Chapitre 28

       La Capitale était désolée, comme ces jours de pluie, où les giboulées du mois de Mars inondaient les caniveaux. Lors de ces intempéries, il n'y avait pas un chat dans les rues. Les villageois s'autorisaient une excursion dès que le temps leur offrait une éclaircie, mais aujourd'hui, les averses ne tombaient plus du ciel. La pluie avait enfilé un uniforme noir et continuait de nettoyer les rues à grandes eaux. Les soldats de la Garde arpentaient la ville, ils prévalaient désormais sur la cité au détriment des habitants qui préféraient se confiner chez eux. Le rythme nycthémère de la Garde ne leur laissait aucun répit. Les soldats se dispersaient sur l'ensemble du territoire pour faire régner l'ordre. 

Le restaurant était également devenu bien calme. Malgré l'arrivée des beaux jours, les clients se faisaient rare. Hinda essayait de faire bonne figure mais elle n'arrivait pas à garder la tête haute face à la situation. La gérante pensait qu'avec les semaines, l'histoire concernant Héléna se calmerait mais elle se fourvoyait. Au contraire, le Chancelier en perdait la tête. Les patrouilles se multipliaient dans les contrées du Royaume à la recherche de sa petite protégée. Et maintenant que la rumeur d'un clan de résistants s'était annoncée, la totalité des partisans du Chancelier était sur le qui-vive.

À son plus grand désarroi, les soldats de la garde représentaient désormais sa principale clientèle, bien que quelques habitués conservaient toujours leur tradition. Les soldats n'avaient plus rien de ce qu'elle retrouvait autrefois chez ceux de la Garde Royale. C'était des hommes de savoir-vivre, ils avaient reçu une éducation des plus complète en intégrant l'Académie. Chacun était contraint de reconnaître leur primauté. Désormais, il n'était question que d'une bande de gamin sans instruction, dont l'entraînement rapide bâclait leur apprentissage, et accroissait leur appréciation d'un pouvoir qu'ils n'étaient pas en mesure de contrôler, sans les clés que l'Académie leur fournissait. Ce n'était que des combattants amenés dans l'arène pour distraire l'assistance. Le Chancelier ne voulait plus des hommes d'honneur à ses cotés, il voulait des hommes capable d'obéir aux ordres sans un mot.

Le Chancelier créait une armée.

Hinda savait que ce faux-jeton ne reculerait devant rien pour garder ce qu'il avait si lâchement acquis. Cet être illégitime n'avait aucun mérite, excepté celui de régner en toute impunité. 

Dans la salle du restaurant, la télévision restait allumée à longueur de journée pour combler les vides laissés par le silence, Hinda redoutait le moment où elle entendrait le nom de sa petite protégée aux informations. Héléna finirait par se faire attraper, personne ne pouvait courir indéfiniment. Le Chancelier avait déployé tous les moyens mis à sa disposition pour s'en assurer, une somme d'argent était promise pour la capture de la fugitive. La Garde n'avait plus le privilège de la traque. Les chasseurs de prime étaient dorénavant conviés à la partie, et la récompense était si faramineuse qu'elle pouvait attirer n'importe qui. Ce n'était qu'une question de temps avant que l'Héritière ne rejoigne ses défunts souverains.

Elle eut un pincement au cœur à cette idée, elle ne supporterait pas de la perdre. Elle en mourrait probablement de chagrin, cette petite écervelée était la prunelle de ses yeux. Héléna ne mesurait certainement pas l'importance qu'elle avait dans le monde, elle était bien loin d'imaginer les conséquences de sa survie lors du massacre du Printemps. Elle se sentait coupable parce qu'elle n'aurait jamais dû rependre contact avec Héléna lors de sa majorité. Hinda était pleine d'espoir, malheureusement ses idéaux allaient coûter la vie à sa princesse. Elle essayait de réparer ses erreurs en priant pour Héléna. Mais ses prières n'étaient qu'une ancre auquelle elle se rattachait pour ne pas dériver, elles se consumaient comme les flammes des bougies jusqu'à disparaître entièrement dans un écran de fumée.

Hinda avait finalement perdu tout espoir. Elle n'était pas le seule ! Comme chaque soir depuis le départ précipité de son amie, Yaël avait son rituel.

La gérante avait ses propres coutumes, suppliant un dieu qu'elle ne connaissait que de précepte pour exaucer ses prières. Le coursier lui, était beaucoup plus terre à terre. La bouteille d'alcool qu'il descendait chaque soir ne lui apporterait peut-être pas de réponses mais au moins, il en venait à oublier les questions ! Hinda avait bien essayé de le raisonner, mais elle s'adressait à un mur.

Le jeune homme était accoudé au bar, un verre à demi-plein entre les doigts. Hinda avait engagé une nouvelle serveuse pour l'épauler. La jeune novice était plutôt discrète, néanmoins elle n'en demeurait pas moins efficace – excepté lorsque celle-ci cassait la vaisselle. Un fracas retenti dans la cuisine, lui faisant hausser un sourcil. Hinda poussa un râlement contrôlé et s'éclipsa pour aller évaluer les dégâts.

Yaël venait chaque soir dans l'espoir de retrouver sa vie d'antan, mais l'ambiance n'était plus la même. La gérante avait perdu son sourire et le restaurant n'était plus aussi lumineux que dans son souvenir. Il lui paraissait terne et sans couleur. L'absence d'Héléna pesait lourdement dans la balance. Elle était comme les lueurs de l'aube, le jour ne s'était plus jamais levé autour d'eux depuis sa disparition. 

Elle s'abaissa pour ramasser les morceaux d'assiettes et de nourriture que sa jeune apprentie avait fait tomber par maladresse. Les poils rêches de la balayette crissaient contre le carrelage de la cuisine. En ramassant les débris, elle se rappelait de la visite des soldats, sous les ordres du Gouverneur, quelques semaines plus tôt. Le discours d'Héléna avait alerté la Garde, cette sotte avait avoué sa véritable identité au Royaume entier et s'était attirée les foudres du Chancelier. Depuis leur passage et la disparition de l'orpheline, personne ne pouvait nier que le restaurant était plongé dans une atmosphère sombre. Il portait encore les traces de la visite de la Garde. Les soldats ne s'étaient pas donnés la peine d'ouvrir la porte, ils l'avaient tout simplement fracassé à coup de pieds. Sous la force des hommes d'armes, la cadran s'était fracassé et la vitrine s'était fissurée. Hinda en avait encore la chair de poule, elle n'avait pas eu le courage de les remplacer. La plupart des clients présents dans le restaurant avait fui, certains curieux avaient voulu satisfaire leur appétence mais la violence employée par les soldats leur avait fait rapidement changer d'avis. Hinda s'en souvenait comme si c'était hier, contrairement à Yaël dont certaines scènes demeuraient encore flous, bien qu'il soit resté au côté de la gérante. Les soldats avaient retourné les tables, envoyant valser les verres, les couverts et les assiettes. Hinda avait campé sur sa position malgré leurs intimidations et leurs menaces. Elle n'avait pas flanché un seul instant face à ces brutes qui n'éprouvaient aucun remord à détériorer ce qu'elle chérissait si précieusement. Elle retrouva ses esprits alors que l'horloge se manifestait.

— Je vais bientôt fermer, Yaël, dit-elle en regardant les aiguilles pour s'assurer qu'elle n'avait pas rêvé.

Le jeune homme se redressa en inspirant. Il jeta un œil à l'horloge murale et s'aperçut qu'il n'avait, encore une fois, pas vu l'heure passer.

— Tu devrais rentrer, et te reposer.

Hinda soupira brièvement, sachant pertinemment qu'il n'écouterait en aucune façon ses conseils. Il avala son verre d'un coup sec, essayant de sentir une dernière fois l'alcool picorer sa gorge. Il posa son verre, et tapota la pulpe de ses doigts sur le comptoir. Il s'apprêta à dire quelque chose à Hinda, mais celui-ci se ravisa au dernier moment, et quitta les lieux sans un mot.

Yaël était envahi d'une colère noire qu'il tentait de camoufler. Les soldats, s'il pouvait encore les appeler ainsi, profitaient de la moindre occasion pour montrer leur supériorité. Yaël marchait dans les rues pour rentrer dans son petit appartement. Sur sa route, il regardait les affiches rongées par l'humidité. En début de semaine, un hélicoptère avait survolé la ville. Le raid aérien n'avait surélevé aucun émois de la part des habitants, ce n'était pas la première fois qu'un véhicule de la Garde frimait dans le ciel. Ce jour-là, la météo n'avait annoncé aucune pluie et pourtant, l'atmosphère était encombrée. Des morceaux de papiers dégringolaient par milliers. Les affiches représentaient une caricature grotesque du Chancelier, se faisant dévorer les yeux par un corbeau. L'hélicoptère s'était fait abattre en plein vol par la Garde. Pourquoi les soldats avaient abattu un des leur ? Une phrase fut alors suspendue aux lèvres de tous les habitants : la résistance n'était plus un mythe. 

Au détour d'une ruelle, Yaël aperçu un véhicule de la Garde stationné sur le bas-côté. Le moteur n'émettaient aucun son, la lumière aveuglante des phares éclairait les parois humides des bâtiments. Le jeune homme plissa les yeux lorsqu'il distingua des silhouettes dans la pénombre environnante.

Des voix se haussèrent soudainement, se répercutant contre les palissades de brique. Des soldats remuaient une paire d'adolescents pour avoir collé des affiches de propagande en faveur des résistants.

Yaël s'approchait rapidement de l'étroit passage qui menait à son appartement, il pouvait l'emprunter en toute discrétion, pour cela, il n'avait qu'un pas à faire. Yaël était un homme borné et impétueux, même si l'emprise que l'alcool exerçait sur lui influençait probablement ses décisions. Il venait de trouver l'excuse parfaite pour se défouler. Et la chance lui tournait, Marc faisait parti de la troupe nocturne.

— Regardez qui joue encore au petit soldat !

— Ne te lance pas sur ce terrain là, le coursier.

Les deux adolescents détalèrent à toutes jambes. Yaël ria amèrement, attirant désormais l'attention sur lui.

— Tu es complètement soûle, comprit Marc en sentant son haleine alcoolisée. Tu devrais te reprendre, avant de rapidement le regretter.

— Va te faire voir, fils de chien.

— Moi au moins, je suis le fils de quelqu'un.

Yaël sortit de ses gonds, il bouscula le jeune soldat d'un geste brusque. Celui-ci perdit l'équilibre et se redressa presque immédiatement, alors que les deux autres gardes s'emparèrent du perturbateur.

— Est-ce que je peux savoir ce qu'il se passe ici ?

Un homme émergea de l'ombre. Ses yeux sombres persécutaient la troupe de soldats, qui se pétrifièrent sous le regard de leur supérieur. Yaël émit un râle rauque en essayant de se libérer.

— Rien, Chef. Il ne s'agit que d'un type bourré.

Le Chef resta silencieux mais ses ordres étaient clairs. Il n'avait pas besoin de parler, ses soldats le comprenaient d'un simple geste de la tête. Marc serrait les mâchoires, si fort qu'il finit par grincer des dents. Il espérait avoir mal interprété l'ordre de son supérieur, cependant l'insistance de ce dernier lui prouva le contraire. Marc s'exécuta et le coursier s'effondra.

— Embarquez-moi ce fauteur de trouble !

Le coursier fut balancé à l'arrière du véhicule sans ménagement.

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Je tenais à vous remercier pour tous vos votes, vos vues et vos commentaires. C'est un énorme soutien !

J'ai également débuté un nouveau projet : " Un Froid de Loup " !
Il me tient vraiment à cœur et j'espère que cette histoire vous plaira !

À bientôt,

Lacompteusedelivres.

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