Chapitre 1

- Mais arrête de tirer, je n'arrive plus à respirer !

Carmen ne tint pas compte de la remarque de Nova. La jeune femme se contenta de tirer plus fort sur le corset en s'écriant :

-Il faut souffrir pour être belle. Tu sais ce qui va arriver si on ne met pas de corset alors tais toi !

Nova se tut. Carmen avait raison. Elle avait beau détester cet accessoire mais elle savait pertinemment que si elle ne le mettait pas, elle n'attirerait personne à la taverne ambulante. Si personne ne venait ou du moins pas assez de monde, alors manger deviendrait impossible. De plus, une partie des voyageurs passant par la brasserie étaient des hommes. Pour manger, il fallait donc séduire.

-Je ne sais vraiment pas comment tu fais pour pouvoir supporter ça, c'est tout bonnement une arme de guerre ! rétorqua Nova, incapable de garder son avis pour elle.

- Je me tais et c'est tout. Tu devrais en faire autant. Et puis, estime toi heureuse que tu aies la taille fine, tout le monde n'a pas cette chance, souffla Carmen.

Nova ne put s'empêcher de regarder Carmen de haut en bas. Elle était petite de taille certes, mais avait des atouts que ne possédait pas Nova. Son amie avait des attributs féminins que l'on remarquait aisément. Cela n'échappait pas aux hommes. Ses yeux verts, vifs  et ses cheveux bruns aux boucles arrogantes, suscitaient convoitises  et jalousies. Quant à sa taille dont elle se plaignait, Nova ne comprenait pourquoi cette dernière cherchait à la rendre plus fine. Elle lui paraissait tout à fait bien comme elle était.

-Ça y est tu es prête, parfaite, lui dit Carmen dans le creux de l'oreille. Il ne manque plus qu'à cacher cette mèche blanche

Nova prit sa mèche de cheveux blancs entre ses doigts et la masqua à l'aide de charbon. Cela ne faisait pas tache. En effet, la jeune fille possédait de longs cheveux noirs . Mais à la différence de Carmen, ses cheveux ne formaient que quelques vaguelettes. Rien à voir avec les boucles ravageuses de son amie voyageuse. Quant à ses yeux, ceux-ci étaient d'un marron banal en forme d'amande. Cependant ce n'était pas pour cette raison que des regards curieux ne cessaient de se poser sur elle. Elle avait une peau blanche, presque translucide tandis que Carmen et les autres voyageurs étaient pourvus d'un teint hâlé et chaleureux rappelant les Terres du Sud.

Elle avait été abandonnée au pied d'une caravane, seule et sans explication lorsqu'elle n'était qu'un nourrisson. Les parents de Carmen, Julio et Maria n'ayant pas eu le cœur de laisser cette enfant en proie à l'hiver, l'avaient adoptée. A partir de ce jour, ils étaient devenus sa famille.  

Malgré toutes ces différences, sa famille d'accueil ne faisait pas de distinction entre Carmen et elle. Toutes deux devaient participer à leur manière à la vie, mais aussi aux fêtes itinérantes visant à attirer des voyageurs. Ils étaient une communauté des routes, circulant d'un royaume à l'autre, du nord au sud , des montages à l'orée des océans. A chaque passage dans une ville, ceux-ci s'arrêtaient afin de donner lieu à une fête pour les habitants de la ville, mais pour eux cela relevait du travail. C'était la moindre des choses. Sans cet accueil, Nova serait, sans doute, morte. 

Tout à coup, une voix tira la jeune femme de ses pensées.

-Nova, Carmen, c'est l'heure.

Les deux amies se levèrent et sortirent de leur tente. Chacune des deux filles avait des compétences assez différentes. Carmen dansait pour divertir et permettait d'attirer le plus de voyageurs possible. Une fois ces derniers venus, ceux-ci pouvaient se désaltérer et se nourrir au sein de la taverne itinérante. C'est à ce moment-là qu'intervenait Nova. Elle avait pour but de servir les clients. Mais lorsque cela se révélait nécessaire, elle les faisaient s'enrichir des douces mélodies qu'elle connaissait. Les marins aimaient tout particulièrement quand Nova chantait. Elle leur faisait profiter des différentes chansons qu'elle apprenait au cours de ces voyages.

Mais tout ce spectacle n'était qu'un leurre. Alors que les femmes avaient pour mission de divertir, les hommes quant à eux dépouillaient les personnes qui n'avaient d'yeux que pour le spectacle. Ce principe dérangeait fortement Nova, mais elle ne pouvait pas faire autrement que de participer à ce subterfuge. Après tout, cette communauté l'avait élevé et l'avait aimé comme si elle était leur propre fille. Sans eux, Nova ne savait pas ce qu'elle serait devenue. Du moins elle en avait une idée mais souhaitait à peine y penser. Elle se disait qu'elle aurait fini morte ou pire, femme de joie pour tous les hommes de passage, autrement dit, son espérance de vie n'aurait pas été très longue.

Mais grâce à cette communauté, elle avait pu avoir une éducation et aujourd'hui elle était une jeune fille de vingt ans sachant lire et écrire. L'accès à une éducation était assez rare pour les filles et femmes du royaume. Seules les femmes les plus fortunées pouvaient prétendre à ce privilège. Nova et Carmen avaient eu la chance d'avoir au sein de la communauté des tuteurs qui mettaient un point d'honneur à ce que les enfants puissent être instruits. Après tout, pour pouvoir dérober les jeunes gens ou bien compter l'argent laissé à la taverne, il fallait bien savoir ce à quoi ça correspondait.

Nova se rendit à son poste et prit un plateau. Les premiers voyageurs se mirent à débouler de toute part. Le spectacle allait commencer d'ici quelques minutes. Une voix se mit tout à coup à crier:

- Jeunes gens, pour le plus grand plaisir de cette ville et sous vos yeux ébahis, l'envoûtante et enivrante Carmen !

Le crieur s'écarta de la scène et la musique débuta. Carmen apparut vêtue d'une robe pourpre dévoilant sa gorge. Elle avait une ceinture de clochettes au niveau de ses hanches. Cette ceinture permettait d'accentuer les mouvements de son corps, mais elle avait aussi pour but de couvrir un éventuel son que pourrait faire un des voleurs.

Dès que Carmen commença à se mouvoir, tous les regards furent braqués sur elle. Elle possédait une grâce et une sensualité semblable à un panthère. Et tout comme un félin, elle jouait avec ses proies. Soudainement, un des hommes détourna le regard de Carmen, se leva et se dirigea vers la taverne ambulante. Il s'assit et leva la main pour que Nova puisse venir le servir. Ce dernier lui demanda une pinte de bière. Quelques minutes suffirent pour qu'une dizaine d'hommes fassent de même. En peu de temps, la taverne fut remplie. Des rires bruyants ne tardèrent pas à s' entremêler à l'odeur de l'alcool. Nova avait l'habitude de cette ambiance. Pour ainsi dire, elle l'affectionnait, elle la trouvait chaleureuse.

Une fois le spectacle terminé, Carmen ramassa les quelques pièces qu'on lui avait laissées pour sa prestation et rejoignit Nova.

-Alors qu'est ce que tu en as pensé ? dit-elle avec un sourire en coin et ses sourcils relevés

-Tu sais très bien ce que j'en pense

-Oui,mais j'avoue que j'aime te l'entendre dire

Nova souffla. Carmen était irrécupérable. Elle savait pertinemment qu'elle avait bien dansé. Mais la jeune danseuse aimait les compliments.

- Tu as superbement bien dansé, comme d'habitude, répliqua Nova en agrippant la joue de son amie, friande d'éloges.

Carmen se mit à rire, tout en se dégageant de l'emprise de sa partenaire.

-Malheureuse ne fait pas ça ici. On pourrait nous voir ! Après ces gens vont penser qu'on est ensemble! Pas que je ne t'aime pas attention, mais j'aimerais bien me trouver un homme si tu vois ce que je veux dire.

Nova voyait exactement ce qu'elle voulait dire. Mais fidèle à elle-même elle décida de la taquiner

- Quoi ? Comment ça tu veux pas de moi dans ta couche! Je suis franchement très déçue de ton comportement Carmen Castillo.

Nova sentit la gêne de Carmen monter. Elle commença à devenir rouge. Elle ne marchait pas , elle courait. Elle se retint de rire à partir du moment où Carmen prononça ses mots:

-Ecoute... tu es comme ma sœur, Nova, mais les sœurs ne font pas ce genre de choses ...

Nova décida qu'il était temps de mettre fin à ce manège

-Non mais, Carmen, respire. Je te fais marcher. Moi aussi je t'aime comme une sœur. Et puis j'ai bien compris que j'avais quelque chose en moins par rapport à ces messieurs, dit-elle tout en regardant au niveau de son jupon.

 Les deux amies éclatèrent de rire. Une fois qu'elles eurent repris leurs esprits, Carmen enchaina la conversation.

-Non, plus sérieusement, j'en ai repéré un au début du spectacle, il m'a l'air plutôt pas mal.

Tout en disant ces mots, elle pointa discrètement le premier homme que Nova avait servi plus tôt. Il avait au moins la trentaine. Ses cheveux étaient bruns et ses yeux parcouraient la pièce. Il l'analysait précisément. Il avait une veste qui s'apparentait à du cuir. Ce qui marqua Nova c'était la taille de ses mains. Elles étaient gigantesques. Au fur et à mesure qu'elle regardait ses mains, elle se rendit compte qu'il tenait quelque chose. Nova cru discerner un médaillon rond. Elle se concentra pour le regarder. Il l'intriguait. Ce qui l'attirait dans ce médaillon c'était la pierre au centre. Elle était terne.

-Nova! Tu écoutes ce que je te dis?

Carmen venait de la tirer de ses pensées

-Euh, oui, pardon tu disais ?

- Passe-moi ton plateau, je vais tenter une approche.

Elle n'attendit pas que Nova lui donne sa permission qu'elle était déjà à la table de l'homme. Elle se pencha bien en avant pour lui servir sa bière. Nova n'entendait pas ce qui se passait à la table, mais elle imaginait bien Carmen minauder en espérant que cela plaise. Cependant, Carmen tourna le dos à l'homme et se dirigea en direction de Nova visiblement vexée.

-Je n'en reviens pas, il m'a à peine regardée , tu le crois ça !s'écria Carmen en colère. Cette dernière visiblement contrariée et se mit à injurier l'homme en khatalan, du moins c'est ce que Nova crut reconnaître grâce à quelques bribes.

Tout à coup l'homme releva le bras pour demander de la bière. Nova reprit le plateau des mains de Carmen, versa de la bière dans une pinte et se dirigea vers la table de l'homme. Arrivée à son niveau, elle constata que la table s'était remplie. Elle prit le temps de regarder les différentes personnes. Ils étaient tous habillés de noir, munis d'une cape qu'ils avaient enlevée le temps de boire leur bière. Elle prit la pinte dans sa main et la posa sur la table au niveau de l'homme.

-C'est tout ce qu'il vous faut ?

-Oui, oui merci, ça ira.

L'homme n'avait même pas daigné lui accorder un regard. Elle le regarda une dernière fois quand elle constata que sa pinte était en train de tomber sur lui, elle allait se renverser. Nova cria.

-Attention !

Au moment où elle prononça ses mots, une sensation électrique lui envahit le corps du haut de son crâne jusqu'à la pointe de ses orteils. Elle ne ferma les yeux qu'une demie seconde. Lorsqu'elle les rouvrit, elle resta sans voix.

Elle n'en revenait pas. Devant elle, la pinte était bel et bien tombée. Mais pas la bière qu'elle contenait. Cette dernière lévitait. A la vue de cette situation, l'homme avait lui aussi tourné la tête et observait ce qu'il se passait, les yeux écarquillés. Plus personne n'osait faire un bruit autour d'eux. Bien qu'abasourdie, Nova remarqua que le médaillon qui reposait sur le torse de l'homme s'était mis à briller d'un rouge vif. L'homme le vit à son tour. 

-C'est elle ! cria-t-il. Attrapez-la !

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