Chapitre n°14: La Guilde
Les hautes tours de verre et d'acier avaient laissé place à de simples bâtiments en brique rouge. Éparpillés entre ces habitations, de véritables monstres de fers relâchaient d'épaisses fumées noires et grises. Tous crocs dehors, ils brûlaient de l'intérieur, les flammes des fourneaux ne cessant jamais d'être alimentées.
Atlas et son poursuivant avaient atteint les Complots, le quartier industriel de la ville.
- Tenez-vous prêts ! Il arrive !! s'écria Atlas, à bout de souffle.
Ce mec est un malade... songea-t-il, suant à grosses gouttes.
Ils avaient couru pendant une demi-heure, sans relâche et Atlas n'avait jamais réussi à le semer un seul instant. La foule de passants du quartier des affaires, les nombreux obstacles qu'il avait évité et virages soudains qu'il avait empruntés, les ruelles sombres du quartier industriel... Rien ne l'avait retenu. Il était maintenant temps de se battre.
Heureusement pour lui, Atlas avait réussi à atteindre l'usine abandonnée, l'un des repères de la Guilde. Son poursuivant regretterait d'être arrivé jusqu'ici.
Le bâtiment était immense. De longues barres de fer rouillées en délimitaient la toiture, dominant ainsi les nombreuses plaques de plastique blanches qui formaient les murs. Çà et là, d'ancienne machines attendaient patiemment d'être à nouveau l'objet de toutes les attentions. L'usine, créée soixante-dix ans auparavant, avait servi à scier, fondre et mouler les différents matériaux nécessaires à la construction du Mur. Une fois la gigantesque muraille terminée, le gouvernement abandonna les lieux et personne n'osa reprendre le contrôle de l'usine, située dans les profondeurs des Complots. Personne. Sauf la Guilde.
C'est ainsi que de nombreux malfrats, en grande partie des hommes, avaient investi le bâtiment. Reconnaissables à leurs vêtements typiques de l'Extérieur, ils portaient tous une longue robe de cuir à capuche, idéale pour se dissimuler et se protéger du froid tout en offrant une grande liberté de mouvement à son porteur. Parfait pour les conspirateurs de la Guilde donc.
Après être descendu au sous-sol de l'usine, Atlas salua son supérieur d'un respectueux signe de la tête. Celui-ci se tenait debout contre la balustrade en hauteur. Bien que jeune, il était très grand. Large d'épaules, sa carrure naturellement imposante forçait le respect de ses comparses et l'avait poussé à devenir chef. Sa mâchoire carrée était couverte de fins poils blonds, de la même couleur que ses longs cheveux en bataille.
- Je suis désolé Odile... La traîtresse n'était pas seule, et bien que non armés, ses compagnons ont posé problème, déclara Atlas, la respiration sifflante.
Il s'inclina, implorant la clémence de son chef.
- Est-ce qu'elle est morte ? répliqua simplement ce dernier.
- Je... Je ne sais pas. Elle a pris cher c'est sûr, mais je peux pas dire si elle... Bah, si elle est morte quoi.
- Alors pourquoi es-tu ici ? demanda Odile avant de faire un signe de tête à la dizaine d'hommes en contrebas.
- C'est ses compagnons ! L'escouade BlackFish a buté les deux qui m'accompagnaient et m'a pourchassé jusqu'ici.
- Tu les as fait venir jusqu'ici ?! s'exclama-t-il. Qu'est ce qui t'as pris ? Tu sais combien de temps il nous a fallu avant de trouver un lieu adéquat ? As-tu seulement idée du nombre de sacrifices que la Guilde a dû faire avant de trouver un endroit pareil ?
- Il est venu seul. Il doit déjà être là-haut maintenant... ajouta Atlas en fixant ses yeux noirs dans ceux, marron, de son maître.
Il avait retiré sa capuche, laissant apparaître ses courts cheveux noirs à peine brossés. Ses traits étaient fins et son visage légèrement arrondi. Ses yeux bridés lui avaient longtemps valu les critiques et les médisances. Cependant, avec son entrée dans la guilde, il avait appris à traquer, espionner et tuer. Cela avait été suffisant pour faire taire ses bourreaux d'autrefois.
Âgé d'à peine seize ans, il n'avait pas de barbe. Cela ne le dérangeait pas le moins du monde. Au contraire, il n'avait pas le temps de se raser.
Il n'avait que douze ans lorsque l'injustice de la vie le frappa de plein fouet : soupçonnés de soutenir les révolutionnaires de l'Extérieur, ses parents furent exécutés par la garde royale dans leur propre maison. En proie au désespoir, rejeté par tous et à la recherche d'un moyen de survivre, il avait été recueilli par la Guilde, qui avait fait de lui le résistant qu'il était aujourd'hui.
La vengeance de la mort de ses parents était la seule chose qui l'importait, et il était prêt à tout pour cela. Même à se faire malmener par Odile et à servir les intérêts d'une cause qu'il ne soutenait pas.
- Allez-y, ordonna-t-il à ses hommes. Et ramenez le moi vivant ! Il pourrait nous donner des informations importantes... Quant à toi, je m'occuperai de ton cas plus tard. Va avec les autres. Grouille-toi !
Atlas acquiesça. Maintenant que l'attention d'Odile était portée ailleurs, il devait se faire discret... Et il était grand temps de faire comprendre à son poursuivant qu'il ne fallait pas importuner la Guilde.
- Tu es à moi ! s'écria James en bondissant à l'intérieur de l'usine.
Il retint un hoquet de surprise à la vue du bâtiment abandonné. Il n'y avait rien d'autres que des machines poussiéreuses.
Aux aguets, il progressa lentement, à la recherche de la moindre trace de l'assassin. D'un pas lent, il progressait discrètement en direction du fond de l'usine.
Où il est ?! pensa-t-il.
- Allez... Tu es coincé et épuisé. Viens plutôt te rendre et je te promets de te capturer vivant.
James bouillonnait de l'intérieur, il détestait chercher et la longue course-poursuite avait déjà suffisamment duré. L'heure du combat avait sonné, et sa proie n'y échapperait pas. Il bondit derrière une machine, bras et jambes en avant, tentant de surprendre son adversaire. Il réitéra l'opération une dizaine de fois avant d'atteindre le mur du fond. Impossible ! Putain, il s'est planqué où ?! se dit-il, les yeux écarquillés.
- C'est moi que tu cherches ?
La voix venait de derrière lui. Il sourit.
- Te voil... déclara-t-il en se retournant lentement.
Il ne put terminer sa phrase. Sonné, il s'effondra sur le côté. James sentit qu'on lui plaçait quelque chose sur la tête et qu'on le soulevait. Plusieurs éclats de voix résonnèrent autour de lui tandis qu'on le déplaçait dans l'usine.
Après plusieurs minutes — peut-être plus ? —, il eut les mains et jambes liées à une chaise sur laquelle il avait été assis. On lui retira le sac qu'il avait sur la tête tandis qu'il reprenait ses esprits. Ébloui par la lampe au-dessus de lui, il plissa les yeux et ne put anticiper le coup de poing qu'on lui envoya au visage.
- Qui es-tu ? s'exclama une voix dans son dos, différente de celle du malfrat qu'il avait pourchassé.
James ne répondit pas. L'esprit embrumé, il tenta de comprendre ce qu'il s'était passé. Peu à peu, ses sens s'affinèrent et il put observer nettement les alentours. Plusieurs hommes lui faisaient face. Cachés dans l'obscurité, il ne pouvait distinguer leur visage. L'un d'entre eux s'avança et vint se placer sous la lumière, face à James.
Ce dernier ne le reconnut pas. L'individu était jeune, beaucoup trop pour ce genre de violence. L'anarchie et la guerre n'épargnent personne... songea-t-il.
- Tu m'as suivi jusqu'ici. Et maintenant tu vas prendre cher, déclara le jeune homme avant d'envoyer un rapide crochet au visage de son prisonnier.
En guise de réponse, James serra les dents et tira de toutes ses forces sur les liens qui le retenaient. La rage qui s'emparait peu à peu de lui commençait à altérer sa raison. Il sentait son cœur battre contre ses tempes, de plus en plus fort. Sa respiration était saccadée et il fixait intensément Atlas.
- Sale fils de...
Son adversaire interrompit son juron à l'aide d'un autre crochet, plus puissant cette fois.
James envoya un épais crachat s'écraser contre la jambe de celui-ci.
- Pourquoi ?! Pourquoi vous attaquer à elle ?! hurla-t-il.
- Ce n'est pas toi qui pose les questions ici, répliqua le jeune homme avant de lancer sa botte contre le nez de James en guise de punition.
Celui-ci émit un léger craquement désagréable et James grogna violemment. Du sang s'écoula lentement de ses narines. Quand celui-ci eut atteint les lèvres de l'Hélionois, il s'agita comme une bête en furie. Il tenta de se disloquer l'épaule à plusieurs reprises, en vain. Il contracta la totalité des muscles de son corps, luttant contre la solidité du bois de la chaise. La corde, quant à elle, était épaisse et tint bon.
- Assez ! somma la voix dans son dos.
James se calma et Atlas, qui allait frapper à nouveau, fit un pas en arrière. La respiration rauque du soldat résonnait dans le sous-sol.
- Vous voulez savoir pourquoi ? reprit la voix, grave et puissante d'Odile. Je vais vous dire pourquoi. Votre « amie », si on peut considérer que quelqu'un comme elle puisse l'être, a trahi son pays. Elle a trahi Lotras au moment où il en avait le plus besoin. L'Extérieur, frigorifié et affamé avait besoin de ses soldats pour les protéger. La plupart se sont lâchement terrés derrière le Mur, d'autres ont déserté... mais qui était là ? Qui nous a empêchés de nous entre-tuer ? QUI ?!
James reprenait peu à peu ses esprits et tendait l'oreille, écoutant attentivement.
De toute façon, il allait mourir ici. Autant essayer de comprendre les motivations de ses agresseurs.
- C'est bien ça, personne. Le peuple s'est déchiré et les soldats du mur l'ont regardé mourir. Pire encore, nombreux sont ceux qui participé au massacre. Tous ceux qui sont venu chercher refuge à Téloris ont été exterminés. Et où était votre « Efilenia » pendant tout ce temps ? Partie. Partie servir une nation étrangère, la vôtre je suppose. Elle a trahi son pays et ses citoyens. Il n'y a pas de seconde chance pour les lâches de la sorte.
Le soldat ne sut que répondre. D'un côté, la voix avait raison. De l'autre...
- Efilenia n'est pas comme ça ! Si elle a quitté le pays, c'est qu'elle venait surement secourir d'autres personnes dans le besoin ! s'exclama-t-il soudain.
- C'est ce que vous pensez ? Vraiment ? Allons... Vous êtes soldat. Et quel est le devoir ultime d'un soldat ?
- Servir et... Défendre sa patrie. Quel qu'en soit le prix, déclara James, dans un soupir.
Ce dernier avait l'esprit embrumé. Les paroles de l'homme avaient remis certaines de ses convictions en question et il ne savait plus quoi penser. Ef... Qu'as-tu fais ?
- Elle est partie le jour précédant le massacre. Vous comprenez, maintenant ?
- Vous mentez ! vociféra James. Tout ça n'est que mensonge ! Sale vipère !
Il cracha à nouveau. La glaire, visqueuse, éclata sur le sol et un lourd silence s'installa dans la pièce. Au bout d'une minute, Odile vint placer ses mains sur les épaules de son prisonnier et reprit la parole :
- La Guilde est le meilleur moyen que nous avons trouvé pour combattre les alliés de ce gouvernement sali par le sang de tant d'innocents. Elle donne la possibilité aux jeunes ayant perdu leur famille dans le massacre, aux combattants aguerris et aux parents désespérés de prendre les armes contre ce soit-disant progrès qui n'est profitable que pour une infime partie du monde. Nous, ce qu'on en dit, c'est que le progrès c'est de la merde. Et tout ce qu'on peut faire contre lui et ses représentants, Téloris, Hélion,... On le fait.
James sentit les ongles de l'homme s'enfoncer peu à peu dans sa peau. Ils étaient anormalement longs et taillés en pointe. Au début, il ne ressentit que de faibles picotements.
Puis, la douleur s'intensifia. Il serrait les dents tandis qu'une entaille se dessinait sur ses épaules.
D'épaisses gouttes de sang commençaient à couler le long de son dos.
- La Légion, les soldats du Mur, les escouades d'Hélion... Tout ça c'est la même merde. Bientôt, la Guilde entrera en action, et plus rien ne sera comme avant. On va bousculer la Cour comme jamais...
- Aaaaargh ! hurla James.
La douleur devenait insupportable. Bandant les muscles, il tenta d'éjecter les longs ongles de son tortionnaire hors de son corps. Rien n'y fit.
Le démon qui sommeillait en lui se réveilla à nouveau et il tenta de se débattre, donnant de violents coups de tête contre le torse d'Odile. Ce dernier ne lâcha pas prise et James frappa de plus en plus fort.
Agacé, le malfrat retira ses mains avant de lui asséner une gifle d'une violence inouïe. James tomba sur le côté, encore attaché. La joue en feu et les épaules sanglantes, il fatiguait.
- J'en ai fini avec lui, déclara Odile avant de s'essuyer les mains sur sa tunique. Essayez de lui faire dire ce qu'il sait sur les intentions du Roi et du Conseil d'Hélion. S'il ne parle pas, tuez-le.
Il disparut dans les ténèbres de la pièce. Deux hommes, grands et costauds, s'avancèrent alors et relevèrent James. Atlas leur fit un signe de tête avant de s'avancer dans sa direction.
Les lèvres tailladées, l'œil gauche boursouflé et le chemise en sang, le soldat releva la tête.
- T'oseras pas. T'as pas ce qu'il faut pour ce genre de boulot. Tuer quelqu'un, c'est une chose. Mais torturer... C'est bien plus dur. On n'est pas fait pour infliger de la douleur aux autres. Alors un gamin comme toi... Même pas en rêve.
- Je t'arrête tout de suite. Cela fait quatre ans que ma vie n'est que douleur, et ce, à cause de gars comme toi. Je t'ai vu, toi et tes semblables, assassiner mes parents sous mes yeux. Maintenant, il n'y a que ça qui compte. La vengeance. Alors, oui, tu vas souffrir.
Au nom de tous ceux que vous avez tués.
Il s'avança encore, sortant un léger poignard d'un étui accroché sur son torse.
- Je ne sais pas de quoi tu parles. Et tu sais quoi ? Vas te faire foutre. On ne tue pas des inconnus comme ça, sous prétexte qu'ils « ressemblent » à ceux qui t'ont fait du mal. Donc tu peux me tuer maintenant, parce que je ne dirai rien du tout. Maintenant, allez bien vous faire enculer, lâcha James, encore en colère.
Il cracha à nouveau, en direction des trois hommes. L'un d'entre eux fit mine de riposter en levant son poing mais Atlas l'arrêta.
- Très bien.
Il s'avança alors, couteau en main. Ses mains tremblaient et d'épaisses gouttes de sueurs suintaient le long de son bras droit. Était-il prêt à tuer à nouveau ? C'était toujours la même question. Mais la réponse n'était pas si évidente.
L'un des deux hommes plaça sa main sur l'épaule du jeune homme et lui chuchota :
- Tu ne veux pas que je le fasse ?
- No...
Il n'eut pas le temps de répondre. Un bruit sourd résonna dans la pièce et un objet rebondit en son centre. Une grenade fumigène.
Soudain, les deux hommes qui l'entouraient s'effondrèrent, comme s'ils avaient été frappés par la foudre. Le gaz commençait à se répandre et, en quelques secondes, Atlas ne fut plus capable de distinguer quoi que ce soit à plus d'un mètre cinquante de lui. Il s'empressa alors de vérifier l'état de son prisonnier, avançant à tâtons. La panique avait gagné les autres malfrats et ils s'étaient tous dispersés, à la recherche du ou des individus qui les attaquait.
Quelques instants plus tard, il sentit le contact du bois de la chaise au bout de ses doigts.
Cependant, l'Hélionois avait disparu. Ses liens avaient été tranchés.
- Attention ! Le prisonnier s'échappe ! hurla Atlas avant d'être violemment frappé par la crosse d'une arme.
Il perdit connaissance.
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On approche dangereusement de la fin de ce premier tome et j'espère que l'histoire continue à vous plaire. J'ai pris énormément de liberté dans cette deuxième partie, notamment pour ouvrir l'histoire et rentrer dans un style peut-être un peu plus aventureux et moins centré sur une seule action principale donc j'espère que ça vous plait!
Si ce n'est pas le cas, comme toujours, dites le moi. Sachez que je prends tous ces commentaires extrêmement au sérieux et que je m'arrange pour les corriger rapidement (dans la semaine généralement), donc votre avis a une réelle importance. L'amélioration de cette histoire me tiens très à cœur !
Voilà, c'est tout, à très bientôt!
Ah et j'oubliais... #TeamJames Faouzia :D
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