Chapitre 10
Au fur et à mesure que le bateau s'enfonçait dans la Mer des Méandres, la tempête s'intensifiait. Depuis que l'équipage du Red Swan avait pris la décision de bifurquer dans cette direction, les vagues ne cessaient de s'écraser sur la coque du navire. Des éclairs jaillissaient de toutes parts, suivis par de terribles grondements annonciateurs d'un nouveau cycle foudroyant. Quant à la pluie, cette dernière ne cessait de perler sur le front des marins qui s'agitaient dans tous les sens, dans l'unique but de maintenir autant que possible, une stabilité nécessaire pour ne pas couler.
Mais cette traversée chaotique avait tout de même permis aux marins d'atteindre le but escompté. Ils avaient réussi à devancer le Betty's Revenge et par conséquent, avaient évité un affrontement inutile. La stratégie qu'avait proposé Nova avait fonctionné. Néanmoins cela ne leur permettait pas de dire qu'ils étaient hors d'état de cause. En effet, ils risquaient maintenant leurs vies dû à l'échange qui s'opérait en ce moment même contre cette force de la nature.
Le Capitaine, Nova et Fillip s'étaient réfugiés dans la cabine afin d'y établir une stratégie à adopter tandis que le reste de l'équipage œuvraient au cœur de la tourmente. Seule Carmen avait été prié de rejoindre elle aussi la cabine pour se mettre à l'abri. Mais fidèle à elle même, elle avait fait face à tous ces hommes, avait planté ses pieds dans le sol et leur avait fait comprendre qu'elle ne bougerait pas d'un centimètre. Elle était bien décidée à s'impliquer dans la vie de l'équipage et cela valait aussi dans cette situation. Face à la détermination de la jeune fille mais aussi face à la peur qu'elle leur inspirait, les marins avaient fléchi. Ils lui avaient donné quelques conseils et avertissements, puis lui avait confié la tâche de vider tant bien que mal, l'eau qui s'infiltrait de toute part sur le navire. Pour cela, ils avaient pris le soin de l'attacher de façon assez rudimentaire tout en espérant qu'elle ne passerait pas par dessus bord. Ironiquement, avec toute cette agitation, son mal de mer avait disparu.
A l'intérieur de la cabine, aucune carte n'était en mesure d'aider le Red Swan à s'en sortir. Nova et Fillip s'étaient mis à chercher, en vain, un quelconque croquis pouvant indiquer à quoi pouvait s'apparenter la Mer des Méandres. Mais le Capitaine Mulligan avait eu raison sur un point. Personne n'en était jamais revenu. Il n'y avait aucune indication. Fillip souffla et recoiffa ses cheveux, tout ébouriffés par ses recherches. L'inquiétude avait gagné les yeux de Mulligan mais ce dernier cherchait à tout prix à le cacher.
- Toujours rien sur la Mer ?, demanda t-il
- A mon grand désespoir, non mon Capitaine. Je n'ai aucune carte, aucun parchemin, aucune information qui ne concerne la Mer des Méandres. Nous naviguons à l'aveugle, soupira Fillip.
Dans un coin de la pièce, Nova s'était tut. Si tout le Red Swan se trouvait dans cette position c'était par sa faute. Elle culpabilisait. Et cela, le Capitaine Mulligan l'avait remarqué.
- Alors ? Tu ne dis plus rien Jasper.
Nova ne pipa mot. Au vu le tempérament du Capitaine, elle savait pertinemment qu'il n'allait pas tarder à lui tomber dessus. Il était comme une grenade, une bombe qu'on venait à peine de dégoupiller et que seul le temps pourrait faire exploser. Mais, à la grande surprise de la jeune fille il se contenta de soupirer une seconde fois. Il était complètement désemparé.
- Je ne vois qu'une seule solution, attendre que la tempête passe et aviser par la suite. Une fois le ciel dégagé, on pourra s'orienter grâce au ciel pour retrouver notre chemin, proposa Fillip.
- Encore faut-il réussir à la passer. C'est le plus gros cyclone qu'il m'ait été donner de voir. J'ai déjà perdu des hommes pour moins que ça.
- Ressasser ne sert à rien. Il va falloir s'adapter au fur et à mesure. C'est tout ce qu'on peut faire à notre échelle.
Nova avait enfin retrouvé la parole. Bien que coupable de la situation, elle allait devoir soutenir et porter le poids de sa décision jusqu'au bout. Elle ne devait en aucun cas se dérober. Il fallait assumer. De plus, même si elle avait simplement soumis l'idée, l'approbation de cette initiative relevait du Capitaine. Pas d'elle.
Avancer.
Ne pas culpabiliser.
Assumer.
C'était les mots qu'elle faisait rouler sans cesse dans sa tête, comme pour se convaincre elle même.
- Mais on dirait bien que le moussaillon a retrouvé sa langue, affirma Mulligan d'un ton condescendant.
Cette prise de parole semblait l'avoir quelque peu agacé. A son sens, Nova aurait mieux fait de garder le silence plutôt que d'exprimer une énième fois un avis, qui n'avait pas été demandé. Par sa faute, de nombreux marins se devaient de tout faire pour maintenir le Red Swan à flots mais pas que. Ils devaient tout faire pour eux aussi, se maintenir en vie.
***
Sur le pont du Red Swan, les vagues n'arrêtaient pas de fendre le sol. Des torrents d'eau venaient s'abattre jusque sur les genoux des marins. Tous avaient une partie des jambes submergées par l'eau qui peinait à s'écouler. Quant à Carmen, son jupon lui aussi était trempé mais pas que. Il l'a alourdissait. A chaque fois que le navire prenait une vague, son vêtement suivait le mouvement, entraînant de part et d'autre la jeune fille au gré des mouvements. De plus, sa petite taille et son gabarit ne lui permettait pas d'avoir autant d'équilibre que les hommes qui l'entouraient. Elle devait donc mobiliser plus de force que ce qu'ils étaient nécessaires aux marins. Néanmoins, cela n'arrêta pas la Voyageuse. Elle devait essayer d'évacuer l'eau par tous les moyens possibles et elle comptait bien accomplir sa mission, peu importe les ressources mobilisées.
Bien que la tempête se révélait déjà fort désastreuse, il restait une entité à inviter pour que tout soit parfait. C'est ainsi que le brouillard fit son apparition. Tout d'abord sous la forme d'une petite brume, puis sous la forme d'un voile s'infiltrant et enveloppant toute la carcasse du bateau. En plus de devoir lutter pour rester à bord, il fallait maintenant redoubler d'efforts pour s'orienter à travers ce nuage opaque.
Alors que chacun vaquait à son poste, des pas se firent entendre. Les chaussures de son porteur grincèrent à chaque mouvement. Tous les marins se focalisèrent sur ce bruit et essayèrent de réduire au maximum le son que chacun faisait. Même le cyclone semblait vouloir entendre ce qui se tramait. Celui ci baissa en intensité, comme transi par le brouillard. Les pas continuèrent puis une voix.
- Marianne ? Marianne ? C'est toi.
Immédiatement, Carmen cru reconnaître la voix de Turner. Mais à qui s'adressait-il ? Qui était cette Marianne ? Etait-elle sur le bateau ? Si oui comment avait elle fait pour monter à bord par cette tempête.
- Non Marianne ne part pas, hurla Turner.
- Turner, Turner qu'est ce qui se passe ?
Cette fois ci, c'était Daz, son frère qui avait parlé. Son questionnement relevait de l'inquiétude. Mais Turner ne lui répondit pas.
Tout à coup, les bruits de pas reprirent, ils étaient de moins en moins espacés et toujours aussi prononcés. Puis plus aucun pas, juste un bruit d'impact dans l'eau. Enfin, le silence, le néant s'établirent.
- Turner !
Bon sang que se passe t-il ? pensa Carmen. Elle priait au fond d'elle pour qu'il ne soit rien arrivé à son camarade Mais au vue du mutisme que ce dernier avait laissé, elle espérait, sans grande conviction.
Les cris que Daz s'égosillait à faire avait alerté le Capitaine. Celui ci ouvrit la porte de la cabine et la referma aussitôt.
- Mordiable, on voit rien avec tout ce brouillard ! Tout le monde est encore sur le pont ? demanda le Capitaine
Les marins répondirent à l'unisson par une réponse positive sauf une. Celle de la Voyageuse
- On a entendu Turner crier un nom, puis plus rien. Il répond pas quand Daz l'appelle. On a ensuite juste entendu un bruit dans l'eau et plus rien Capitaine.
- Il me semblait bien avoir entendue crier, dit Nova en arrivant aux côtés de Mulligan. Je pensais que c'était le vent qui nous jouait des tours.
- C'est improbable, mais on dirait que la mer s'est... comment dire... apaisée depuis que le brouillard a pris part aux festivités, ajouta Fillip. Je n'ai jamais vu un brouillard aussi épais.
Tout en disant ses mots , il avait enlevé ses lunettes, toutes remplies de buées, afin de les essuyer. Il s'empara donc du bout de sa chemise qui dépassait de son pantalon et frotta ses verres. Puis tout doucement il alla pour les remettre quand une voix se fit entendre
- Fillip ...
Un murmure dans la pénombre. L'homme se tourna dans tous les sens pour identifier d'où provenait le bruit. Mais il ne vit rien. Seulement le brouillard.
- Fillip...
Cette voix. Il la connaissait. Elle ne lui était pas étrangère. Loin de là. La voix qui murmurait son nom semblait être une voix féminine. Il se retourna une énième fois. D'un coup, le brouillard se dissipa autour de lui. Devant le jeune cartographe se trouvait une fillette âgée d'environ onze ans. Elle avait des cheveux bruns semblables, à ceux de Fillip, complètement mouillés qui descendaient le long de son dos et de ses épaules . Ses yeux vitreux ne cessaient de fixer le regard brun de Fillip, sans cligner une seule fois. La fillette était simplement vêtue d'une robe pourpre, trempée jusqu'aux os.
- Suis moi Fillip, dit cette dernière avant de lui tourner le dos et de se mettre à marcher. Elle fit quelques pas puis disparut dans le brouillard.
- Gladys ! Reviens. Je t'en supplies reviens.
Nova et Mulligan se tournèrent vers Fillip. Mais à qui diable parlait -il ? Les deux jeunes gens ne voyaient personne ; si tant est qu'il fut possible de voir à travers ce brouillard. Carmen avait elle aussi entendue les mots que venaient de prononcer Fillip. Tous l'avaient en réalité entendus. Mais la peur ne leur permettait pas de poser la moindre question. D'abord Turner, dont on avait aucune nouvelle, ensuite Fillip. Des personnes saines d'esprit en apparence mais le brouillard semblait avoir réveiller une folie cachée. Nul ne sait ce qui se passait réellement sur le Red Swan.
- Bon sang, mais à qui est ce qu'il parle, demanda Nova en s'adressant au Capitaine. On est bien d'accord que personne ne peut nous accoster en ce moment. Personne n'est en mesure de le faire par cette tempête.
En prononçant cette phrase, Nova venait de se rendre compte d'une chose qu'elle n'aurait pas du négliger. Le bateau ne tanguait plus. La pluie s'était calmée, même si de la bruine était encore présente. Seul le brouillard s'étoffait à chaque minuté passée. Qu'est ce que cela voulait dire ?
- Je pense que ça va au-delà de tout ça, décida à répondre Mulligan. Au delà de tout ce qu'il est possible d'imaginer.
- Comment ça ?
- Je pense qu'à cet instant même, nous sommes au cœur de la tempête, dans l'œil du cyclone, prends la formule qui te conviens le mieux Jasper.
Tout en ne tenant pas compte que le Capitaine la prenait pour un oiseau tombé du nid, Nova posa ce qu'elle pensait être une dernière et unique question.
- Concrètement qu'est ce que ça implique pour nous ?
Mulligan ne tarda pas à lui répondre. La rancœur qu'il éprouvait à l'égard de la jeune fille suite à leur entrée dans la Mer des Méandres s'estompait petit à petit.
- Il existe de nombreuses légendes chez les marins en ce qui concerne les mers, les océans et tout ce qui les peuplent. Il y a une que peu connaissent mais qui a le mérite de faire froid dans le dos.
Pendant que le Capitaine parlait, Nova était venue coller son dos contre le sien. Ne sachant aucunement à quoi s'attendre, elle préférait prendre des précautions. Se mettre dans cette position leur permettait de couvrir plus de terrain en cas d'attaque. Du moins c'est comme cela qu'elle le percevait. Lorsqu'elle se colla contre le Capitaine, Nova se rendit compte que ce dernier faisait une tête de plus qu'elle.
- Il se dit qu'au cœur des tempêtes, réside les Âmtrappes. Ce sont des âmes de personnes qui se sont perdues en mer et qui y sont mortes. Durant leur vie de errance, elles n'ont qu'une seule fonction, rassembler le plus d'âmes possibles. Elles ont donc la capacité de prendre la forme d'êtres chers afin d'attirer les marins , les obligeant à se noyer pour revoir les personnes qu'ils ont perdus.
- Et qu'est ce qui te fait dire que cette légende est réelle ?
- Le prénom qu'a prononcé Fillip, Gladys.
- Oui
- C'était sa sœur. Elle est morte quand ils étaient enfants, elle s'est noyé quand personne ne la surveillait. Fillip a toujours eu des remords à ce sujet.
- Attends, tu penses réellement que le fantôme de Gladys est à bord ?
- Pas son fantôme, une âme parmi tant d'autres qui a pris son apparence pour que Fillip se jette à l'eau. D'abord Turner, puis Fillip, ces saletés se transmettent comme une foutue maladie, vociféra le Capitaine, toujours sur ses gardes.
Il avait agrippé de sa main gauche son arme à feu et était prêt à dégainer en cas de danger.
-Il va falloir attacher Fillip, pour éviter qu'il ne saute, continua Mulligan.
Nova acquiesça et exécuta les ordres du Capitaine. Par chance, Fillip n'avait pas encore avancé en direction de l'eau, trop absorbé par l'apparition de sa sœur qui venait de disparaître. Lui même ne comprenait pas ce qui se passait. Nova attrapa une corde et attira tant bien que mal Fillip contre le mât, le brouillard rendant la tâche difficile. Ce dernier ne lutta pas. Le Capitaine attrapa l'autre bout de la corde et commença à tourner autour du mât. Tout à coup, une nouvelle intonation se fit entendre à travers la brume.
- Paco c'est toi ?
Le sang de Nova se glaça instantanément. C'était Carmen
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