plafond, et plusieurs  projecteurs placés sur les tours balayaient la zone. Quelques  sentinelles étaient placées çà et là pour surveiller les allées et  venues du personnel... Et donc de potentiels intrus.

La mission se  compliquait. S'infiltrer dans un grand espace à découvert comme  celui-ci, contrôlé par un ennemi en surnombre et armé jusqu'aux dents  pouvait s'avérer très dangereux. Beaucoup trop en fait, surtout seule.  Efilenia eut envie de tout abandonner, de laisser tomber. Rebrousser  chemin et retourner chercher les autres. C'était la solution de  facilité, tellement plus simple de laisser les autres la guider et faire  à sa place...

Soudain, l'image de  Robin, encore souriant pendant le diner de la veille émergea dans son  esprit. Suivie de celle contenant son visage tordu de douleur suite à  l'explosion... Non. Hors de question, songea-t-elle.

-    Ce crime ne restera pas impuni. Lui et tous les autres, déclara-t-elle en agrippant la crosse de son fusil.

Ce contact avec son arme la rassura.

-    J'irais jusqu'au bout. Pour Robin. Pour Lotras.

Efilenia continua sa  progression dans la pénombre, n'utilisant que les passerelles hors de  portée des projecteurs. Elle était à la recherche d'une salle sortant de  l'ordinaire et pouvant servir de bureau à Bruce. Les passerelles  étaient grillagées, on y voyait au-dessus et au-dessous. Aussi, la  guerrière se colla à la paroi et retint son souffle quand deux gardes  passèrent en dessous d'elle. Attentive, elle tenta d'intercepter leur  conversation, à la recherche du moindre petit indice.

-    J'ai entendu dire qu'il y avait du grabuge là-haut ? C'est vrai ? demanda le premier.

Ils s'arrêtèrent, contemplant le reste de la grotte.

-    Quelques policiers, rien de plus... Mais Bruce a senti un piège et lancé le plan de secours, répliqua le second.

-    Le plan de secours ?! Mais qu'est-ce qu'on fait encore là !

-    Il faut bien du monde pour surveiller qu'il se déroule comme prévu non ?

-    Mouais... N'empêche que du coup on n'est pas du tout en sécurité là...

-    Regarde devant toi,  déclara le garde, en pointant un grand conteneur aménagé. Tu penses  vraiment que ces bombes vont se déclencher d'elle-même ? Non. Il faut  qu'on les active, donc en attendant que tous les comptes à rebours  soient lancés, on patrouille. Compris ?

Sans attendre de réponse, le mercenaire s'en alla, bientôt suivi par son comparse.

Des bombes ? Mais alors ils vont faire sauter toute la ville ! Ils sont fous ! Je ne peux pas laisser faire ça. Je dois y aller,  pensa-t-elle. Efilenia sauta agilement sur la passerelle suivante.  Observant les alentours d'un œil attentif, elle était à la recherche  d'un moyen pour atteindre le conteneur sans attirer l'attention. Les  deux soldats avaient quitté la zone, mais pour combien de temps ? 5 minutes, je me donne 5 minutes, pas une de plus, se dit-elle.

Elle regarda sa montre.  3h26. Si elle n'avait pas réussi à entrer dans le conteneur au bout des  cinq minutes, elle devait rebrousser chemin avant de réfléchir à un  nouveau plan d'attaque. Surtout, ne prendre aucun risque. Il suffit qu'une seule personne me repère et c'est la fin.  Accroupie au bord de la passerelle, elle observa. Un projecteur  illuminait l'entrée du conteneur à intervalles réguliers. Un soldat  posté en haut de la tour la plus proche faisait des rondes. Une femme et  un homme discutaient devant une habitation proche du conteneur. Ça ne va pas être facile... Mais ce n'est pas impossible non plus, songea-t-elle.

Soudain, des bruits de  pas résonnant contre le métal la tirèrent de sa réflexion. Les mains  moites et le doigt sur la détente, elle serrait encore plus fort son  fusil, tendant l'oreille.

À droite. En dessous... Non. À sa  hauteur.

Je n'ai pas le temps de me cacher... Tant pis. Déterminée, elle visa la sortie d'une passerelle sur sa droite, dont le reste était caché par la paroi de la grotte.

Elle n'eût pas à  attendre longtemps. Une botte, puis un corps tout entier sortit de la  pénombre. L'homme était brun, assez grand. Il avait un nez fin et les  cheveux en bataille. Âgé d'une trentaine d'années, de nombreuses  cicatrices couvraient ses bras musclés. La surprise qui marqua son  visage au moment d'apercevoir Efilenia lui resta à jamais. Atteint d'une  balle en plein cœur et de deux autres sur le torse, il s'effondra sans  un bruit.

Efilenia s'approcha pour  tâter son pouls. Rien. Elle le traina derrière deux tonneaux placés sur  la passerelle à sa gauche avant de se remettre à l'action.

3 minutes 50...

Vite, pensa-t-elle.

Après avoir vérifié  qu'aucun soldat ne peuplait les alentours, elle glissa le long d'une  échelle plaquée contre la paroi. Arrivée en bas, elle se précipita  derrière le mur de l'habitation la plus proche. La lumière du projecteur  éclaira la position où elle se tenait quelques secondes plus tôt. Une  fois la lumière disparue, la guerrière avança furtivement le long de la  façade de la maison. Au bout du chemin, elle s'accroupit derrière un  tonneau. Le conteneur était juste sous ses yeux, mais le couple qu'elle  avait vu auparavant l'était aussi, un peu plus loin.

2 minutes.

Le temps pressait, et Efilenia suait à grosses gouttes. Sa longue chevelure rousse, nouée par son bandeau, était trempée.

La sentinelle placée sur le toit lui tournait le dos. La lumière du projecteur venait d'éclairer la ruelle face à elle. Maintenant.

Elle souffla un grand  coup et s'élança. Une roulade sur le côté lui permit de passer  rapidement devant le couple sans qu'il ne s'en aperçoive. Une autre vers  l'avant la plaça juste devant l'entrée du conteneur.

J'ai réussi ! J'ai réussi !!! s'exclama-t-elle intérieurement, un grand sourire aux lèvres. Elle risqua un regard sur sa montre.

30 secondes.

Ce n'était pas fini.  Rapidement, elle chercha un moyen d'ouvrir la porte. Elle tourna  lentement la poignée. Fermé à clé. D'instinct, la jeune femme réagit.  Elle plongea la main dans une de ses poches et en sortit une pointe en  métal, conçut spécialement pour crocheter ce genre de serrure.

15 secondes...

Même si la structure  ressemblait fortement à un conteneur, sa porte était beaucoup plus résistante qu'elle ne le laissait penser. Efilenia était maladroite. La  sueur perlait sur ses mains tandis que la tension s'emparait peu à peu  d'elle. Le morceau de métal lui échappa des doigts et elle perdit  plusieurs secondes à le chercher.

5 secondes.

Elle renouvela l'opération en tentant de calmer les tremblements qui l'agitait.

Zéro.

Sa montre émit un léger bip  sonore. Au même moment, la porte s'entrouvrit. Sans perdre une seconde  de plus, la guerrière s'élança à l'intérieur, arme au poing.

Tout s'enchaina  rapidement. Excitée d'avoir finalement réussi à ouvrir la porte, elle  n'avait pas fait attention à ce qu'il pouvait se trouver à l'intérieur.  Dans l'obscurité, deux soldats l'attendaient, un à sa droite et l'autre à  sa gauche. Ils la mirent en joue, lui intimant de se séparer de son  arme et de se coucher sur le sol. L'homme à sa gauche ferma la porte  derrière elle et s'approcha pour lui lier les mains.

C'était fini. Elle avait échoué.

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