Chapitre 25

Ni Carmen, ni Sumuel n'avait cillé durant ses quelques heures passés en la compagnie de l'autre. Ils ne se lâchaient pas du regard une seule seconde. Mais pas pour les mêmes raisons. Sumuel espérait percevoir une once de sympathie dans les grands yeux verts de Carmen tandis que cette dernière agissait comme un animal blessé. Elle redoutait le moment où elle détournerait ses yeux et de ce que ce dernier pourrait lui faire. Elle avait maintenant connaissance de sa perfidie et elle s'en méfiait comme de la plus purulente des maladies. Son couteau encore bien en main, elle ne décrocha pas Sumuel de sa vision.

Soudain, un bruit lourd se fit entendre. Carmen et Sumuel se tournèrent vers la provenance du son. Un tourbillon bleu métallique se forma sous leurs yeux. Sans avoir le temps de comprendre, Nova et Mulligan apparurent en un éclair. Les deux jeunes gens tombèrent à terre et s'écrasèrent au sol avec fracas.

- Bon sang, Nova il s'en ai fallu de peu, maugréa Mulligan en se relevant péniblement. 

Carmen se leva de sa chaise et s'élança vers son amie tandis que Sumuel resta immobile, les pupilles complètement écarquillées par ce qu'il venait de se produire devant lui. 

- Ca va ? demanda Carmen tout en tendant la main vers Nova. 

- Vous avez le carnet ? questionna Sumuel à son tour, qui s'était visiblement acclimaté face à la façon dont les deux jeunes gens avait débarqué dans sa salle à manger. 

Nova prit le carnet qu'elle avait mis au niveau de la ceinture de son pantalon et le lança de toutes ses forces au visage du tenancier. Celui ci eut à peine le temps de s'écarter avant que le cahier ne s'écrase contre le mur. Sumuel se baissa pour le ramasser et l'ouvrit frénétiquement, scrutant toutes les pages qui défilait devant ses yeux. 

- Tu as ce que tu voulais. Maintenant à ton tour de tenir promesse, renchérit la jeune femme. 

- Oui, oui. Plus tard, je vous conduirais à Morgus, répondit Sumuel, qui ne quittait pas le carnet des yeux. 

- Vous aviez promis de nous mener à Morgus, si Nova et Mulligan vous ramenaient votre carnet. 

- J'ai dit que je vous y mènerais, je n'ai pas précisé quand. 

A ces mots, Nova oublia toute la douleur que lui avait procuré sa chute. Elle oublia même qu'elle venait, grâce à une mystérieuse gemme, d'être transporté d'un endroit à un autre. Elle ne sentit que le pommeau froid de la dague qu'elle avait subtilisé à Bill le Gros. Ses doigts s'y agrippèrent et sa main libéra l'arme qui se retrouva contre la gorge de l'arnaqueur. Une fois encore. 

- Comme je te l'ai dit avant que tu ne nous envoie dérober ce pauvre amas de feuilles inutiles, si je dois me passer de toi pour retrouver Morgus, je le ferais. Tu ne m'es pas vital. Seulement un gain de temps. Alors si tu ne veux pas m'y amener, je ne vois aucune raison de te laisser vivant. 

Cette fois ci, ni Carmen, ni Mulligan n'avait empêché Nova de s'en prendre à Sumuel. Celui ci sentit la lame glacée lui presser la jugulaire un peu plus à chaque secondes qui s'écoulaient. Il tenta par un regard affolé, de demander de l' aide à Mulligan. 

Ce dernier avait pris place sur une des chaises qui leur avait été dressé pour le petit déjeuner et but une gorgé d'hydromel. 

- Comme tu peux le voir, la demoiselle a une dague dans les mains et est très remontée. Si j'étais toi, je lui donnerais ce qu'elle demande, se contenta-t-il de dire. 

Sumuel déglutit. Le regard que lui portait Nova était emplie, d'épuisement et de ténacité mais surtout de haine. Une haine qui embrasait tout son corps. Elle ne pensait plus à rien, juste à obtenir ce qu'elle voulait. Peu importe les conséquences. Elle n'avait jamais rien tué. Mais elle était prête à faire une exception pour cette fois. 

- D'accord, d'accord, je vais vous y conduire maintenant, s'aligna Sumuel. Mais baisse cette dague par pitié. 

- Je veux être sure que tu ne mentes pas encore, répliqua Nova, l'arme toujours à son cou. 

- La vie me semble être une bonne raison ironisa t-il. 

Nova bouillonna de l'intérieur. Même avec une lame sous la gorge, ce lâche se moquait encore d'elle. 

Carmen, témoin de la scène s'approcha alors de Sumuel. Alors que Nova ne le lâchait pas du regard, il sentit le carnet qu'il tenait dans sa main gauche, lui échapper des doigts. La jeune Voyageuse le lui avait enlevé. Elle s'éloigna alors d'eux et avec détermination, approcha le cahier tant convoité près d'une bougie qui brûlait sur la table. 

Avec un calme sans faille, elle déclara : 

- Si tu veux pouvoir consulter ton carnet, tu nous conduis maintenant à Morgus. Sinon tu ne récupèreras que des cendres. 

- Tu n'oserais pas, répondit-il d'un rire jaune. 

Carmen rapprocha l'un des coins du carnet de la flamme. Celui commença lentement à se noircir tandis qu'une braise se forma en son sein. 

- Je ne parierais pas là dessus. 

La peur s'empara du regard de Sumuel. Entre sa vie menacée et l'idée de voir l'objet de son désir partir en fumée, il se résigna. 

- Non, non. Je vous y conduis. Je le jure sur ma vie. Mais je vous en supplie, ne brûlez pas le carnet. 

Carmen retira alors le cahier de l'emprise du feu tandis que Nova libéra Sumuel. Lorsque la dague se retira du cou de l'homme, elle remarqua qu'un filet de sang s'en échappait. Lui aussi le sentit et porta sa main à son cou pour s'essuyer. Il lança à la jeune femme un regard noir, qu'elle lui rendit accompagné d'un sourire narquois et fier. Grâce à cette marque, il se souviendrait toujours de ce qu'elle était capable de faire. 

Sumuel ajusta sa veste. 

- Morgus se trouve au nord de la ville. Nous passerons par mes souterrains pour le rejoindre, dit-il en montrant de la main, une porte située en dessous de l'escalier. 

- Mais après toi cher ami, lui indiqua Mulligan. A toi de prendre la tête de la marche. 

Sumuel murmura quelques injures, qui firent sourire le jeune homme. Lorsque Sumuel fut arrivé à son niveau, Mulligan lui empoigna le bras et lui chuchota ses quelques mots : 

- Crois moi tu as eu de la chance qu'elle ne t'ai pas égorgé sur place. Mais je te préviens, avise toi de nous la faire à l'envers ou de nous tendre un quelconque piège, sache que je ne serais pas aussi clément qu'elle. S'il faut te tuer sur place, je le ferais. D'autant plus que tu as juré sur ta vie. Alors compte sur moi pour mettre ta promesse à exécution. En hommage à notre amitié. 

Sumuel se retira de l'étreinte du Capitaine et ouvrit la porte. A l'aide d'une des bougies, il alluma un cierge qui éclaira les quelques mètres de galeries qui s'offraient à eux. 

- N'oubliez pas de fermer la porte derrière vous, dit-il. 

*** 

Ils avaient marché plus de deux heures à travers les nombreuses galeries souterraines de Phocée. Aussi sombres que gigantesques, les deux jeunes femmes avançaient à tâtons. Sumuel avait pris la tête, suivi de Carmen, puis Nova et enfin, Mulligan qui fermait la marche. Ce dernier ne semblait pas plus décontenancé par l'existence de ces souterrains. Il n'était pas gêné par le froid mordant qui saisissait chaque extrémité des deux amies. Nova devait donc souffler sur les paumes de ses mains par intervalle régulier pour que ses doigts ne s'engourdissent pas. 

- Tu devrais plutôt secouer tes mains ou les mettre dans tes poches plutôt que de juste les secouer, fit remarquer Mulligan.

- Non tu penses, ironisa Nova en levant ses yeux au ciel. Le seul souci c'est que je n'ai pas de poches donc on repassera pour tes conseils de grand génie. 

- Ne serait-ce pas de l'animosité que je sens dans ta voix ? , demanda t-il

- Aucune. Ce n'est pas comme ci on s'étaient retrouvé dans un bourbier supplémentaire grâce à ton ami, répliqua sèchement Nova. 

- C'est drôle, car c'est justement grâce à ce bourbier comme tu dis, que tu vas retrouver la personne que tu cherches depuis des semaines. 

- J'aurais très bien pu le trouver seule. 

- Oui, dans une ville que tu ne connais pas et des dons que tu ne maitrisent pas, avec des mercenaires à tes trousses. Sans Sumuel, tu n'aurais été qu'une bombe ambulante, prête à éclater dans la ville. 

- Tu le défends maintenant ? 

- Je défends nos intérêts, reprit-il.

Il l'avait attrapé par le bras pour qu'elle lui fasse face. Malgré l'obscurité, elle pouvait percevoir le bleu de ses yeux qui ne la quittaient pas. Elle lui rendit son regard. Plus appuyant. Plus en colère que le sien. 

- Nos intérêts, c'est la meilleure. Ou est passé le grand capitaine qui n'aurait pas hésité à me faire passer par dessus bord ? 

Mulligan laissa glisser sa main tout le long du bras de Nova. Jusqu'à arriver au niveau du poignet de la jeune femme. Elle sentit ses phalanges pénétrer entre ses doigts. Un soupçon de chaleur l'envahit. Il renferma sa main dans la sienne. Le froid s'atténua. Mais pas assez pour l'oublier. Il attira alors leurs mains à sa bouche et souffla délicatement en ne lâchant pas du regard. Un regard profond, empli de sincérité. Il chuchota : 

- Il est mort avec son navire. 

Nova ne sut pas quoi répondre. Elle ne voulait pas lui montrer l'effet qu'elle éprouvait dès que leurs peaux rentraient en contact. Un nœud se noua dans son estomac.

- Ne trainez pas trop derrière, nous ne sommes pas les seuls à arpenter ces tunnels, déclara Sumuel. Ce serait fâcheux de tomber sur des contrebandiers.

Les deux jeunes gens se détournèrent et Mulligan s'éloigna de la jeune femme. Ils reprirent leur marche. 

Arrivée au niveau de Carmen, Mulligan dépassa la jeune fille et prit sa place dans la file. 

- Je voulais te demander, comment tu as fait pour te téléporter ? demanda Carmen 

- Quoi ? demanda Nova

- Avec Mulligan et le carnet. Vous deux êtes apparus de nulle part dans la salle à manger. Je n'ai pas osé te poser la question au vue de la situation.

Nova hésita quelques secondes puis se confia à cœur ouvert.

- Chez Bill le Gros, lorsqu'on cherchait le livre, je suis tombé sur toute une réserve de pierres. J'en ai pris une et j'ai aussi pris cette dague, dit-elle en dévoilant l'arme qui était à sa ceinture. Avec Mulligan on a du se cacher dans un des placards. Je ne saurais pas t'expliquer comment ou pourquoi mais la pierre m'a parlé... 

- La pierre t'a parlé ? 

- Oui elle voulait que je lui dise où je souhaitais aller. Je sais que ça peut paraitre fou, mais elle nous a ramené à l'auberge. 

- Je te crois, l'interrompit Carmen. Entre nous ça ne serait pas la chose la plus folle qui nous a soit arrivée ces dernières semaines, dit-elle. 

Un léger ricanement échappa des deux jeunes filles. Elles exprimaient leur nervosité à travers les rires. Après tout il valait mieux en rire qu'en pleurer. Tant qu'il en était encore temps. 

- Nous sommes arrivés. 

Devant eux, se dressait une porte en bois. Sumuel prit une des clefs de son trousseau et l'inséra. La porte s'ouvrit instantanément. La lueur des rayons du soleil obligèrent Nova Carmen et Mulligan à mettre leur main en casquette, de sorte à ce que leurs yeux ne soient pas agressés par la luminosité naissante. 

Ils s'extirpèrent des galeries souterraines et se retrouvèrent dans rue déserte. Il n'y avait devant qu'un bâtiment en vieille pierres. Les fenêtres étaient feutrées. On ne pouvait discerner que des rires féminins et sentir l'odeur de l'alcool empester à des kilomètres. 

Mulligan se retourna instantanément vers Sumuel sans que Nova et Carmen ne comprennent réellement quel était cet endroit.

- Je te préviens Sumuel, si c'est encore un de tes pièges, fais tes adieux maintenant.

-Je te jure Milo, que Morgus est à l'intérieur. 

- En quoi est-ce dérangeant que Morgus soit à l'intérieur de cette taverne, demanda Carmen. 

- C'est un bordel, répliqua sèchement Mulligan. Un putain de bordel.

Carmen rougit immédiatement tandis que Nova soupira.

La porte s'ouvrit et un homme se rhabillant sortit de l'établissement. Sumuel en profita pour retenir la porte. D'un regard, il les invita à pénétrer au sein de la maison close.

A l'intérieur, la lumière jaunâtre était tamisée. La pièce était jonché de rideaux légers rouges et de canapés en velours. De toutes parts un défilé de corps nus se muaient devant eux. Principalement des femmes dont la poitrine étaient exposées à tous. La plupart étaient sur les genoux d'hommes en tout genre. Munis d'un verre d'alcool, ces derniers rigolaient, embrassaient, touchaient, se mouvaient. Personne ne sembla prêter attention au groupe. 

Une petite femme rousse, vêtue d'un voile bleu passa devant eux, un plateau de vin à la main. Sumuel s'adressa alors à elle. 

- Nous cherchons Morgus, se contenta t-il de dire. 

La jeune femme lui indiqua d'un signe de la tête, un canapé de velours au fond de la pièce. 

- Il est là bas. Comme à son habitude. 

Sumuel la remercia. Ils se dirigèrent donc en direction de l'endroit indiquée par la prostituée. Nova ne prêta alors plus aucune attention à l'environnement autour d'elle. Comme si elle avait des œillères, elle regarda droit devant elle et marcha à grandes enjambées. 

Elle se retrouva face à un homme, accompagnée de deux femmes, une sur chacun des ces genoux. 

Il était visiblement saoul. Ses longs cheveux noirs et grisonnants encadrait un visage marqué de rides. Ses yeux gris étaient posés à la fois sur son verre rempli de vin rouge, autant que sur la jeune fille à sa droite, qui feignait de rire à ses moindres paroles. Sa chemise était à moitié ouverte, laissant apercevoir quelques poils gris sur le torse. Il porta son verre à sa bouche, laissant s'échapper quelques gouttes le long de sa barbe de trois jours.

Il était là. Devant elle. Morgus. L'homme qu'on lui avait sommé de trouver si elle voulait des réponses à ses questions. Si elle voulait vivre. Elle était maintenant face à lui tétanisée. Milles questions lui vinrent en tête.

Sumuel s'approcha alors de Carmen et dit : 

- Maintenant que vous avez ce que vous vouliez, rendez-moi votre carnet. 

Carmen regarda en direction de Nova, qui lui indiqua d'un signe de la tête de lui restituer son dû. Ce qu'elle fit. Une fois que le carnet fut dans les mains du tavernier, il disparut sans un mot.

Nova cherchait le courage nécessaire pour aller aborder Morgus. Elle, le connaissait de nom mais lui. Avait-il conscience de son existence ? Il était là, rieur et d'humeur festive. A ses côtés, Mulligan et Carmen n'osèrent faire le moindre pas, jugeant que c'était à la jeune femme de faire cette démarche. 

Nova décida alors de se ressaisir. Elle devait tenter le tout pour le tout. La curiosité s'avérait être plus forte que la peur de se prendre un mur. Elle avança alors d'un pas, se positionnant face à lui, les pieds ancrés dans le sol. 

Morgus détourna la tête d'une de ses compagnes et regarda de haut en bas Nova. Arrivé au niveau de son visage, ses yeux s'écarquillèrent, son souffle se coupa. Il laissa échapper son verre, causant un bruit sourd et une flaque de vin au sol. 

Dans un murmure rauque, il dit : 

- Aliénor ? Est-ce bien toi ? 

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