Chapitre n°6-bis: Nouvelle vie
Armés de fourches et de piques, ils attendaient, tapis dans l'ombre. L'inconnu ne semblait pas vouloir bouger. Bien que l'étranger fût enfoui sous un amas de neige, Amelkar, le chef du groupe, ne se gêna pas pour y planter sa fourche. Il recula d'un bond quand la forme se mit à bouger. Lif s'était réveillé là, au milieu d'une grotte, face à de nombreux villageois.
- Argh... gémit Lif tout en se relevant.
Quelque chose de pointu l'avait tiré de sa torpeur, et il se demandait bien quoi. Par pitié pas un ours... songea-t-il. Pendant qu'il s'extirpait de l'amas de neige sous lequel il était enfoui, il ne remarqua pas les villageois, inquiets, qui l'encerclaient peu à peu. Une fois debout, il épousseta la neige sur ses vêtements avant de jeter un œil à la grotte où il avait atterri. Il poussa un cri de surprise à la vue des hommes qui se tenaient face à lui.
- Qu'êtes-vous ? Pourquoi v'nir détruire nos pièges à ours ? demanda Amelkar, d'une voix grave. De peur de voir l'étranger s'en prendre à sa population, il brandit sa fourche face à lui.
Amelkar avait une pilosité très limitée, mais il était très costaud. Du haut de ses un mètre quatre-vingt-cinq, pesant près de cent kilos, il était l'un des protecteurs les plus respectés de son village.
- Wo... Wo... Doucement... répliqua Lif en mettant ses mains en évidence au-dessus de sa tête. Je ne suis pas armé et je ne vous veux aucun mal... En réalité, j'ai besoin d'aide !
- Z'avez répondu à aucune d'nos questions, répondit un autre homme, plus barbu que son confrère et vêtu d'un épais manteau en peau animale, sûrement d'ours.
Le groupe, constitué d'une dizaine d'hommes plus ou moins grands, s'approchaient dangereusement de Lif. Ce dernier se sentait de plus en plus mal à l'aise. Sachant qu'il ne ferait pas le poids contre autant d'hommes, armés de surcroît —même de façon rudimentaire— il cherchait une voie de secours.
Il était arrivé par le trou qui se dressait au-dessus de lui, une dizaine de mètres plus haut. La roche était gelée et le risque de tomber en l'escaladant était trop grand. Voyant les hommes s'approcher, visiblement en colère de voir leur piège détruit par un étranger, il recula lentement. Vite... trouver une solution... vite... se dit-il.
- Écoutez... J'étais perdu dans le blizzard et je n'ai pas vu votre piège... Je suis vraiment désolé... tenta-t-il.
- C'est aussi ce qu'nous ont dit les deux derniers hommes à être entrés ici, déclara Amelkar, qui souhaitait défendre son village avant tout.
- Et y'z'ont abusé d'nous, pillé nos maisons, tué nos enfants ! poursuivi l'un des villageois.
- Je vous en prie... supplia Lif, sans défense.
Il recula encore jusqu'à rencontrer la paroi, rêche et froide, du fond de la grotte. Je suis coincé... Il va falloir tenter le tout pour le tout, pensa-t-il. D'un calme alarmant, il retira son sac avant de le jeter sur l'amas de neige à sa gauche, bientôt suivi par son manteau.
- Puisque vous ne me laissez pas le choix, sachez que je ne me laisserais pas embrocher comme un vulgaire poulet sans combattre, déclara-t-il avant de se mettre en position de combat, les deux bras en avant.
La seule réponse qu'il reçut fut le rugissement d'Amelkar quand ce dernier s'élança, fourche vers l'avant, sur son adversaire. D'un sang-froid implacable, Lif esquiva la fourche d'une simple roulade sur le côté. Le chef du groupe, prit dans son élan, vint s'écraser contre le mur de la grotte, à l'endroit même où se tenait le soldat quelques instants plus tôt. Humilié devant ses compagnons qui n'osaient bouger, Amelkar se releva, ivre de rage.
- Viens par-là ! Et bats-toi comme un homme au lieu de fuir ! hurla-t-il en frappant du poing contre son torse.
- Puisque monsieur le demande, répondit Lif avant de s'élancer sur le villageois.
Que l'on parle de techniques ou de force pure, Lif n'était pas réputé pour être redoutable, contrairement à Robin ou James. Mais il était rapide. Très rapide. Avant même qu'Amelkar puisse relever sa fourche, Lif avait frappé. Un coup de poing, ni parfaitement exécuté, ni particulièrement puissant fut promptement suivi par un second crochet et un coup de botte au thorax.
L'enchaînement était d'une telle vitesse que l'homme n'eût même pas le temps de réagir. Il tomba au sol avant de glisser sur quelques mètres. Le nez brisé, il hurla de douleur.
Le cri sortit ses compagnons de leur torpeur. Ils s'avancèrent à nouveau, lentement, beaucoup plus prudents que leur chef... Au grand dam de Lif. Ils sont trop nombreux et pas assez isolés... Je ne vois pas d'ouverture dans leur formation. Ça se complique, songea-t-il.
- Écoutez bon sang ! Je ne vous veux aucun mal, je me suis juste perdu dans la neige ! Ce n'est pas un crime ça quand même, si ? demanda-t-il en présentant ses mains face à lui pour tenter de calmer les autres villageois.
Ils ralentirent, se demandant s'il était réellement nécessaire d'embrocher l'étranger. Cependant, un nouveau gémissement plaintif de leur chef les poussa à poursuivre le combat. Lif ramassa la fourche à ses pieds et se mit en garde. Arrivés à quelques pas de lui, ils allaient bientôt engager le combat.
Soudain, une voix nasillarde mais puissante se fit entendre de l'autre côté de la grotte.
- Mais enfin ! Que faites-vous ?! Ça ne va pas bien oui ? Vous êtes tous fous ou quoi ! s'exclama un vieillard avec une longue barbe blanche lui tombant jusqu'au milieu du torse qui s'élançait dans leur direction, une canne à la main.
- Oh ! Monsieur Olin... Qu'est-ce'vous faites ici ? demanda l'un des hommes, surpris.
- Vous apprendre les bonnes manières pardi ! On vous entend vous battre de l'autre bout du souterrain ! C'est la tempête dehors, un homme vient chercher de l'aide chez nous, et vous l'accueillez à coup de fourches et de piques ? Vos parents auraient honte s'ils le savaient !
Lif ne comprenait rien à ce qu'il venait de se passer, mais les villageois avaient baissés leurs armes. Ce vieil homme était sa chance.
- Bonjour Monsieur ! cria-t-il pour que ce dernier l'entende. Je m'appelle Samuel. Je me suis perdu et je cherchais un endroit où passer la nuit... J'ai malencontreusement marché sur votre piège à ours et j'en suis navré... mais avec toute cette neige, il était difficile pour moi de voir quoi que ce soit !
Le vieillard, visiblement quelqu'un d'important au village, attendit d'être arrivé à son niveau pour lui répondre.
- Bonjour Samuel, répondit-il en lui tendant la main. Je m'excuse pour l'accueil qui t'as été fait... Disons qu'avec le bazar dans le pays ces derniers temps, les garçons sont un peu à cran.
Mr. Olin jeta un regard noir à Amelkar, qui se relevait péniblement.
- Oh, je comprends tout à fait, ne vous inquiétez pas ! répliqua Lif en souriant, gêné.
Le tirant de de sa situation délicate, le vieil homme l'invita à le suivre dans les profondeurs de la grotte avant d'ordonner à l'un des hommes de ramasser les affaires de l'étranger. Tandis que les villageois chuchotaient derrière eux, il engagea la conversation.
- Toi, tu n'es pas du coin pour vouloir t'aventurer ici sous une tempête pareille ! D'où viens-tu ?
Pris de panique, Lif réfléchit rapidement. Si les villageois étaient des partisans de l'Hérixe, il ne pouvait révéler ses véritables origines. Au contraire, s'ils étaient pour la fin de l'anarchie et du contrôle du pays par des gangs criminels, il ne devait pas prétendre faire partie d'une contrée révolutionnaire... Un pays s'imposa alors de lui-même.
Uklar, contrée neutre par excellence. Parfait.
- Alors ? C'est si dur pour toi de savoir où tu as passé la plus grande partie de ta vie ?
- Euh non... pardon, j'étais ailleurs. Je viens d'Uklar. Ce qui restait de ma famille est mort là-bas alors je suis venu ici, chercher l'oncle dont ma mère me parlait tout le temps.
- Oh... Je vois... Je suis désolé...
- Ne vous inquiétez pas, on connait tous les ravages de la guerre n'est-ce pas ? répliqua-t-il avec un sourire destiné à détendre son interlocuteur.
- En effet... C'est pourquoi il faudrait mettre fin à l'anarchie qui règne dans le pays...
Ne sachant que répondre, Lif resta muet. Ils progressaient dans un tunnel de roche et de terre, éclairé par des torches fixées sur les murs. Qu'est ce qui peut bien m'attendre au bout ? se demanda le soldat. Le bruit des pas de la petite troupe résonnant contre les parois fut l'unique réponse qu'il perçut au cours du voyage.
Après quelques minutes, Mr Olin brisa le silence.
- Nous voilà arrivés, déclara-t-il en pointant du doigt l'épaisse porte en bois qui leur barrait la route. Allez, ouvrez-moi ça.
Lif s'apprêtait à remercier le vieil homme de son accueil quand celui brandit sa canne au-dessus de sa tête avant de donner un violent coup sur le crâne du soldat qui s'écroula sur le sol, sonné.
- Peuh ! Essayez de faire ça en silence au moins la prochaine fois, histoire de ne pas mettre tout le village au courant ! Allez ramassez moi ça et enfermez-le, déclara Mr. Olin d'un ton dédaigneux en passant les doigts dans sa barbe.
Lif était neutralisé.
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