Chapitre 20

Nova était accoudée à la balustrade et contemplait la terre qui se dessinait au loin. Au fur et à mesure que le navire se rapprochait de la ville de Phocée, la jeune femme commençait à entrevoir les courbes de la cité. De ce qu'elle pouvait voir, elle n'était que lumière et chaleur. De grands bâtiments claires composait le littoral. Elle pouvait notamment percevoir le son des cloches annonçant seize heures. 

Une légère brise fit voler la mèche blanche de la jeune fille. Depuis que le Capitaine Mulligan avait découvert son identité, Nova n'avait eu, ni le temps, ni l'occasion de la dissimuler. Elle avait donc décidé de la laisser à la vue de tous. Ses doigts l'attrapèrent et la rangèrent derrière son oreille. Elle admira encore la vue qui s'offrait à elle. La terre. Elle était enfin face à elle. Elle qui avait tant espérer la revoir, la fouler. Une trentaine de minutes et ses pieds toucheraient enfin un sol dur et stable. Elle se remémora aussi tout ce que cela allait impliquer. Retrouver les dangers qu'elle avait essayé dé fuir. A partir du moment où elle serait à Phocée, la traque reprendrait.  Sa respiration s'accéléra et sa poitrine se souleva de plus en plus rapidement. Ces pensées obscurcissent son esprit, mais aussi sa vue. 

- Ca va Nova ? Tu es toute pâle, demanda Carmen.

La Voyageuse s'était joint à ses côtés.

- Oui, je regardais juste la ville, dit-elle en passant la main sur son visage transpirant.

- Tu te rends compte, on va enfin pouvoir sortir de cet enfer marin. Je peux vraiment plus me voir en peinture quoique ce soit en rapport avec la mer ou l'océan, dit Carmen en tentant en train d'humour. 

Carmen n'était pas dupe. Elle voyait bien que sa moue pensive et son teint blême trahissait son inquiétude face à leur arrivée au port. Depuis le temps qu'elle la connaissait, elle était capable de deviner ses moindres pensées. Elle était actuellement en train de se soucier de son sort, de leur sort. A cette heure ci, leur tête avait déjà dû être mise à prix ou même pire, des mercenaires avait dû être posté dans chaque recoin du continent. L'océan qui s'était révélé être meurtrier, avait finalement été l'endroit le plus sur qu'elles aient pu trouver.

Les deux jeunes femmes tournèrent le dos à la mer, se retrouvant maintenant face à l'équipage du navire qui les avait secouru. Chacun vaquait à son poste plus ou moins rapidement. C'était un navire commerçant qui les avait accueilli. 

 Le bateau avait dévié jusqu'à tomber sur les trois naufragés. Les marins mirent cela sur un coup de chance tandis que Mulligan, Carmen et Nova savait très bien de quoi il en retournait. Une fois à bord, Mulligan leur avait conté leur histoire, en omettant sa véritable nature de pirate ainsi que les aptitudes de Nova. Les matelots avaient donc consenti à les transporter jusqu'au port le plus proche, Phocée. Ainsi donc, ils étaient si prêts du but. 

L'instruction que Paco leur avait donné revint à l'esprit de Nova.  Rendez vous à Phocée et trouvezMorgus. Ce nom lui faisait écho. Bien qu'ils aient vécu maintes péripéties, Nova n'en avait jamais oublié le but.

- Débarquement dans cinq minutes, cria l'un des marins. 

Nova sursauta. Ce cri l'avait tiré de sa rêverie. Elle constata alors que le navire avait dépassé les digues de rochers, annonçant l'entrée dans une eau peu profonde. Ce n'était maintenant qu'une question de minutes. Des fourmillements parcoururent les jambes de Nova, qui ne cessaient de trembler et de s'entrechoquer entre elles. 

- Qu'est ce qui t'arrive ? demanda une voix. 

C'était Mulligan qui les avait rejoint. 

- Ca ne te regarde pas, siffla Carmen en agrippant son amie par le bras. 

Le jeune homme leva les yeux au ciel. 

- Moi aussi, ça me fera très plaisir de plus voir ta face de fouine, insinua Mulligan. 

Les lèvres de Carmen formèrent un o tandis que ses sourcils se fronçaient. 

- Qu'est ce que vous allez faire une fois à Phocée ? poursuivit Mulligan. 

- Retrouver quelqu'un.

Nova se rendit compte à cet instant qu'elle n'avait jamais communiqué au jeune homme les véritables intentions de leur voyage. Il faut dire aussi dire qu'avant ce jour, elle n'avait jugé bon de lui en parler. 

- C'est assez vague, renchérit-il. Ca grouille de quelqu'un à Phocée, à vrai dire, il y en a à tous les coins de rues. 

Cette plaisanterie suffit à faire esquisser un sourire à la jeune fille. Malgré tout, elle lui donna plus d'informations. 

- Morgus. Je ne sais qui il est, ni à quoi il ressemble et encore moins comment il pourrait nous aider, lâcha Nova. Mais si il faut que je retournes toute la ville pour le retrouver, je n'hésiterais pas à le faire.

- Et sans toi, de préférence, ajouta Carmen. 

- C'est vraiment bête parce que j'ai quelques contacts dans certains quartiers de Phocée. J'aurais pu vous aider, mais vu que Carmen ne veux pas de ma présence, bonne chance pour la suite. 

Et il tourna les talons. Nova ne broncha pas. Connaissant son caractère taquin, elle ne prenait pas cet au revoir au pied de la lettre . Elle observa alors son amie, qui avait maintenant le regard dans le vide. Elle cogitait. Nova le savait car lorsque Carmen pensait, une fâcheuse habitude refaisait surface, celle de se mordre les lèvres supérieures. 

 Au même moment, des marins lancèrent des cordages à leurs homologues portuaires. Ils étaient sur le point d'amarrer le bateau tandis qu'un autre matelots, rapprocha une planche de bois pour faire la jonction entre le pont et le port. 

- Attends, dit Carmen. 

Mulligan se stoppa. 

- Tu peux rester avec nous, dit-elle à contrecœur, telle une enfant que l'on forçait à s'excuser. 

Le sourire de Mulligan s'élargit. Il jubilait. Non seulement sa ruse venait de fonctionner, mais en plus de cela, ils allaient mettre pied à terre. 

- Allez fais pas cette tête, ricana le jeune pirate. Tu finiras bien par t'habituer à ma présence. 

Carmen ne prêta plus attention à Mulligan et fixa le port. Elle ne le lâchait pas des yeux. Ses pupilles étaient obnubilés par l'activité citadine qui se déroulait devant elle. Il en fut de même pour Nova. L'effervescence de retrouver la terre ferme prit le dessus sur leurs chamailleries. 

Nova avança pas à pas sur la planche et fut la première à toucher le sol empli de dalles de Phocée. Elle déroula son pied et fut déboussolée face à la stabilité du parterre. Elle eu alors l'impression que les bâtiments et les passants commencèrent à tanguer. 

- Enfin, la terre, s'époumona Carmen pleine de joie. 

La jeune Voyageuse s'était agenouillée et, dans l'euphorie du moment, commença à embrasser le sol. Nova grimaça. Il ne fallut que quelques secondes à Carmen, pour que cette dernière prenne conscience de ce qu'elle était en train de faire. Elle tira la langue et exprima une moue de dégoût. 

- Finalement, le plus grand danger de Carmen et bien... c'est Carmen ! ricana Mulligan, qui prenait un main plaisir à se moquer de la jeune femme. 

Nova observa la ville. C'était une étendue de bâtiments, tous plus hauts les un des autres. Ils étaient entièrement faits de pierre et non de bois comme elle avait pu le voir autrefois. Une lumière douce et énergique se déposait sur les toits  arrondis aux couleurs chaudes. Un autre détail sauta aux yeux, ou plutôt, au nez de Nova. Aucune odeur nauséabonde de poissons ne lui chatouillait les narines. Seulement l'air iodée de la mer mêlé à l'odeur du safran, marchandise qui semblait peupler toutes les étales du marché, à quelques rues d'ici, de ce qu'avait pu leur dire les marins, qui en commerçaient eux même. 

Elle sentit Mulligan lui agripper le bras. Avant même qu'elle n'ait eu le temps de lui demander quoique ce soit, il fit signe aux jeune filles de se retourner et de baisser la tête. Il accompagna le geste à la parole et força Nova et Carmen à contempler le sol. Il fit de même et baissa sa tête le plus possible. Ils restèrent comme ça quelque secondes puis Mulligan les relâcha. 

- Qu'est ce qui t'as pris ? demanda Nova, surprise par le geste précipitée du jeune homme.

- Des soldats viennent de passer et,  à ce que je vois aux affiches accrochés tout le long de la rue, vous êtes assez célèbres dans le coin. Je suis à deux doigts de vous demander une signature. 

Carmen déglutit, tandis que Nova inspectait tout autour d'elle. Elle avait tellement été absorbée par la beauté et l'agitation de la ville qu'elle était passé à côté de ce détail, si l'on pouvait qualifier cela de détail. Il y avait en effet sur les pans des murs, un feuillet où il était inscrit en gras "avis de recherche". Elle n'osa pas s'avancer davantage pour connaitre son contenu,  mais de là où elle était, elle pouvait voir qu'il n'y avait aucun dessin des jeunes femmes. A vue d'œil, il y avait seulement une description écrite des fugitives et le prix. Mais Nova eut beau plisser les yeux, les affiches étaient trop loin pour elle. 

Mulligan retira alors son manteau et son chapeau. Il tendit alors le chapeau à Nova et son manteau, à Carmen. La jeune Voyageuse ne rechigna pas et s'enveloppa du manteau du pirate. Nova mit à son tour le couvre chef, en prenant grand soin de rentrer l'ensemble de sa chevelure à l'intérieur.

- Il faut pas qu'on traine, pressa le jeune homme. Je connais quelqu'un qui pourra nous surement nous héberger pour la nuit, et qui sait, il doit aussi savoir comment trouver Morgus. Mais là tout de suite il faut y aller. Baissez votre tête et suivez moi.

Et c'est ce qu'elles firent. Les deux jeunes femmes suivirent Mulligan et quittèrent le port pour s'enfoncer dans la cité. Alors qu'ils se dirigeaient vraisemblablement vers le centre ville, Carmen passa près d'une des nombreuses affiches a leur effigie et l'arracha. Elle plia alors la feuille en quatre et la rangea dans son décolleté plongeant, camouflée par le long manteau de pirate.

Tout en se frayant un chemin dans la foule, des bribes de conversations parvinrent aux oreilles de Nova. 

- L'armée du Général a encore frappé à l'ouest. Il est parti avec une dizaine de villageois, mais n'a pas laissé d'autres survivants.

- Il parait que ça a été une véritable boucherie. 

- Mais ça n'arrêtera donc jamais, s'écria une passante, avec un ton larmoyant. 

- Ils progressent. Ce n'est plus qu'une question de semaines avant que Phocée ne soit annexée. 

Le Général. Cette appellation évoquait vaguement quelque chose à Nova. Elle avait déjà entendu ce nom quelque part. Elle chercha dans tous les recoins de son esprit, parcourant un à un les souvenirs de ces derniers mois. Mais c'est lorsqu'elle sentit une main se glisser dans le sienne, que tout lui revint. C'était lui. C'était lui qui avait ordonné aux mercenaires de la capturer, de la traquer coûte que coûte. C'était lui qui l'avait obligé à se terrer en mer.. C'était lui, le cœur de tous ses tourments, la source de tous ses maux. La main dans la sienne exerça un léger serrement. 

- Accélère Nova, lui dit Mulligan en se retournant. 

Il se trouva face à une jeune femme au teint semblable à celui d'un mort. Ses yeux, d'habitude vifs et perçants, étaient devenus ternes. Le rouge de ses joues avait cessé de colorer son visage tandis que ses lèvres étaient crispées. 

- Ca va ? lui demanda t-il à la hâte. 

Nova se contenta simplement de hocher la tête de haut en bas. La mâchoire de Mulligan se contracta instantanément. C'était faux, elle n'allait pas bien. Cela se voyait comme le nez au milieu de la figure. Mais il était là, impuissant face aux démons de la jeune fille qui semblait les avoir rattrapé bien avant qu'elle n'ait posé le pied sur le Red Swan. 

- Bon, vous vous ferez des mamours plus tard, s'impatienta Carmen, qui ne cessait de regarder autour d'elle frénétiquement. C'est encore loin? 

- Non on y est. 

Ils se trouvaient face à un bâtiment de trois étages, semblables à tous les autres de la ville. Lumineux, faits de pierre, le toit orange. Une pancarte pendante, laissait apparaitre le mot "Auberge". Au dernier étage, une horloge trônait et sonna six heures du soir.

 Ils entrèrent. 

L'intérieur était tout aussi chaud que le laissait paraitre l'extérieur. Un grand escalier en colimaçon meublait le fond de l'entrée. A droite, un comptoir était à la vue des éventuels clients qui passaient le pas de porte . Sur la gauche, un mur entièrement constitués de vitraux aux formes abstraites, servait de délimitation à la pièce de vie, la dissociant ainsi de l'entrée. Ce doit surement  être la salle à manger, pensa Nova.

Mulligan s'approcha du comptoir et appuya trois fois sur une petite sonnette. Un homme sortit  de l'ombre. Il avait une carrure imposante et était de grande taille. Son corps était celui d'un humain mais son visage dévoilait une tout autre nature. Surmontés par deux petites cornes, ses cheveux étaient longs et fins. Ses yeux étaient petits, marrons et rapprochés. Mais ce qui sauta aux yeux de Nova, fut son nez. Il était écrasé et semblable à celui d'un cochon. C'était la première fois qu'elle faisait face à ce genre d'individu. Et, au vue des grands yeux qu'avait Carmen, il en été de même pour elle. 

- Voyez vous, ça, déclara l'aubergiste tout sourire à l'attention de Mulligan. Qui aurait cru qu'une fripouille pareille referait surface un jour à Phocée.

- Sumuel, que ça fait du bien de voir un vieil ami, sourit Mulligan en lui tendant sa main. 

Ils se serrèrent d'abord la main, puis se firent une accolade. 

- Alors qu'est ce qui t'amène ici ? lui demanda t-il. 

- Je me disais qu'un petit bonjour te ferait le plus grand des plaisirs, alors j'ai traversé la mer pour venir te saluer. 

- Sale vermine, toi et moi savons bien qu tu ne fais rien sans avoir une idée derrière la tête. Alors raconte tout à ton ami Sumuel. 

-Si tu le sais aussi bien, c'est parce que nous sommes de la même trempe, haha. Mais plus sérieusement, notre venue n'est pas un hasard. Nous avons besoin de toi et de ton réseau. Nous sommes à la recherche d'un homme. Un certain Morgus. Et si par la même occasion, tu avais un endroit où nous faire passer la nuit, nous t'en serions extrêmement reconnaissants. 

Sumuel examina ses invités de haut en bas. Les deux jeunes femmes qui accompagnaient son ami Mulligan, semblaient en piteux état. Il s'attarda sur la plus petite des deux. Malgré le long manteau qu'elle avait revêtit, ses formes plantureuses la trahissait quant à son déguisement, sans doute trouvé à la hâte. Mais, à vrai dire, elle était plutôt séduisante. Plus que son amie, qui lui paraissait plus quelconque. Carmen se mit à bailler et Sumuel la trouva encore plus exquise. 

- Je connais en effet Morgus. Et j'ai trois chambres de libre ce soir. En ce moment, c'est la saison creuse, vous ne devriez pas manquer de place. 

Les yeux de Nova et de Carmen s'illuminèrent instantanément. 

- En revanche, tu commence à me connaître Milo, je ne fais jamais rien par pure charité, sourit l'aubergiste. 

- Je le sais bien, répondit Mulligan. 

- Mais nous parlerons règlement demain. Vous êtes exténués. Vous devriez vous reposer.

Il tourna le dos et prit trois clés qu'il donna aux trois jeunes gens. 

- Voilà pour vous. Vous montez par le grand escalier et au deuxième étage, vous tournez à droite. Faites attention, les portes ont tendance à n'en faire qu'à leur tête et peuvent parfois vous bloquer à l'extérieur. Le dîner sera servi aux alentours de sept heures, si le cœur et l'estomac vous en dit.

Mulligan hocha la tête en signe de remerciement au nom de la troupe et, sans demander leur reste, ils montèrent tous les trois chacun rejoindre sa chambre Cela faisait une éternité que Nova, Carmen et Mulligan n'avait pas dormi seul dans un  vrai lit. Mais cette nuit, il comptait bien remédier à cela. Ils se séparèrent sur le pas de la porte, tout en sachant très bien qu'il n'en ressortirait qu'au lever du jour tant l'épuisement avait gagné l'ensemble de leurs muscles. Et c'est en effet ce que fit Nova. Elle prit même pas le temps de se déshabiller ou de se débarbouiller qu'elle s'allongea sur le lit. Il ne fallut qu'une seule seconde pour rejoindre le pays des songes. 

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