Chapitre 15

  Teïlo dansait maladroitement sur ses  deux pieds. Son poing ne daignait assommer sa victime.

Il était là, tendu comme un arc, face à cet imposant mur qui ne bronchait pas d'un pouce.

Il inspira longuement, gonflant ses poumons à bloc, prêt à charger sa cible d'une seconde à l'autre. Sa main trembla. Il hésitait à s'emparer de son dessein. La pluie ravageait ses vêtements, emportant courage et assurance dans son sillage. 

Trois coups résonnèrent, il pénétra finalement dans l'appartement qu'il redoutait tant.

— Pas mal ta nouvelle copine. Bon, elle a surtout l'air d'une idiote mais on ne peut pas trouver chaussure à son pied du premier coup, n'est-ce pas ?

— Eliot, souffla-t-il. On a déjà eu cette conversation des centaines de fois, je ne changerai pas d'avis.

Un rire acerbe transcenda, escortant le silence alourdissant qui régnait dans la modeste habitation.

Ploc.

Seul l'avalanche d'eau pluviale canardait les tuiles abîmées du toit. Dans une vile imitation de bombardement guerrier, elle comblait le mutisme qui s'amarrait dans l'atmosphère électrisant.

Ploc. Ploc. Ploc.

Teïlo évitait méticuleusement son regard, préférant se perdre dans la contemplation du salon dont les meubles semblaient ne pas avoir changé de place. Le vieux canapé à ressorts étaient toujours ancré au même endroit, face à une vieille télévision en cube. La multitude de disques qu'il lui avait déniché pour son anniversaire s'empilait dans un coin de la pièce. À l'autre bout, séjournait quelques saladiers éparpillés dans la cuisine.

Teïlo fronça les sourcils, constatant que les fuites n'avaient pas encore été réparé.

— Je suis désolé, mais je n'ai pas le choix.

— Pas autant que moi, cracha Eliot d'une voix si ardue qu'il en frémit.

Teïlo contenait son exaspération. L'envie de secouer cette tête de mule par les épaules et de lui hurler que les choses allaient s'arranger le titillait périlleusement. Il camouflait son chagrin, en voyant son ami lui tourner le dos de façon à mettre fin à leur laconique échange.

— Ne m'abandonne pas Eliot... pas maintenant, débita-t-il les paupières closent.

Son cœur se comprimait dans sa poitrine, lui faisant un mal de chien. Teïlo manqua de tomber à la renverse quand sa vision s'éclaira de nouveau.

Les yeux perçants d'Eliot le dévisagèrent amèrement. Son souffle chaud caressa délicatement son visage. Il essuya d'un geste lent les larmes qui avaient fui leur poste.

Teïlo venait de rompre sa promesse, celle de se tenir à l'écart de son ami pour éviter les soupçons. Sa première intention était de le protéger, coûte que coûte. L'envie de le revoir rongeait progressivement ses pensées jusqu'à ce qu'il ne puisse plus résister.

— Vas-t-en.

Teïlo ravala un sanglot, tant ces mots le blessèrent intérieurement.

Visiblement, le reconquérir s'avérait plus difficile que prévu !

Une chose était sûr le concernant : il n'était pas du genre à abandonner aussi facilement. Eliot lui reviendrait un jour ou l'autre. La patience était le maître mot dans ces circonstances.

Puis il s'éclipsa, chevauché par une tristesse qui ne lui était d'aucune aide sous cette maudite pluie.
       
          *                      

 Un vent austère s'infiltrait vicieusement sous sa veste de costume. Aedan frissonna pudiquement, contrôlant chaque parcelle de son corps vulnérable au froid. Il n'aurait certainement pas craché sur un blouson supplémentaire. Mais il était de toute évidence trop tard pour faire demi-tour. Il venait de se jeter dans le vide, à cinq milles pieds du sol, sans avoir au préalable emporté un parachute.

Le Chasseur n'avait d'autre choix que de foncer la tête la première dans cette voie à sens unique. Il avait passé la journée entière à se ronger les sangs, imaginant ce moment de mille et une façon. Il ne devrait pas laisser l'inquiétude l'user de la sorte. 

C'était complètement stupide ! 

Milan, vêtue d'une robe cintrée d'un bleu aussi clair que ses iris envoûteurs, le rendait extrêmement nerveux.

Elle était emmitouflée dans un épais manteau de fourrure.

Aedan avait toujours détesté cette veste. Son père lui avait offert pour Noël après une partie de chasse, lors de leurs vacances dans la jungle. Cette magnifique créature au pelage roux et rayé de noir ne méritait pas l'affreux sort que ce bourge sans âme lui réservait.

La cupidité. L'orgueil. L'avidité. Ce félin autrefois grand prédateur était désormais menacé d'extinction à cause de ce mélange destructeur qui alimentait le cœur des Hommes.

Milan souhaitait un vêtement hors du commun, à la fois séduisant et attrayant pour se vanter sur les bancs de sa prestigieuse école de commerce – dans l'optique de se démarquer des autres.

Cette idée le révulsait.

Aucune bête ne devrait mourir pour combler les caprices d'une gamine !

Milan était née avec une cuillère en or dans la bouche, ses parents avaient cédé à chacun de ses caprices, y compris celui-ci. Ôter la vie était une chose à ne pas prendre à la légère ! Il n'y avait rien de plus précieux...

Elle lui reprochait de consacrer la majorité de son temps à son projet professionnel, quitte à la négliger.

Aedan était sur le point de décrocher une importante promotion. Il était promu au poste de Commandant. Il serait alors le plus jeune officier à intégrer la Garde royale dans toute l'histoire du Grand Royaume. Il n'y voyait rien d'étonnant. Il avait travaillé d'arrache-pied pour y parvenir. Le Chasseur se mettait constamment au défi, dépassant sans cesse ses limites de jour comme de nuit. Il honorait le nom de sa famille. Son arrière grand-père, son grand-père et son père avant lui avaient tous fait partis des Généraux de la Garde.

C'était dans l'ordre des choses qu'à son tour, il y participe.

Milan et lui n'avaient pas le même point de vue sur certaines choses, ce qui engendrait bon nombre de disputes au sein de leur couple.

Pourtant, il l'aimait.

Son cœur battait rapidement dans sa poitrine, alors qu'il jouait convulsivement avec l'écrin en velours caché dans la poche de son pantalon.

L'odeur alléchante du restaurant envoûtait ses narines. La bâtiment était grandiose. Mais il n'avait d'yeux que pour elle. Il avait pris soin de réserver dans son restaurant préféré, là où il servait les meilleures pâtes italiennes, celles dont elle raffolait tant. 

La salle du restaurant s'effaça soudainement, les plongeant tous deux dans une obscurité démoniaque.

Le tonnerre gronda.

Un éclair embrasa sauvagement le ciel.

Un liquide carmin se dispersa sur le goudron froid.

Puis, vint la pluie.

 Aedan se réveilla en sursaut. Ce cauchemar ne cesserait jamais de le hanter chaque nuit. Les morceaux du sombre puzzle qui obscurcissaient son passé s'estompaient à mesure que les années défilaient. Les rayons du soleil s'invitèrent dans sa chambre, à travers la fenêtre laissée entrouverte.

La première personne qui accapara ses pensées matinales n'était d'autre qu'Héléna. Il n'arrivait pas à la sortir de sa tête.

Le Chasseur arpentait les rues en direction du centre de la ville. Il retroussa le col de sa veste, le froid glacial agressait ses joues. Les lampadaires illuminaient les trottoirs. La musique s'intensifiait à chaque enjambée.

La Capitale fêtait le solstice d'hiver.

Les guirlandes cascadaient dans les airs, éclairant son chemin. Les artistes de rues parsemaient la place. Les chanteurs élevaient la voix, les danseurs étiraient leurs muscles et les peintres échauffaient leurs pinceaux. 

Aedan traversa la foule qui s'arrêtait pour profiter des spectacles. 

Une chaleur l'enivra alors qu'il pénétrait dans le bar bondé.

— Tu me dois un verre !

— Non. Tu as triché, rappela Foulque en le rejoignant à une table haute.

Les baguettes du batteur tapaient frénétiquement sur les fûts en peau. Il martelait son instrument avec vivacité.

— Je me suis seulement servi de tes faiblesses, n'est-ce pas ce que tu essaies de nous apprendre, répliqua sournoisement Aedan.

Foulque leva son verre en direction du Chasseur et avala une gorgée de houblon ambré. L'entraîneur faisait référence à leur dernier combat.

Aedan perdait, et celui-ci avait volontairement cogné son genou affaibli.

Les verres de bière vides s'empilaient sur la table. Les chansons défilaient, le groupe de rock aurait bientôt exploité tout son répertoire. Quelques danseurs occupaient la piste, se mouvant au gré des percussions. 

Soudain, Foulque fronça les sourcils. Il remarqua que la mine autrefois joviale de son protégé se décomposait.

— Qu'est-ce qu'il se passe, fiston ?

Aedan releva le menton.

L'incompréhension se gravait dans les traits de son visage. Il ébouriffa ses cheveux d'un geste maladroit. La musique s'estompait autour de lui. Ses oreilles bourdonnaient alors qu'il relisait le message qu'il venait de recevoir.

— Le Corbeau vient d'être démasqué.

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Le prochain chapitre est riche en émotions ! Gare à vos petits cœurs...

Merci infiniment de lire cette histoire !

Des bisous xoxo

Lacompteusedelivres.















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