Chapitre 23

        La lune surgit de derrière un nuage, inondant le salon d'une lumière froide et blafarde. Une brise voyageuse s'infiltra à travers la fenêtre. Les panneaux en plastique qui habillaient l'issue pellucide masquaient l'horizon urbain. Aedan étudiait les dossiers que les hommes du Gouverneur avaient retrouvé dans les affaires du vieux médecin. Ses yeux étaient asséchés et fatigués par la lecture. Il se servit un verre de cognac, sa boisson favorite pour rester éveillé tard dans la nuit, et avala goulûment deux gorgées. Il déblaya la table basse d'un geste leste, écroulant la montagne de document sur la moquette abrasée. Une fois le tas de papier écroulé, le trésor que recelait le labyrinthe de mots se dévoila. Une lettre, écrite de la main de la Reine Cassiopée fut retrouvé chez le docteur Hog. Le Chasseur n'avait pas encore trouvé la volonté de lire les derniers mots de la Reine, les éclaboussures de sang imbibant le papier l'en dissuadaient. Un fracas sonore le surpris brusquement, la porte d'entrée venait de s'ouvrir d'une poussée brutale. Aedan perdit l'équilibre en essayant d'attraper le pistolet qu'il gardait caché sous les coussins de son divan, il se cogna contre la table basse et envoya valser la bouteille d'alcool. La dame de verre se brisa, tapissant les gibbosités du sol des fins éclats aussi acérés que les épines d'un rosier. Hua se tenait dans l'encadrement de la porte. Elle était plantée sur le seuil, sa longue chevelure ébène qui encadrait son visage ressemblait à un voile funèbre. Le trou béant dans sa poitrine ne cessait de crépiter comme les grésillements qu'émettrait une station radio lors d'un épisode orageux. Du sang séché formait des traînés noirâtres, sa peau était tellement fine et translucide que l'on pouvait distinguer ses veines violacées serpenter le long de son corps.

— Je suis navré pour toi, tu n'es qu'un dommage collatéral qui n'a pas lieu d'être.

Elle ne pouvait être ici, pensa-t-il. C'était impossible, car elle était morte. Pourtant, il pouvait sentir sur sa peau le frôlement humide de son souffle. Les yeux de Hua étaient rivés sur lui, ses pupilles étaient aussi pâle que le clair de lune. Aedan eut un mouvement de recul, si violent qu'il trébucha et s'entailla la plante des pieds contre les morceaux de verre.

— Qu'est-ce que tu veux ? continua-t-il en se laissant désemparer par son mutisme.

La jeune fille resta de marbre, elle pouvait le torturer rien qu'avec son regard vitreux. Quand soudain, elle se mit à hurler. Elle hurla si fort qu'il dû se boucher les oreilles, l'univers se mit à tourner autour de lui et tout s'anéantit.

Aedan se réveilla en sursaut. Les rayons de l'astre du jour perçaient l'atmosphère. Il passa une main sur son visage pour recouvrer ses esprits, et souffla de soulagement en sentant les draps cotonneux caresser sa peau. Il avait fait un horrible cauchemar. Hua était revenue d'outre-tombe pour hanter ses songes. Il s'extirpa des couvertures, une affliction le fit grimacer alors qu'il posait le pied à terre. Les draps étaient maculés de sang. De son talon à ses orteils, de petites plaies entaillaient les sillons de sa plante.

D'un pas mal assuré, Aedan s'enfonça à travers les longs couloirs aseptisés. Les murs aux palettes formelles s'enchaînaient. Les odeurs des produits chimiques se répandaient. Le personnel s'agitait. Le Chasseur n'avait jamais apprécié ce genre d'endroit. Les mains dans les poches de son blouson, il forçait le passage à l'intérieur d'un essaim de bécasses beaucoup trop braillardes à son goût. Les soignants jacassaient avec condescendance, sans respect pour la tranquillité de leurs patients. Il arpentait les couloirs dans un but bien précis, faisant abstraction de leurs diatribes ennuyeuses. 

Aedan enfila un masque à la fois acariâtre et froid, il poussa la porte d'un geste lent et révélateur de ses appréhensions. Il espérait se tromper, mais la toux graisseuse qu'il entendait lui en indiquait tout le contraire. Dos à lui, il ne semblait pas avoir remarqué sa présence. Le crâne dégarni de l'homme surplombait le dossier d'un imposant fauteuil. Aedan avança d'un pas. Il serrait et desserrait nerveusement ses poings. Le volet était à moitié ouvert, une vieille odeur de renfermé lui prit aux tripes. Le profil du patient se dessinait dans la pénombre de la pièce.

— Je sais que tu m'entends vieux fou, alors ai au moins l'obligeance de me regarder en face, grogna-t-il exaspéré à la vue de ses paupières closes et de son visage crispé. J'ai cru comprendre que ton cœur avait lâché.

— Et bien ! Comme tu peux le constater, je me porte comme un charme, Aedan.

Son ton nuancé de sarcasme provoquait une amertume que le jeune homme peinait à stabiliser. Les yeux vitreux du malade plongèrent dans les siens. Ses mâchoires se contractèrent, Aedan ne pouvait plus se retrouver en présence de cet enfoiré sans qu'une envie de vomir l'assaille. Il le détaillait sommairement et un fin sourire étira les hideuses lèvres du malade en constatant l'effet qu'il lui provoquait. Ses cheveux grisonnants laissaient entrevoir une chair pâle comme la mort. La rage qu'éprouvait Aedan pour cet être abominable le détruisait de l'intérieur. Mille et une pensées l'obnubilaient à son égard. Mille et une façons de lui ôter la vie, milles et une occasions s'étaient présentées. Et pourtant, le Chasseur n'en avait saisie aucune. On pouvait le qualifié de lâche ou le traiter de peureux, cela lui était égale.

— Je vois que tu portes encore sa marque, railla-t-il en lorgnant sur son annulaire droit.

Inconsciemment, Aedan caressa le métal avec la naissance de son pouce pour s'assurer que ce n'était pas un mirage. Milan lui avait offert pour son vingt et unième anniversaire. Cette bague n'avait pas quitté une seule fois son doigt.

— Tu devrais tourner la page, mon garçon.

À l'entente de ses paroles, Aedan fulmina. Il enserra sa gorge d'une poigne de fer. Un fin rictus étira ses lèvres lorsqu'il le vit écarquiller les yeux de stupeur. Sous sa paume, la peau du vieillard était fripée et sensible. Si l'envie lui prenait, Aedan pourrait lui briser la nuque d'un geste aussi simple que celui de serrer une main.

— Nous savons tous les deux que tu n'auras pas assez de courage pour aller jusqu'au bout, dit-il en déformant sa bouche d'un sourire provocant. Tu seras toujours ce petit garçon effrayé par l'orage, cette mauviette qui préférait crever de faim plutôt que de tuer un lapin pour le dîner.

— Et regarde ce que je suis devenu aujourd'hui, chuchota froidement le jeune homme au creux de son oreille.

Il accentua sa poigne et le visage du vieux se crispa.

— Mais je dois avouer que tu as raison sur un point : Mère t'aimait de tout son cœur, et ce fut sa plus grande erreur, renchérit-il avant de le relâcher violemment.

— Je t'ai fait une promesse Aedan, et je compte la tenir jusqu'à mon dernier souffle, s'égosilla le valétudinaire entre deux toux.

— Nous n'avons en commun que notre sang. Tu peux vivre ou crever, ce choix ne dépend que de toi.

Certains étaient terrorisés à l'idée de croiser la route d'une arachnide à huit pattes. Les enfants avaient peur des monstres cachés sous leur lit, et les plus imaginatifs voyaient le croc mitaine se dessiner dans la pénombre de leurs chambres. La peur d'Aedan prenait la forme d'un homme dépourvu de cœur. Ce monstre hantait ses cauchemars, qui une fois Aedan éveillé, ne s'estompaient pas. Il lui faisait payer la mort de sa mère d'une façon qu'aucun enfant ne devrait subir. Aedan n'était qu'un gosse à l'époque. Aujourd'hui encore, son père le terrorisait. Le jeune homme tressaillit sur place à l'entente de ces mots. Cette promesse résonnait encore dans ses tympans, tourbillonnant et s'immisçant en lui comme le venin d'un serpent.

« Je ferai de ta vie un enfer, Aedan. Tu ne connaîtras jamais une once de bonheur, je t'en fais la promesse. »

Le Chasseur avala une énième gorgée du liquide ambré qui lui incendiait l'œsophage. Détourner ses pensées étaient désormais primordial s'il ne voulait pas perdre la tête. Le bar bondé de monde dans lequel il venait de trouver refuge allait probablement l'y aider. À droite, un groupe de jeunes adolescents aux maillots de l'équipe de natation de leur école privée s'esclaffaient bruyamment. En proie à l'alcool qui s'insinuait dans leurs organismes, ils entamèrent une partie de billard mais aucun d'eux n'arrivait à aligner deux mots pour former une phrase cohérente. Ces abrutis lui crevaient les tympans !

L'air frais aéra son esprit. Un peu de calme ne pourrait pas lui faire de mal. Les promeneurs du soir arpentaient les chemins gravillonnés du parc, profitant des dernières lueurs du crépuscule.

Soudain, un écran se matérialisa dans l'atmosphère.

Aedan jeta un œil à sa montre, il n'était pourtant pas encore l'heure des informations quotidiennes. Ses bras retombèrent brusquement le long de son buste. Le temps se figeait. Les bruits environnants, les marcheurs bruyants, les battements de son cœur s'amenuisaient face à la projection qui accaparait chaque cellule de son corps. Héléna était là, sublimée par un maquillage discret qui dissipait ses cernes, accentuait la couleur de ses cils et embellissait son teint lumineux. Sa chevelure mielleuse, longue et joliment arrangée encadrait son visage. Aedan se rappelait encore de sa mine affreusement pâle lorsqu'il l'avait déniché à la sortie de l'église abandonnée. Héléna gardait la tête haute et le menton relevé, exactement comme ce soir là. Sa voix résonnait dans toute la ville à l'aide des hauts-parleurs disséminés dans chaque recoin. Sans se détacher de son émanation, le Chasseur saisit son portable d'un geste vif, composant le numéro du Gouverneur.

— Vous devriez allumer votre téléviseur, Monsieur.

— Je suis au courant, Chasseur, dit-il en contenant la rage qui comprimait sa gorge. La télévision, la radio, les écrans... cette garce n'a rien oublié. Son discours passe en boucle !

— Il faut avertir le Chancelier... et changer de plan, conseilla-t-il. Maintenant que son identité est révélée au grand public, la tuer n'est plus envisageable.

À l'autre bout du fil, un cri de rage obligea Aedan à éloigner le combiné de son oreille.

— Coupez le courant dans toute la ville ! l'entendit-il brailler à ses employés, avant de lui raccrocher au nez.

Un léger rictus prit place sur son visage. Les gens s'agitaient dans la ville. La foule s'agglomérait en masse devant l'écran. Elle venait de leur révéler la vérité. Elle énonça les agissements du Gouverneur, les ordres du Chancelier, la quête du Corbeau. Le massacre du Printemps fut au cœur des diatribes. La peur, la surprise, l'espoir les traversaient tous un par un.

L'héritière était revenue d'outre-tombe. 

*****

Petite surprise du Dimanche !

Le passé d'Aedan se révèle au compte-gouttes.

Héléna, aidée par son petit groupe de rebelles, à dévoilé son existence !

L'histoire vous plaît-elle ? Avez-vous des critiques à émettre ? Des avis ? 

Les choses vont se corser, et rien n'ira dans le sens que vous espérez.

La chasse sera-t-elle fructueuse ?

Des bisous.

Lacompteusedelivres.

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