Chapitre n°2: Jugement
- C'est inadmissible ! À quoi bon vous recueillir, dépenser une fortune pour vous équiper et vous entraîner si c'est pour échouer aussi lamentablement ! hurla une voix rauque et puissante.
Le son de sa voix se répercuta sur les hauts murs de la salle circulaire, l'amplifiant à intervalles réguliers. Le Conseil s'était réuni en un demi-cercle au fond de la pièce, installé autour d'une large table de la même forme. Ils étaient encadrés par de nombreux hommes armés jusqu'aux dents, tous plus costauds les uns que les autres. Un groupe se tenait de l'autre côté de la table : l'équipe BlackFish. Tela, Clark, James, Lif et Efilenia se tenaient là, la tête baissée devant leurs souverains.
- Toutes nos excuses... Nous avons rencontré un ennemi bien plus organisé et bien mieux entraîné que prévu et... déclara Clark en s'avançant pour venir s'agenouiller devant le Conseil.
Ce dernier était composé d'une dizaine de personnes. Huit hommes et deux femmes dirigeaient ainsi tant bien que mal les contrées d'Hélion à force de compromis et de négociations. La tâche était ardue et gouverner l'archipel n'était pas une mince affaire... Mais le résultat était là : Hélion était le pays le plus stable du monde.
Installés sur d'imposants trônes de bois, ils observaient le groupe d'un œil mauvais. Le chef du Conseil, Arganon, ivre de rage, s'était levé.
- ET VOUS AVEZ ÉCHOUÉ ! le coupa-t-il. Pire ! Ils ne se sont pas seulement échappés, ils ont détruit la moitié de la ville et tué la moitié de ses habitants derrière eux.
- Calmez-vous enfin... lui chuchota un autre membre du Conseil.
Arganon se rassit et plaça sa tête entre ses mains. Autrefois grand et puissant, il avait vieillit et s'était tassé avec l'âge. Aujourd'hui, de nombreuses rides couvraient son visage. Sa longue barbe grise et blanche lui arrivait maintenant au nombril. Il avait d'épais sourcils en broussailles et ses yeux bleus avaient perdu de leur éclat, s'éclaircissant peu à peu. Il portait une robe lourde et très longue qui couvrait ses chaussures. Ses amis déclaraient ses vêtements désuets face aux progrès de l'époque mais il appréciait trop le côté confortable de sa tenue pour pouvoir s'en passer.
Fatigué... Il était fatigué de lutter encore et toujours pour protéger son peuple et ceux des autres. Cela faisait des décennies qu'il se donnait corps et âme pour éradiquer le crime des contrées d'Hélion... Se sentant investi d'une mission, il fit de même pour le reste du monde, tentant de mener des interventions dans tous les autres pays. Et voilà que ses propres agents compromettaient ses projets...
- Sortez. Le Conseil va se réunir pour décider de votre sort, déclara le porte-parole du Conseil.
C'était un grand brun, très fin, au menton allongé et vêtu d'une chemise blanche élégamment coincée entre les deux brettelles de son pantalon noir.
L'escouade obtempéra. Ils se relevèrent en chœur et sortirent à reculons vers le fond de la salle. James croisa l'œil mauvais de Némis, qui se tenait à côté de la porte, les bras croisés sur son torse puissant. Toujours aussi grand et extraordinairement musclé, il portait un lourd pantalon de combat, des bottes et un gilet pare-balles pour seuls vêtements. A cause des reflets du soleil sur les tapisseries, sa longue chevelure paraissait encore plus blonde.
Lif admirait ces œuvres d'un air béat. Il n'était entré dans cette pièce qu'une fois, à l'occasion de son entrée dans l'escouade et de son rite d'initiation.
Il se rappela l'immense soleil, emblème d'Hélion, qui couvrait le plafond... Les peintures aux murs qui décrivaient les batailles qui eurent lieux ces derniers siècles pour libérer le pays de l'emprise des malfrats... Les hommes et les femmes défilaient sous ses yeux, équipés d'arcs, d'épées et de lances. Sur sa gauche, les peintures témoignaient du brusque développement des équipements militaires de la dernière décennie : armes à feu, fusils automatiques et lance-roquettes se tenaient désormais dans les mains des défenseurs d'Hélion, dont la tenue s'était aussi modifiée. Le dernier homme de la fresque portait un équipement semblable au sien : un pantalon et une veste en cuir renforcé ainsi qu'un gilet pare-balles dernier cri le protégeaient de tous types d'agressions extérieures. Entièrement noir pour les missions de nuit, il était teint en gris, blanc ou autres coloris selon les opérations et les régions, moments, où elles se déroulaient.
- Allez, bouge, l'interpella James en lui tirant le bras. Ils sont déjà assez énervés comme ça.
Lif s'exécuta et rejoignit le reste de l'escouade dans une salle voisine, dédiée à l'accueil de visiteurs. La pièce était de taille modeste et meublée très simplement. Des espaces isolés étaient formés à partir de tables entourées de fauteuils et de chaises. Deux hommes les attendaient dans l'un d'eux, confortablement assis dans deux fauteuils.
Clark s'assit sur une chaise à leurs côté et déclara en soupirant :
- Ce n'est pas gagné... Le Conseil va nous sanctionner, ça c'est certain. Au mieux, on sera suspendu quelques mois...
Pshar, qui paraissait bien maigre aux côtés de Juekpol, son compagnon d'armes, prit la parole :
- Que vous soyez répudiés ou non, notre proposition tient toujours. L'escouade BlackFish, même après un échec, reste l'escouade BlackFish. Vous serez logés, nourris... Le Roi pourrait même rendre leur citoyenneté à ceux qui l'ont renié...
Il adressa un regard à Efilenia, qui baissa la tête honteusement. Comme Hélion n'autorisait pas les étrangers à faire partie de ses forces spéciales, elle avait dû faire un choix. Et elle s'interrogeait sans cesse sur la légitimité de celui-ci...
Pour la tirer de l'embarras, Tela intervint et changea de sujet :
- On ne peut toujours pas vous répondre. La citoyenneté n'est pas le problème... Comme nous vous l'avons expliqué précédemment, nous n'avons pas à nous impliquer dans la gestion de votre pays. Les problèmes de votre Roi et de sa cour ne nous regardent en rien. Maintenant veuillez nous excuser, mais nous devons nous entretenir avant le verdict qui pourrait bien changer le reste de notre vie, déclara-t-elle sur un ton sec avant de tendre la main vers Clark, l'invitant à se relever.
- Très bien... Mais n'oubliez pas que l'Hérixe est impliquée.... Ce qui pourrait vous donner une chance de rattraper le coup. Si jamais vous changez d'avis, venez nous voir dans notre campement aux abords de la ville, déclara Pshar en se levant à son tour, suivi par Juekpol, qui avait toujours la main sur sa mitraillette.
Ils dépassèrent le groupe, firent un signe de tête en direction de Lif et James et ouvrirent la porte en bois poli à l'autre bout de la salle. On entendit résonner le bruit de leurs bottes contre le plancher pendant quelques secondes avant qu'un lourd silence ne retombe sur le groupe.
Personne n'osa prendre la parole... Le cœur serré, ils n'osaient pas dire ce qu'ils pensaient tous tout bas : Ils risquaient le bannissement, voire même, sous un coup de colère d'Arganon, la condamnation à mort... Ils ne comprenaient pas ce qui se passait... Tout était arrivé si vite.
Pendant l'assaut de Garelis un mois plus tôt, Lif et James avaient pénétré la base souterraine de l'Hérixe, dans le but d'en éliminer le chef. Ils avaient alors rejoints Efilenia, qui s'était infiltrée par ses propres moyens après avoir abandonné Robin, le dernier membre de l'escouade, qui s'était blessé. Efilenia avait surpris une discussion entre deux mercenaires et avait découvert la présence de bombes dans la grotte géante. Avant de continuer l'opération, ils avaient jugés qu'il valait mieux les désamorcer... Toutefois, après cela, l'alarme avait sonné et ils avaient dû fuir.
L'escouade Healther, qui était chargée de les assister, les avait attendus dehors.
Ils avaient ensuite été conduits jusqu'à Tela et Clark qui se tenaient à l'extérieur. Ces derniers discutaient avec les deux émissaires de Lotras, Juekpol et Pshar. Apprenant alors la fuite des mercenaires de l'Hérixe, James les poussa à la recherche de leur compagnon, Robin, laissé dans la forêt aux abords de la ville... Une explosion avait alors retentit et voilà qu'ils se retrouvaient ici, un mois plus tard... Qu'est ce qui a bien pu se passer ? se demanda James.
N'ayant rien à envier à Némis si ce n'est sa taille, il était toujours aussi musclé et imposant.
Ses cheveux noirs avaient légèrement poussés, lui arrivant maintenant au milieu du front. N'y tenant plus, il prit la parole :
- Je ne comprends pas. Efilenia tu avais bien désamorcé les bombes non ?
- Nous avons déjà eu cette conversation des centaines de fois... Oui. J'en suis certaine.
Tous les fils importants ont été coupés, et tout a été saboté... répondit-elle en s'asseyant. Elle passa les mains dans ses cheveux roux et réfléchis, faisant défiler la scène encore et encore dans son esprit.
- Mais alors comment ça se fait ?! s'exclama Clark.
- Il devait y avoir une autre bombe de l'autre côté de la grotte... répondit Lif, sur un ton distrait.
Ce dernier était perdu... Depuis l'assaut sur Garelis, l'image de l'innocente, morte de sa main, et de son tatouage, défilait sans cesse devant ses yeux. Il ne voulait plus se battre. Il s'était engagé pour défendre les innocents et la liberté, et voilà qu'il avait lui-même tué une innocente... Il disait lutter contre les groupes de criminels qui instauraient l'anarchie dans les régions éloignées des grandes villes alors qu'il avait lui-même entrainé, dans cette lutte, la destruction d'une ville entière et la mort de ses habitants... Au fond, qu'avait-il vraiment accompli jusqu'ici ?
Une porte s'ouvrit, mettant fin au pensées de Lif, qui se retourna en même temps que le reste de l'escouade. Ils étaient tous sur le qui-vive.
C'était le porte-parole du conseil. L'homme, très fin, faisait pale figure à côté des soldats. En réajustant ses petites lunettes rondes, ils purent le regarder droit dans les yeux. Ces derniers étaient noirs, d'un noir si profond qu'ils semblaient vides de sentiments et de compassion. Il déclara, sur un ton neutre et froid :
- Le Conseil est prêt à s'exprimer sur votre sort. Veuillez entrer.
Avec un très léger sourire aux bords des lèvres, il les fit entrer dans la grande salle du Conseil. Retenant une autre de ses pulsions guerrières, James ne lui sauta pas à la gorge. Il retenait son envie de transformer ce sourire en rictus de douleur.
Inspirant un grand coup pour calmer leurs tensions, les membres de l'escouade passèrent les deux immenses portes la tête haute, tentant de montrer un dernier signe de fierté avant le moment décisif.
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