Chapitre 13

Les protestants placardèrent des affiches sur chaque mur en brique, chaque poteau en bois, chaque devanture en verre.

Leurs sourcils froncés et leurs regards emplis d'une haine croissante, immuable ; les condamnaient tous à ne ressembler qu'à un seul homme. Le Gouverneur se jouait bien d'eux. Bien loti dans sa tour d'ivoire, il n'avait que faire de leurs quartiers, de leurs problèmes et de leurs vies. Ce monstre avide de pouvoir profitait de leurs faiblesses, il les entubait librement aux yeux de tous.

Nom de dieu !

Teïlo se haïssait lui-même de n'avoir rien vu dans le jeu de son père. Les promesses de son paternel étaient aussi translucides qu'une brise d'été, cependant aucun vent ne viendrait accompagner ces belles paroles.

Les viles manipulations qu'il manigançait à ciel ouvert servaient à garder ces personnes qu'il considérait comme des moins que rien dans le droit chemin.

Le Corbeau était responsable de la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase, en dénonçant les crimes commis contre le quartier des Malfamés.

Les faucheurs récoltaient les résidents comme des champignons durant la saison des cueillettes, pour finalement, les exterminer comme des cafards.

Teïlo se sentit libéré d'un poids lorsqu'il imprima les affiches qui serviraient à dénoncer son père.

L'étau qui comprimait son cœur et le voile qui obscurcissait sa vision s'amenuisaient progressivement. Mais les ficelles du Grand Royaume n'étaient tirées que par une famille, celle du Chancelier.

Après le massacre du Printemps, cet imposteur s'était emparé du trône en toute impunité comme si son nom y était gravé depuis la nuit des temps.

Un être avide de pouvoir, qui n'hésiterait pas à offrir sa famille au diable sans cligner des yeux, ne serait-ce que pour acquérir un dixième de sa fortune actuelle. Et dieu sait qu'il s'étouffait avec la quantité faramineuse d'or qu'il avait amassée.

Le Gouverneur n'était qu'un malheureux pion, englouti dans un épais tas d'autres pions ; tous aussi manipulable qu'une paire de marionnettes.

Ce temps devait être révolu.

Des hommes, des vieillards, des gamins, ils s'étaient rassemblés dans la rue grâce au Corbeau. Le poing levé dans les airs, ils marchaient en hurlant leur colère au monde entier. Ils ne désiraient qu'une seule chose, se faire entendre.

Et là, la ville se rendit subitement compte que tout était sur le point de basculer.

Il était temps que la vérité éclate.

Il était temps que la répression cesse.

Il était temps que la rébellion commence.

Teïlo éteignit brusquement la télévision. Les chaînes locales repassaient en boucle les témoignages des survivants de la prise d'otage. Il n'arrivait pas ôter de sa tête les images de cette soirée.

Alors qu'il traversait le hall principal avec son père, un cri aigu échappa à ses lèvres.

Une faible pression s'exerçait sur la cheville du garçon : des doigts enroulaient son mollet.

Ses pupilles croisèrent un regard perdu entre la douleur et la pitié. La pression cessa et Teïlo s'agenouilla en enlevant sa veste. Il appuya le tissu sur l'abdomen de la femme. Le sang s'écoulait abondamment de sa plaie béante. La rivière en crue imbibait le carrelage blanc. Derrière ses cheveux emmêlés et le sang qui entachait la peau de son visage, il reconnut Pétra. Il avait été à l'école avec ses fils.

Teïlo sentait sous ses paumes, le ventre de la survivante s'élever et s'abaisser avec engouement. L'avocate voulu parler mais le sang emplissait sa gorge. À travers ses yeux, il revoyait la vie de cette femme défiler.

Puis, sous ses doigts, son souffle la quitta.

Elle était morte.

L'orchestre jouait sous une fine pluie. Les trompettes hurlaient et les tambours pleuraient. Les violonistes, l'oreille collée au bois luisant de leurs instruments, agitaient leurs archets au rythme de la mélodie. Les percussions cessèrent, laissant place aux voix séraphiques des choristes.

L'un après l'autre, les cercueils rejoignaient la terre.

Teïlo cacha ses mains dans les poches de sa veste pour masquer les tremblements qui accaparaient ses muscles. Il s'était levé à l'aube. Le garçon avait tenu à assister à la mise en bière de Pétra.

La scène lui rappelait l'enterrement de sa propre mère, six ans plus tôt.

Entourée de soie et d'or, sa mère se trouvait à la place du corps de l'avocate. Pierrick, l'aîné de la fratrie était à sa droite et Pélagien quant à lui, se tenait en retrait. Leur mère travaillait pour son père, le Gouverneur.

À chaque fois qu'ils avaient rendez-vous, Pétra s'arrangeait pour amener ces deux petits garçons. Teïlo et les frangins jouaient dans le jardin, revenant constamment couverts de boue et les genoux écorchés.

En grandissant, ils étaient passés des cabanes dans les bois aux verres dans les bars.

Il posa sa main sur l'épaule de Pierrick qui retenait ses larmes. Teïlo se sentait coupable et se refusait à affronter leurs regards emplis de tristesse.

Du coin de l'œil, il crut un instant apercevoir la silhouette d'Héléna. Il allait la héler mais celle-ci s'était évaporée dans les airs.

Ses insomnies lui donnaient des hallucinations.

Teïlo n'avait pas rêvé, Héléna se cachait derrière la façade d'une crypte.

Elle préférait rester à l'écart de la foule en peine. Les répercussions de la musique emportées par le vent lui donnaient la chair de poule.

L'orpheline n'avait pas le courage de franchir les quelques mètres qui la séparait du lieu de la cérémonie. Le Gouverneur prononça une courte allocution en l'honneur des défunts. Les murmures et les pleurs des endeuillés alimentaient son désarroi.

La foule s'était enfin éclipsée. Seules quelques personnes finissaient de se recueillir auprès de leurs proches.

Héléna essuya les larmes qui perlaient sur le bord de ses paupières. Les fleurs qu'elle tenait en main perdaient leurs pétales.

Héléna s'arrêta devant la tombe de Jemma. Elle voulait lui dévoiler l'entièreté de ses pensées mais les mots lui manquaient. Elle caressa le marbre froid, un léger voile humide embrassait la naissance de ses doigts.

- Je suis content de voir que vous vous portez mieux.

Héléna sursauta. Son bouquet de roses en tomba, rencontrant l'herbe mouillée. Elle fit volte-face, croisant les yeux gris d'Aedan.

- Oui, grâce à vous, murmura-t-elle.

Elle n'avait pas la force d'élever la voix. Cependant, malgré sa faible intonation, il n'en perdait pas une miette.

- Je ne suis pas un adepte des fleurs, dit-il en s'abaissant pour ramasser sa composition florale.

Un long frisson électrisa sa nuque alors qu'il frôlait les doigts de la jeune fille.

- Elles finissent toujours par faner et disparaître...

Le Chasseur regarda Héléna déposer les roses blanches sur la tombe d'une orpheline. Ses cheveux tirés en arrière par une queue de cheval mettaient en valeur ses iris scintillants qui aujourd'hui, semblait éteint.

Il entrouvrit la bouche, s'avançant pour entamer une conversation avec cette femme qui perturbait tous ses sens mais celle-ci le devança en premier.

- Je dois aller travailler, dit-elle, alors qu'un timide sourire prenait place sur ses lèvres.

Sous le regard insistant du jeune homme, Héléna traversa le cimetière, passant devant le coin où était enterré les extrémistes.

Il n'y avait ni pierre tombale, ni marbre, ni plaque. Leurs noms étaient gravés sur une croix de bois, plantée à même la terre sans considération.

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Voici la 2ème rencontre entre nos deux protagonistes !

Qu'en avez-vous pensé ?

Je tiens à vous dire que la 3ème sera... EXPLOSIVE 💥

Des bisous.

Lacompteusedelivres.





























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