Chapitre n°12 : Novice d'aujourd'hui, Maître de demain


Déjà éméchées par les nombreux coups qu'elles avaient reçus, les planches de bois circulaires servaient de cible aux nombreux exercices de l'organisation. Peintes de différentes couleurs, elles avaient résisté à plusieurs centaines d'assauts de novices s'initiant au tir... Toutefois, leur nouvel adversaire, beaucoup plus expérimenté, était sans pitié. Une par une, il les extermina. Il avait commencé à l'aube, alors que la base toute entière somnolait encore. En l'espace d'une heure, il avait fait un trou d'une dizaine de centimètre de diamètre au cœur de chacune d'elles. Précis et rapide, il n'arrêta pas le carnage avant d'être à court de munitions. Méthodique et surentrainé, il avait réalisé les mêmes manœuvres, encore et encore, une centaine de fois. Il était maintenant temps de voir s'il avait réussi.

Désireux de connaître la réponse à la question qu'il se posait depuis plusieurs mois, il s'avança en direction des cibles, abandonnant son fusil de précision sur le comptoir du stand de tir. Escaladant la roche, il s'approcha de chacune d'entre elles, tentant de déceler une quelconque trace d'échec. Après plusieurs minutes, le verdict était tombé : il n'avait raté aucun de ses coups.

Sam était enfin prêt. Il quitta son air sévère et s'abandonna au sentiment de victoire qui prenait peu à peu possession de lui. Il avait réussi. Cent cinquante balles avaient été tirées. Cent cinquante balles avaient heurté le bois, autrefois solide et propre des cibles. Pas une de moins.

La première fois depuis qu'il s'était engagé. La première fois depuis dix ans. Pris d'un fou rire nerveux, Sam n'avait pas remarqué l'homme qui se tenait derrière lui.

- Jolis tirs ! s'écria ce dernier, le bras appuyé sur l'une des cibles, avant de se mettre à applaudir lentement, une pomme dans la main droite.

Sam se retourna, surpris. C'était la voix de Cathiel... Et c'était le premier compliment qu'il ne lui avait jamais fait.

- Mais... ? répondit-il, sur un ton désabusé.

- Tu en as oublié une ! répliqua Cathiel, un grand sourire sur les lèvres.

Il lança la pomme au-dessus de la tête de son ancien élève qui dégaina immédiatement ses pistolets. Après une salve de tirs, la pomme retomba lourdement sur le sol, en miettes.

- Bienvenue de l'autre côté mon ami ! s'écria alors Cathiel avant de prendre Sam dans ses bras.

Sam souffla. Après des années de formation, des années de combat et de souffrance, il avait persévéré. On l'avait sanctionné, jalousé, insulté, rabaissé... Mais aujourd'hui, il n'était plus « l'étoile montante » d'Hina, sa première entraîneuse. Il était Sam, le prodige de la division Cible. La reconnaissance que Cathiel, vétéran d'exception par excellence, lui offrait était la seule chose qui lui manquait. La seule chose qui le poussait à se surpasser, sans jamais être satisfait. Et il venait de l'obtenir.

- Oh tu sais, tu peux pleurer hein... Il n'y a que les imbéciles qui n'éprouvent pas de sentiments, ajouta Cathiel, sentant le désarroi du jeune tireur d'élite.

- Mais...

- Ce que je t'ai dit à propos d'oublier ce que nous disent notre cœur et notre conscience ne concerne que les combats jeune homme. En dehors, tu as le droit de ressentir ce que tu veux.

N'y tenant plus, Sam resserra son étreinte sur son ancien maître et déclara, les larmes aux yeux :

- Merci. Merci Cathiel...

- Dois-je comprendre qu'il a réussi ? demanda Jad, debout contre le comptoir.

Les deux hommes s'écartèrent et Sam passa la main sur son visage. Jad s'approcha et félicita son protégé d'une bourrade dans le dos. D'un signe de tête, il invita Cathiel à le suivre. À l'écart de Sam, ils engagèrent une discussion qui semblait le concerner tandis que celui-ci retourna au comptoir prendre soin de son fusil. Il nettoya le canon de son arme à l'aide d'un chiffon, souffla sur la lunette de visée, vérifia que la chambre à air ne s'était pas enrayée... Chaque jour, il prenait le plus grand soin de son arme, qu'il considérait maintenant comme une partie de lui-même.

Posant sa main sur son épaule, Jad l'interrompit.

- Écoute Sam, je viens d'en parler avec Cathiel et il est d'accord...

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- L'Hérixe a besoin d'aide. Ceux qu'on a envoyés remplir le plus gros contrat jamais réalisé par l'organisation ont essuyé de nombreuses pertes. L'Ikota a besoin de renforts. Maintenant que tu es officiellement passé maître dans ton art, il va te falloir faire un choix : Tu peux partir avec moi, défendre les intérêts de notre organisation et mettre à mal ces salauds d'Hélion et de Lotras qui fournissent encore en armes et en hommes l'armée d'Argalie ou...

- Ou ?

- Tu restes avec Cathiel pour entrainer nos dernières recrues. Nous t'offrons ce choix parce que nous estimons que tu le mérites, mais sache que l'Aigle Blanc ne manque pas de maîtres et que l'Ikota serait un lieu parfaitement approprié pour te faire connaître parmi les révolutionnaires et mettre à l'épreuve ton récent entrainement.

- Je vois...

- Je pars dans deux heures. Retrouve-moi avec tes affaires dans l'entrée du bâtiment si tu viens avec moi. Sinon, je te dis adieu.

Sans que Sam n'aie le temps de répondre, il le salua solennellement et sorti du stand de tir.

- Allez, je vais remplir les papiers confirmant ton passage au stade de maître. Tu vas pouvoir prendre du grade mon petit ! Maintenant il faut que tu fasses ton choix Sam... N'oublie pas : pour Lotras ! déclara Cathiel avant de suivre Jad, l'abandonnant à ses réflexions.

Le champ de bataille... Là où les soldats les plus méritants sont reconnus, là où l'Hérixe combat Lotras et Hélion ouvertement. L'Ikota est le lieu parfait pour tous ceux qui veulent mettre à mal la réputation du Roi et les forces armées de Lotras... songea Sam. Que faire ?

Pensif, il ramassa son arme avant d'errer dans les longs couloirs blancs de la base. Mis à part celui d'intégrer l'organisation huit ans auparavant, c'était certainement le choix le plus difficile qu'il n'ait jamais eu à faire. Rester ici lui permettrait de rester en sécurité, de continuer à progresser. Mais ça lui laissait surtout la possibilité de revoir Rick un jour. On l'avait transféré dans l'Aigle Blanc sans l'avertir que ce n'était pas temporaire. Il comprenait maintenant tout ce que cela signifiait.

Pendant qu'il cherchait la clé de sa chambre dans sa poche, le souvenir de toutes les missions qu'il avait remplies jusqu'ici, des longues conversations, parfois mouvementées, qu'il avait eu avec Rick le firent sourire. Il se souvint du jour où Hina l'avait surpris en train de tirer à l'arc dans les bois. C'était la première fois qu'il se faisait attraper pendant qu'il braconnait. Lui reconnaissant un certain talent, elle lui donna le choix : faire le test d'entrée de l'Hérixe ou travailler gratuitement pour elle pendant un mois.

Faute de parents et devant nourrir sa sœur, le choix n'avait pas été difficile. Il avait brillamment réussi le test d'entrée et on lui proposa de la prendre en charge s'il participait activement à défendre leur cause. Il n'avait pas d'argent et ses parents étaient morts de la main de soldats Lotrassiens. La cause de l'Hérixe lui semblait légitime. Il avait accepté.

Pour faire honneur à sa famille, il s'était battu sans relâche pour arriver à ce stade. Chloé, sa sœur, n'avait qu'onze ans quand il avait rejoint l'organisation. Cherchant la photo qu'il avait gardée d'elle dans l'un des tiroirs de son armoire, il se remémora tous les détails. Ils avaient la même chevelure blonde, les siens lui tombant sur les épaules. Leurs yeux verts et leur mâchoire carrée accentuait leur ressemblance. Cependant, là où Sam avait un long nez fin qu'il tenait de leur mère, elle avait un petit nez rond, autrefois possédé par leur père. Il observa l'image quelques instants, s'arrêtant de penser, admirant simplement la belle jeune femme que sa sœur était devenue.

Partir pour l'Ikota pouvait signifier ne jamais revenir. Abandonner sa sœur.

- Chloé... lâcha-t-il dans un soupir en s'asseyant sur son lit, la photo à la main.

Il passa la main sur son visage, séchant les larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Il inspira, expira, longuement... Au début, il avait dû apprendre à survivre. Ensuite, on lui avait appris à se battre. Mais maintenant, après tout ce temps, il ne savait toujours pas comment se comporter avec les autres. Sa sœur le rejetait parfois, l'accusant de n'avoir pas su empêcher la mort de leurs parents. Souvent, elle l'encourageait à devenir plus fort, à gagner en puissance pour être capable de les venger. Cependant, deux mois plus tôt, elle lui avait fait parvenir une lettre lui demandant de tout arrêter, de la rejoindre et de mettre fin à son engagement au sein de l'organisation. Alors que la solitude lui convenait parfaitement, les relations humaines lui semblaient bien trop complexes.

- Je suis désolé petite sœur... C'est maintenant ou jamais. Tu entendras parler de moi et de mes exploits jusqu'à chez toi, promis, déclara-t-il en se relevant. On ne peut plus laisser le Roi gagner une bataille de plus !

Il rangea la photographie dans la poche intérieure de sa veste et rassembla ses affaires dans un gros sac à bandoulière.

Une heure et demie plus tard, il s'était douché, avait vidé sa chambre pour le prochain occupant et fait ses adieux à ceux qui s'étaient occupés de lui pendant son séjour.

Il avait fait son choix.

- C'est bon, tu es sûr que c'est ce que tu veux ? lui demanda, Jad, debout devant l'entrée de la forteresse.

- Certain, répliqua Sam, sans hésitation.

- Très bien. Allons chercher deux chevaux au village. On ne trouvera pas d'autres moyens de transports avant plusieurs centaines de kilomètres.

- Alors on n'a pas une minute à perdre ! s'exclama Sam avant de s'élancer sur le flanc de la montagne.

Hina, Rick, Chloé... Il est temps de vous faire honneur. Je vous prouverais que le gamin maladroit que j'étais n'existe plus. Pour Maman et Papa. Pour Lotras, pensa Sam.

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