Chapitre 5 - partie 1/2
Héléna arpentait les trottoirs de la ville sans destination précise. Elle venait finalement d'atteindre sa majorité, celle qu'elle redoutait tant. Madame de Monratsy n'avait pas attendu une minute de plus pour la jeter dehors. « Quitte ses lieux Héléna, tu n'es plus la bienvenue désormais. » Mon dieu, que cette vieille sorcière lui sortait par les trous de nez ! Ne plus entendre sa voix criarde brailler dans ses tympans à longueur de temps ne pouvait être que bénéfique pour elle. L'hiver ne rivalisait certainement pas avec ce vieux dragon desséché. La jeune fille soupira, s'entêtant à ne pas verser la moindre larme. Rester forte était sa priorité. Elle finirait bien par s'en sortir. Elle n'avait d'autre choix, où la faucheuse la cueillera.
Elle tremblait comme une feuille alors que le vent glacial agressait tous ses membres. Elle eut un pincement au cœur en voyant les vagabonds fouiller dans les poubelles aux abords d'un parc, ils cherchaient quelques restes à se mettre sous la dent. Ce n'était que des cafards, écrasés sous les semelles dorées des riches habitants. Elle frotta le bois pour dégager la neige qui s'était installée sur un banc avant de s'y asseoir. Par la suite, elle extirpa de sa poche le paquet soigneusement emballé qui lui avait été adressé dans la matinée. Elle le caressa du bout des doigts, son prénom y était inscrit d'une écriture fine et soigneuse, digne d'une femme de la Haute. Héléna l'ouvrit sans délicatesse. Une adresse était notée sur une carte. Un mouchoir en soie brodé d'un liserait en or arborait une couleur ivoire frugalement déteinte. À l'intérieur, nichait un objet scintillant. Ses yeux s'écarquillèrent de stupeur, tandis qu'elle refermait le morceau de tissu. Elle prit soin de scruter les alentours pour se rassurer, personne ne semblait avoir le courage de braver la fraîcheur de la nuit. Elle finirait arrêtée et emprisonnée, si un garde la surprenait en possession d'un tel bijou.
La nuit était tombée. D'imposants nuages camouflaient les étoiles, les flocons qui ressemblaient à de la cendre après un incendie dévalaient dans les airs. Les bras croisés autour de sa poitrine, la jeune fille était frigorifiée par le gèle qui lui glaçait le sang ; ses vêtements étaient imbibés d'eau, la neige brûlait sa peau comme la cire d'une bougie.
Elle fut soudainement prise d'une hésitation. C'était déjà la troisième fois qu'elle passait devant le bâtiment, désormais désert. Des parcelles de son corps - dont elle ne soupçonnait pas même l'existence - se mettaient à trembler comme si on secouait un prunier. Ses dents claquèrent, accompagnant ses pas qui froissaient le manteau neigeux. Héléna, les paupières closes, inspira longuement afin de rassembler son courage. Puis, elle s'engouffra avec l'aisance d'un chat de gouttière dans une fenêtre laissée entrouverte. Dès son plus jeune âge, elle avait développé une prolixe capacité à se faufiler dans de petits recoins, se mariant dans l'ombre qui la camouflait tel un caméléon. C'était bien la seule chose que l'orphelinat lui ait enseigné ! Elle avait pris l'habitude de voler de la nourriture dans le garde-manger pour en distribuer aux filles du dortoir. Les rations étaient maigres, pour ne pas dire qu'elles furent bien trop souvent insuffisantes, surtout durant les périodes de grand froid. Cette radine de Monratsy ne s'en souciait guère. Son estomac criait famine. Héléna fouilla dans les placards du restaurant, elle attrapa une bouteille et un paquet de gâteaux qu'elle s'empressa de grignoter.
— Retourne toi doucement et pas d'entourloupe, ou je tire !
La jeune fille pivota difficilement sur ses jambes paralysées par le froid. Déçue d'avoir été prise sur le fait, elle soupira mûrement. Ses sourcils se froncèrent face à un petit bout de femme rondelette. Héléna jeta un bref coup d'œil à la fenêtre par laquelle elle venait d'entrer. Elle s'apprêta à fuir comme une voleuse mais le fusil braqué sur elle la ravisa immédiatement.
— C'est toi, allégua la gérante du restaurant en abaissant son arme, je n'étais pas sûr que tu viennes.
Héléna la regardait d'un air ahuri. Trempée jusqu'aux os, elle luttait vainement contre les tremblements qui accaparaient le moindre de ses mouvements. Ses lèvres violacées faisaient ressortir la pâleur de sa peau.
— Je vois que tu as reçu mon colis, rajouta-t-elle alors que l'orpheline lui dévoilait le bijou.
Les diamants incrustés dans l'or pur scintillèrent en capturant les reflets de la lumière artificielle. Un soleil et une rose : le symbole des Seren. Le visage fermé, elle fixait profondément le bijou, l'usant de son regard de braise. Elle secoua amèrement la tête, chassant l'impression de déjà-vu qui monopolisait ses pensées.
C'est de la trahison, cracha-t-elle en claquant violemment la broche contre la table.
La gérante du restaurant se mura dans un silence accablant. Puis, après de longues minutes d'hésitation, une lourde chaise grinça contre le parquet avant qu'elle n'y prenne place, intimant à son invité de l'imiter.
— Tu ne te rappelles pas, Zolatka ( petite étoile ) ?
Héléna plissa les paupières, cette voix d'une douceur réconfortante résonnait parfois tard le soir dans ses rêves. Elle vibrait dans un recoin sombre et reculé de sa tête. Mais celle-ci était tellement lointaine qu'elle arrivait rarement à la saisir.
— Cela t'aidera peut-être à retrouver la mémoire.
Un coffret en argent écorcha délicatement le comptoir. Il apparaissait identique à une vieille boite, qu'on laisserait moisir au fond d'un vieux placard. Sa conscience lui criait de partir d'ici, sans perdre une seconde de plus ! Pourtant, Héléna hésita, effleurant le coffre aux trésors du bout des doigts de peur qu'il ne la brûle. De loin, le métal semblait épais et lisse, mais les apparences étaient trompeuses car d'éthérées gravures s'y incrustaient. Le geste était travaillé, précis et doté d'un subtil raffinement. On pouvait même distinguer le sens par lequel l'artiste avait creusé le métal. Elle remarqua également que d'imprévoyant coupeaux pailletés, s'invitaient ici et là, dans les rainures des feuilles du rosier. L'orpheline inspira profondément, perturbée par toutes les émotions contradictoires qui envahissaient son être. Le contact du métal froid lui glaça le sang. Elle avait la sensation d'être prise au piège, pieds et poings liés au bord d'une falaise, n'ayant d'autre choix que de se jeter dans le vide la tête la première. Héléna n'écoutait que d'une oreille ce que la gérante du restaurant lui contait, elle restait obnubilée par les traces de l'ancienne famille royale pour laquelle Hinda prétendait travailler.
Tout à coup, Héléna referma le coffret, mettant fin aux inepties de cette femme.
— Je ne vous crois pas.
— Et pourtant, tu es là.
Elle ne comptait pas s'éterniser. Une petite voix lui hurlait de prendre ses jambes à son cou tant qu'elle le pouvait encore. Elle pourrait revendre le bijou au marché noir - elle en tirerait certainement un très bon prix, et ainsi s'enfuir loin de la Capitale. Héléna se leva, si brusquement qu'elle fut prise d'un étourdissement. Elle tourna le dos à Hinda, pressée de fuir cet endroit.
— Tu as une tache de naissance sur l'épaule droite, une tache en forme de rose.
Héléna se figea soudainement, ses doigts étaient crispés autour de la poignée. Sa main libre vint frôler son parka humide, à l'endroit même où sa peau était marquée. Comment l'avait-elle deviné ?
— Tu n'es plus seule, Héléna.
Hinda se leva et s'approcha de l'orpheline.
— Laisse-moi t'aider.
Une fois arrivée à sa hauteur, elle mit la broche dans sa paume de main et referma ses doigts autour des siens. Héléna eut le souffle coupé. La poigne d'Hinda s'accentua, si fort que la jeune femme gémit. Le sol, les murs, le plafond semblaient s'effondrer partout où se posait son regard. Son souffle saccadé se bloqua dans sa gorge. L'air lui manquait. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Engloutie par la douleur, sa mine se décomposait. Les yeux d'Hinda s'assombrirent, brillant d'une noirceur sans faille. Un sourire effrayant se dessina sur ses lèvres. Les traits de son visage étaient déformés par l'atrocité. Héléna gémit alors que la broche transperçait désormais sa chair. Une voix caverneuse déformait celle de la gérante, celle-ci s'amplifia jusqu'à ce qu'Héléna finisse par se réveiller.
Les yeux brillant de larmes, elle peinait à reprendre son souffle. Une vive douleur, bien pire qu'une blessure physique éreinta son cœur. Un vide qu'elle ne s'expliquait pas l'embrassait comme une ombre. Le chagrin la consumait à petit feu. Une colère grandissante s'emparait inexplicablement de son corps, serpentant dans ses veines tel un reptile fallacieux. Elle défiait l'envie irrépressible de hurler. Elle passa une main sur son visage dégoulinant de sueur. Elle venait encore de faire ce maudit cauchemar. Depuis maintenant trois ans, il n'avait cessé de hanter ses nuits. Par mesure de sécurité, elle jeta un œil à sa main pour voir si celle-ci n'avait pas été impacté par son rêve. Il n'en était rien, à son plus grand soulagement. Elle fut même heureuse d'entendre la voix sermonnante d'Hinda résonner dans l'appartement, lui sommant de se réveiller. Elles logeaient dans une petite habitation située au dessus du restaurant. L'espace habitable n'était pas très vaste mais il s'avérait amplement suffisant pour ces deux colocataires. La jeune femme avait même sa propre chambre sous les combles ! Héléna poussa un râle d'exaspération et sauta du lit. La gérante l'attendait de pied ferme dans la cuisine, les poings sur les hanches et le regard furieux.
— Il me semblait t'avoir dit de ne plus faire de vagues.
L'odeur des croissants qu'Hinda avait rapporté, comme chaque jeudi, de la Boulangerie installée en bas de la rue enivrait la pièce. Elle était tenue par un couple de retraité aux doigts de fée : les Beauchamps. Leur fils, un trentenaire aussi maigre qu'un fil de fer était censé reprendre la boutique. Mais comme tout bon à rien qui se mérite, il passait ses journées à vider les réserves d'alcool du bar. Ce minable désossé absorbait la picole comme une éponge. À chaque fois qu'Héléna croisait son chemin, elle se demandait où il pouvait caser toute la quantité de gnôle qu'il ingurgitait.
Les cernes qui jouxtaient les paupières de la matrone s'érodaient comme la roche d'une écore. Ils étaient les martyres feutrées d'un sommeil agité. Une force invisible et invincible émanait de son âme torturée, entourant cet être au cœur sur la main d'une armure de fer qui, avec le temps, se fissurait progressivement. Veuve depuis le massacre du Printemps et mère exclusivement d'appellation, Héléna l'entendait parfois, tard le soir, pleurer à la lueur des bougies. Les flammes embrasaient ses prières, calcinaient ses peurs et cautérisaient ses plaies. De loin, Kvétan, ensorceleur de la flore et magicien des jardins veillait sur leur fils unique. Son épouse l'avait envoyé vivre en Orient, dans une famille qu'il ne connaissait que de préceptes. Héléna ne l'aurait jamais avoué de vive voix, mais elle l'admirait. Cette femme ne laissait rien l'atteindre, ayant assez de courage pour sacrifier la vie qu'elle méritait dans l'unique but de protéger une gamine paumée qui attirait les ennuis comme un aimant.
Héléna sursauta quand Hinda déposa brusquement le journal sur la table. Celle-ci avait déjà fait un bon de quinze mètres en voyant les pansements ensanglantés qui baignaient dans la poubelle, l'article publié ce matin avait achevé ce qu'il restait de son bon entendement. Héléna resta silencieuse, elle enroula soigneusement un bandage propre autour de son mollet. Les crocs acérés du molosse n'avaient pas épargné sa chair, ils l'avaient émietté comme du petit pain. Elle rangea sa jambe sous la table, ce geste hâtif et précipité eut le don de la faire grimacer.
— Tu n'en fais qu'à ta tête, un jour, ces histoires finiront mal !
Héléna n'osa pas croiser le regard soucieux de son ange gardien. Elle se pinçait l'arête du nez, signe d'une profonde réfraction. Hinda la prenait sûrement pour une diffamatrice, s'en prenant constamment aux moindres faits et gestes du Gouverneur. Le quartier des Malfamés, les faucheurs, l'entrepôt... elle n'avait pourtant pas rêvé ! Soudain, la gérante consigna la feuille qu'elle avait aperçu agrafé sur un poteau dans la rue.
— Tu dois faire profil bas, Héléna ! Ils placardent des affiches partout en ville, ils recherchent le Corbeau... ils te recherchent, s'empressa-t-elle de rectifier. À force de jouer avec le feu, tu finiras par te brûler les ailes.
La tristesse qu'elle lisait dans ses pupilles lui comprima la poitrine. Mais que pouvait-elle faire ? Rester assise, sans bouger et les yeux fermés... Non, c'était bien impossible ! Un sourire nostalgique traversa brièvement les lèvres de la matrone, elle regrettait certainement de lui avoir révélé la vérité, laisser l'orpheline dans l'ignorance aurait au moins évité toutes ses prises de risques inutiles. Elle combattait une ombre à demie transparente, une tache sombre interceptant un éclat de lumière étouffé par la nébulosité du mal, un obscurcissement écarté d'une conscience ignorée. La tenancière épingla fermement de ses doigts crochus le creux des joues de la jeune femme pour appuyer ses dires, l'obligeant alors à la regarder dans le blanc des yeux. Sa voix était ferme, autoritaire.
Héléna hocha simplement la tête pour toutes réponses, bien trop intimidée pour pouvoir prononcer un seul mot. Un long frisson lui parcourut l'échine. Elle savait qu'il ne fallait pas contrarier d'avantage Hinda quand elle se mettait dans des états pareils. Elle finirait pas se calmer après avoir bu une ou deux tasses de thé à la cannelle.
— Sinon, j'ai réfléchis à ta proposition.
Héléna releva la tête, soudainement intéressée par les dires de la gérante.
— Mais, insista grandement Hinda, elle sera sous ta responsabilité.
— C'est entendu, dit-elle le sourire aux lèvres.
— Maintenant, dépêche-toi de te préparer, le restaurant va bientôt ouvrir ses portes, précipita-t-elle en lui fourrant dans les pattes un tablier.
*
Une boule se formait au creux de son estomac alors qu'elle franchissait les portes de l'orphelinat. D'un pas décidé, Héléna gravit précipitamment les marches deux à deux. Elle ne souhaitait certainement pas croiser le vieux dragon qui sommeillait dans sa tanière en milieu d'après-midi. Cependant, un autre problème de taille l'attendait dans les escaliers. Aurore lui bloquait intentionnellement le passage.
— J'ai entendu dire que tu partais bientôt, commença Héléna dans l'espoir d'éviter un conflit inutile avec elle.
— C'est exact, sourit fièrement celle-ci.
Pour une raison qui lui était inconnue, Aurore l'avait toujours détesté.
— Je vois que tu le vis plutôt bien, je suis ravie pour toi.
Héléna essaya de passer mais Aurore se décala sur le côté pour lui faire face.
— J'ai également été approché pour du travail, vois-tu.
— Quel genre de travail ? fit mine de s'intéresser Héléna afin que celle-ci lui fiche la paix.
Le sourire d'Aurore s'élargit, donnant un frisson à Héléna.
— Je serais nourrie et logée. Madame de Monratsy a des contacts, j'ai été privilégié. Je n'aurais pas à pourrir dans le froid, comme toi.
Héléna resta abasourdie, elle n'eut pas le temps de répliquer que Aurore enchaîna, fière d'elle.
— On dit d'ailleurs que tu as perdu un orteil, je suppose que celui-ci n'a toujours pas repoussé...
Aurore heurta brutalement l'épaule d'Héléna en descendant les escaliers. Héléna se mordit la lèvre inférieur d'énervement et inspira fortement avant de pénétrer dans la chambre. Elle afficha son plus beau sourire, en espérant que ce soit suffisant pour que cette tête de mule ne lui claque pas la porte au nez. Il était primordiale qu'elle se dépatouille de cette acariâtre situation ! Être fâchée de la sorte avec son amie ne lui plaisait guère mais Jemma pouvait lui faire la tête pour le restant de ces jours si l'envie lui prenait, elle ne céderait pas. L'orpheline préférait mille fois accepter l'ignorance de son amie plutôt que de la voir souffrir à cause de ses erreurs. Prisonnier d'un silence assommant, son sourire se fana. Les bras ballants, elle remarqua les filles recroquevillées dans un coin de la chambre. L'ambiance morne et sans joie crispa ses muscles. Bercé dans un mutisme effroyablement terrifiant, l'atmosphère semblait uniquement perturbée par les toux de Jemma. La belle brune se pelotonnait dans un lit, son corps à moitié recouvert d'un drap troué vibrait au rythme des exhalaisons hivernales. À travers ses paupières à demi-closes, les pupilles de la jeune fille se perdaient entre les vagues rébarbatives, contrant pluie salée et marée incoercible. Des gouttes de sueur, identique à des canots, ombragés naviguaient sur les flots de sa peau. Jemma bourdonna une locution incompréhensible à l'oreille de son amie. Héléna y fit abstraction et l'aida à se redresser, en soutenant fermement son buste pour qu'elle puisse évacuer les glaires qui incrustaient ses bronches. Jemma toussa à s'en décoller les poumons, et s'éclaircit la voix.
— J'espère que tu n'es pas venue les mains vides, railla-t-elle, il va falloir plus qu'une paire de soufflés au chocolat pour te faire pardonner, cette fois.
— Non, mais j'ai autre chose.
Héléna lui tendit un présent. Jemma se redressa, et entama l'ouverture du paquet avec entrain. Elle fronça les sourcils en dépliant le morceau de tissu.
— Qu'est-ce que...
Jemma s'interrompit en caressant les broderies qui ornaient le tablier.
— Hinda l'a confectionné pour toi. On s'est dit qu'une serveuse de plus ne serait pas de trop. L'appartement n'est pas très grand mais je suis certaine que trois personnes pourraient facilement y. cohabiter...
Héléna n'eut pas le temps de terminer sa phrase que Jemma lui sauta au cou. Jemma fut contrainte de lâcher sa prise, capturée par une nouvelle quinte de toux.
— Est-ce que le médecin est venu t'ausculter ?
Héléna posa une main délicate sur le front brûlant de l'adolescente.
— À ton avis, répliqua sèchement Jemma.
Héléna soupira bruyamment, bien qu'elle n'en fut pas étonnée. Cette vieille marâtre, aussi corrompu qu'un fruit pourri, ne se donnerait pas la peine de lever le petit doigt pour ses filles. Son amie toussa subitement, des éclaboussures de sang tachèrent les draps usés.
Son sang bouillonnait dans ses veines tandis qu'elle arpentait le long couloir qui menait à l'antre de la sorcière.
— Jemma est malade, il faut prévenir le docteur !
— Bonjour à toi aussi, Héléna. Ce n'est qu'un rhume, d'ici deux jours elle sera sur pied, vilipenda-t-elle en relevant la tête de l'ouvrage qu'elle feuilletait avec nonchalance. Ne commence pas à monter sur tes grands chevaux pour si peu, tu m'en donnes mal au crâne.
Un rire amer échappa à la jeune femme. Soudain, ses épaules se haussèrent violemment. La marâtre venait de claquer d'un mouvement rustre son bouquin.
— Vous me faites pitié, crépita Héléna en accentuant chaque syllabe, éprise d'une assurance qui s'accroissait au fil des saisons.
Madame de Monratsy bondit sur ses deux pieds, ses talons martelèrent le plancher alors qu'elle s'avançait d'un pas estimé. Aussi fourbe qu'une vipère, elle plaqua Héléna contre le fronton en bois.
— J'aimerai que tu me montres un peu plus de respect orpheline, il me semble t'avoir inculqué quelques manières, siffla-t-elle entre ses crochets.
Ses doigts écaillés enserrèrent la gorge de la jeune fille, lui comprimant dangereusement la trachée. Héléna sentait ses joues rougir devant cette cruelle sorcière qui prenait un malin plaisir à la torturer.
Tout à coup, la pression cessa.
D'une main tremblante, l'orpheline massa son cou douloureux, regardant d'un œil mauvais l'affreuse hydre regagner son antre.
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