Chapitre 22

Contrairement à la veille, des nuages menaçants avaient pris place dans le ciel de Phocée. Le grondement sourd d'un orage força Nova à se réveiller. Sans ouvrir les yeux, Nova sentit une pression s'exercer le long de son buste ainsi que de ses jambes. Elle entrouvrit alors un œil. Toute la pièce semblait embrumée, cette sensation étant  simplement dû à son esprit qui tentait de s'éveiller. La seconde paupière fit de même. Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent. Sa tête était délicatement posée sur le torse du Capitaine Mulligan tandis que ce dernier l'avait attiré vers lui tout en l'étreignant de son bras droit. Elle regarda le jeune endormi et décortiqua les moindres traits de son visage. Ses cheveux châtains étaient tout ébouriffés et un sourire innocent, presque angélique ornait son visage, d'habitude si dur. Elle releva délicatement son bras pour s'extirper de cette étreinte forcée mais sa fuite fut immédiatement remarquée. Le jeune homme grogna et ouvrit à son tour les yeux. Il ne fut absolument pas surpris de retrouver Nova au creux de ses bras. Alors qu'elle lui faisait les gros yeux, lui ne laissait rien transparaître. Au contraire, il se contenta de sourire.

- Je vois que tu n'as pas perdu de temps

- Dit-il alors qu'il m'a retenu contre mon gré toute la nuit, répliqua t-elle.

- C'est comme ça que tu me remercies pour avoir passé une bonne nuit. T'es vraiment ingrate.

- J'aurais pu tout aussi bien dormir dans mon lit.

- Encore aurait-il fallu que tu arrives à ouvrir la porte, ricana le jeu ne homme de bon cœur.

Ouch, touché se résigna Nova. Elle avait beau contrer les piques qu'il lui adressait, elle devait cette fois s'avouer vaincue.

- Tu peux me lâcher maintenant ? demanda t-elle.

- Ca dépend, qu'est ce que j'y gagne ?

- Le droit de ne pas te prendre ma main dans la figure de bon matin ?

- Ce que tu es rabat-joie. Profite du moment présent. De nombreuses jeunes filles rêveraient d''être en la compagnie du plus beau mâle de Phocée, encore plus dans son lit.

Nova ne put s'empêcher de pouffer de rire. Il resserra alors sa prise sur la jeune femme. Mais il ne fut pas assez rapide et sentit une masse s'abattre sur sa joue. Le choc avait été léger et sans douleur. Il dériva son regard vers son assaillante et la vit, un coussin à la main. Elle avait été plus vive que lui. Il porta sa main à sa joue et se la malaxa, libérant Nova par la même occasion.

- T'y a pas été de main de morte dis donc.

- Je m'en fiche.

Et sur ce, elle se leva de sa couchette et mit le manteau du jeune Capitaine sur ses épaules.

- Mais fais comme chez toi, je t'en prie.

- Je te rappelle que la porte de ma chambre est coincée. Je n'ai rien pour me couvrir et je n'ai pas forcément envie que toute l'auberge me voit en petite tenue.

- Je m'en fiche, répéta Mulligan avec un grand sourire.

- Tu étais beaucoup plus aimable hier soir.

- Un instant de faiblesse, ne t'habitues pas trop.

Il se leva à son tour et s'habilla , mais laissa son manteau à Nova. Bien que descendre pratiquement nue dans la salle du repas aurait fait une punition assez jouissive, il n'eut, ni le cœur,  ni l'envie qu'elle se présente ainsi à de parfaits inconnus. 

Les deux jeunes gens sortirent de la chambre et se dirigèrent en bas, pour prendre leur petit déjeuner. A mesure qu'ils descendaient les marches, Nova humait les merveilleuses odeurs qui emplissait l'espace, à commencer par celle du lard fumée. Elle s'imaginait déjà attablée, s'apprêtant à déguster la première bouchée de ce qui serait un festin, par rapport aux repas de ces derniers mois. 

Ils tombèrent sur une salle à manger pratiquement vide. Les nuages qui traversaient les grandes fenêtres de la pièce, donnaient l'impression que cette dernière était plongée dans la pénombre. Il n'y avait que très peu de tables, cinq à tout casser, dont une seule était utilisée. Et c'est à celle ci que Nova retrouva Carmen ainsi que leur hôte Sumuel. 

- Ah, vous voilà, clama t-il. Vous avez fait une grasse matinée à ce que je vois !

Nova tourna la tête en direction de l'horloge qui trônait. Elle indiquait huit heures. 

- Normalement, le soleil à Phocée pointe très tôt et se couche très tard. Nous vivons à son rythme. Vous avez de la chance, aujourd'hui le temps n'est pas très bon. Cela permet de se reposer de temps à autre. Mais trêve de mondanité, vous devez être affamés. 

- Je dois vous avouer que oui, dit Nova légèrement gênée. 

Mulligan s'assit, la jeune fille fit de même. Sumuel se dirigea vers la cuisine et revint les bras chargés de mets de tout genre. Du fromage, du pain chaud, des pichets de lait et surtout le fameux lard grillé que Nova ne lâcha pas du regard. 

Le ventre de la jeune fille vrombit. Sumuel, Mulligan et Carmen se tournèrent vers elle avec des gros yeux. 

- On dirait bien qu'il va y avoir de l'orage, dit-elle en tentant de sauver la face. 

Carmen explosa de rire tandis que Mulligan leva ses yeux au ciel. Seul Sumuel lui tendit une assiette, qu'elle engloutit rapidement. 

- Mangez, mangez, dit-il. Maintenant que nous sommes tous réunis, cela me semble le moment opportun pour parler paiement. 

Tout le monde se stoppa net. Mulligan planta ses yeux dans ceux de Sumuel. 

- Ne tournes pas autour du pot, qu'est ce que tu veux Sumuel ? 

- Doucement, Milo, pas la peine de te braquer comme ça. Rien de bien méchant. Je ne demande qu'une chose. Quelqu'un m'a volé quelque chose et je souhaite le récupérer. 

- Comment ça, voler ? demanda Carmen

- Dis plutôt que tu l'as perdu au jeu, siffla Mulligan. 

- Il... Il est vrai, mais ce fumier a triché. Jamais je n'aurais du perdre, balbutia Sumuel qui commençait à faire des grands gestes.

- Je me disais aussi, soupira t-il. 

- Il est hors de question que je vole quoique ce soit, s'exprima Nova. Merci mais on se passera de vos services. 

Et tous trois se levèrent, tournèrent le dos à Sumuel et se dirigèrent vers la porte. 

- Je croyais que vous vouliez rencontrer Morgus, laissa échapper l'aubergiste. 

Nova s'arrêta. Sumuel ne demandait pas un paiement pour la nuit qu'ils venaient de passer au sein de son établissement, mais bien une rémunération pour les mener à Morgus. Tout se bouscula dans sa tête. Avec une seule petite phrase, Sumuel venait de faire s'effondrer tous les principes que Nova s'était fixée. 

Elle se retourna et affronta son regard fixe.

- Qu'est ce que tu sais ? l'interrogea t-elle 

- Je sais comment le trouver. Vous non. J'ai cru comprendre en parlant avec ta petite copine que c'était une question de vie ou de mort, dit-il en pointant Carmen avec son menton. 

Carmen baissa la tête pleine de remords. Elle regrettait amèrement d'avoir déballé à Sumuel une bonne partie de leurs vies et de leurs motivations. Elle s'était laissé aveuglée par les relations que ce dernier entretenait avec le Capitaine Mulligan. Mais elle aurait du faire le rapprochement. Elle qui n'avait déjà pas entièrement confiance en le jeune homme, alors pourquoi son ami d'enfance vaudrait-il mieux que cela. Elle avait été bête et naïve. 

Ca m'apprendra à parler de n'importe quoi à n'importe qui ! pensa Carmen

Mulligan lança un regard à chacune de ses coéquipières. Carmen baissait toujours la tête en se grattant le bras tandis que Nova restait droite comme un i, les poings serrés. Il soupira et se rassit face à Sumuel. Il joignit ses mains sur la table et lui demanda: 

- De quoi s'agit-il ? 

- Comment de quoi s'agit-il ?, s'exclama Nova. Il est hors de question qu'on aille voler quoique ce soit. Je refuse. 

- On a pas vraiment le choix. 

- Oh que si. Si ce n'est pas ce vautour qui nous mène à Morgus, nous le trouverons par d'autres moyens, s'énerva la jeune femme. 

- Et comment tu comptes faire, mettre des affiches à côté de vos avis de recherches ? Très malin. 

- Alors, on le fera sans toi aussi. 

-Il a raison Nova, déclara Carmen. 

La jeune femme avait repris ses esprits et s'était ressaisi. Même si elle désapprouvait la plupart des choix et des comportements de Mulligan, elle devait admettre que cette fois ci, il avait raison. 

- On ne connait rien de cette ville, ni de ses habitants. De ce qu'on a pu voir, elle a l'air gigantesque. Non seulement on ne sait rien sur Morgus, mais on a aussi des mercenaires à nos trousses, qui je te le rappelle, sont prêts à tout pour mettre la main sur nous, sur toi. Ca me fend le cœur de l'admettre mais je me range du côté du Capitaine. 

Nova soupira et lança un regard noir à Sumuel, qui semblait se délecter de la situation. Elle se rassit à son tour. 

- Qui, quoi, où ? se contenta de dire Nova. 

- Il s'appelle Bill le Gros. Il loge dans une petite maison jaune,  vous ne pouvez pas la rater. Il n'est pas du genre à être entouré de ses gars mais croyez moi, c'est un sacré teigneux. 

- Viens en au fait, s'impatienta Mulligan. 

- Il faudrait que vous me récupériez un carnet. 

- Un carnet, sérieusement , s'exclama Carmen surprise. Et tu ne pouvais pas juste en aller en racheter un nouveau ? 

- Figure, toi petite maligne que dans ce carnet, se trouve ma nouvelle recette d'hydromel. Testée et approuvée. Avec ça, j'aurais pu m'en mettre pleins les poches. 

- Et au lieu de ça, tu t'es dit que le parier serait plus rentable, ironisa Mulligan, un rire au coin des lèvres. 

- Je vous l'ai dit, cette recette fonctionne à merveille. Mais là n'est pas la question. Ramenez moi ce carnet et en échange, je vous mènerais à Morgus.

Sumuel tendit sa main à Mulligan. Ce dernier regarda Nova et Carmen. Il attendait leur approbation. Ce n'était pas sa quête mais la leur. Il ne conclurait donc rien sans leur accord. A la place du jeune homme, ce fut Nova qui échangea une poignée de main ferme avec leur hôte. 

- Bien, alors nous avons un marché, dit-il un sourire aux lèvres. 

- Il faut croire, dit Nova en levant ses yeux au ciel pour troisième fois depuis le début de cette conversation. Tu nous excuses, nous avons un carnet à aller dérober. 

Nova, Carmen et Mulligan se levèrent instantanément et sans adresser un regard à Sumuel, s'apprêtèrent à passer le pas de la porte. 

- Une dernière chose, s'écria Sumuel. Carmen reste avec moi. Histoire que je sois sûr de vous revoir un jour. 

Carmen se retourna avec des yeux écarquillés tandis que tout le corps de Nova se tendit. Il ne lui fallu pas longtemps pour fondre sur Sumuel et l'agripper par le col de sa chemise. 

- Sale fils de chien, je te promets que toi et tes petits stratagèmes allaient finir par recevoir mon poing dans ta face de porc. 

Sumuel était tétanisé. Il ne s'attendait pas à une telle réaction de la part de la jeune fille. Il avait pu déterminer son tempérament fougueux, mais son agressivité était nouvelle pour lui. L'énervement de Nova était telle qu'une sensation électrique qu'elle commençait à assez bien connaitre, s'empara rapidement d'elle. Elle fit taire son esprit et laissa l'essence se propager dans ses bras, ses mains, jusqu'à presser le cou de Sumuel. Ce dernier ouvrit la bouche pour respirer mais l'emprise l'en empêchait. Son teint se mit à devenir livide et ses yeux sortirent de ses orbites. 

- Doucement Nova, s'interposa Mulligan, essayant de la faire relâcher. Nous avons besoin de lui, souviens t-en. 

- Il est hors de question que je me calme. Ce fumier nous prend pour ses hommes de main et en prime, il veut que Carmen serve de garantie, qui sait ce qu'il pourrait lui faire, dit-elle hors d'elle même. 

- C'est d'accord, s'exclama Carmen. 

La Voyageuse s'était positionné aux côtés de Sumuel, qui ne semblait sous l'emprise du don de Nova.

- Allez vite trouver ce carnet, que je ne passe trop de temps avec ce bougre. 

- Il en est hors de question. Je ne veux pas te laisser avec lui. Qui sait, ce dont il est capable, dit Nova complètement abasourdie par le choix de son amie.

- C'est un risque que je suis prête à prendre. Après tous les sacrifices que tu as fait pour moi, laisse moi ajouter ma pierre à l'édifice, insista t-elle. De toute façon ma décision est prise. Alors ne perdez pas de temps. 

- Allez viens Nova, dit Mulligan en agrippant la jeune femme par le bras. 

Nova se laissa faire. Elle ne savait comment réagir à la situation, elle était prise de court. Et sans s'en rendre compte, Mulligan la conduisit hors de l'auberge. Carmen était maintenant à la merci de Sumuel. 

Ce dernier passa sa main sur sa gorge et la massa. Une fois cela fait, il se mit derrière une chaise qui avait servi pour le petit déjeuner. Il la tira et fit signe à Carmen de prendre place. 

- Après vous, douce Carmen. 

Elle lui jeta un regard noir mais s'exécuta tout de même. Une fois assise, Sumuel s'assit en face d'elle, lui adressant un sourire benêt.

- Vous avez eu de la chance que Nova ne vous tue pas. 

- En effet, quelle plaie cette femme. 

- Je tiens tout de même à vous prévenir. Si vous posez ne serait-ce qu'une infime partie de vous sur moi, ce ne sera pas Nova qui s'occupera de vous. Mais bien moi. Je n'hésiterais pas à vous démembrer s'il le faut. Morceau par morceau. 

Sumuel ria jaune face aux menaces de la jeune fille. Carmen empoigna une fourchette et se servit du lard fumé. Elle le découpa en petits morceaux, ne lâchant pas l'aubergiste du regard, comme pour lui donner un avant goût de ce qu'il l'attendait. Discrètement Sumuel déglutit. 






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