Chapitre 10
L'eau ruisselait abondamment. Une brume étouffante enveloppait l'atmosphère. Un fleuve diluvien s'abattait contre la peau d'Héléna, la parsemant d'une fine teinte écarlate. L'onde bouillonnante détendait ses muscles endoloris par la soirée catastrophique de la veille. Elle ne pensait pas un instant que les événements tourneraient d'une façon aussi désastreuse.
Héléna soupira, recrachant le liquide ourlé qui s'infiltrait dans sa cavité buccale. Les paupières barricadées, elle appréciait la chaleur réconfortante qui la berçait avec la tendresse d'une mère.
La plante de ses pieds côtoya le sol impartial. D'emblée, un inopiné frisson s'injecta dans sa colonne vertébrale, cousant chaque vertèbre d'un long filament de picotements.
La jeune femme effaça d'un geste bâclé la buée qui obstruait son reflet, avant de frôler d'un main tremblante les marques bleuâtres qui tâchaient la peau de son cou.
Héléna s'était sentie mourir. Elle avait aperçu son dernier souffle se frayer un chemin à travers les abjects battements de son cœur, le précipitant dangereusement dans le vide.
Pourtant aux portes de la mort, elle ne redoutait pas sa venue. Cette idée devrait l'effrayer, mais elle n'éprouvait qu'un néant sidéral ; parce qu'Héléna savait qu'elle ne se retrouverait pas seule une fois de l'autre côté.
La part de responsabilité que le Corbeau exerçait dans les manifestations contre le Gouverneur ne lui permettait pas d'en vouloir à ces hommes désespérés.
De toutes manières, comment aurait-elle pu prédire une telle réponse des extrémistes ?
Ce déferlement de violence qu'elle avait engendré sans prendre garde aux conséquences de ses actes irréfléchis, uniquement imbibés par la vengeance et l'envie de rétablir une vérité oubliée. Les nombreux morts se gravaient dans son esprit, même si, elle n'était pas celle qui appuyait sur la gâchette. Héléna enfila rapidement un pantalon molletonné, ainsi qu'un pull vert bouteille avant de se rendre dans la cuisine en traînant des pieds, ce qui avait le don d'agacer Hinda.
Des gouttes d'eau perlaient le long de sa nuque, s'échappant de sa tignasse encore mouillée par l'interminable douche qu'elle venait de s'accorder. Cela était nécessaire pour lui éclaircir les idées. Le sol semblait s'effondrer. Impuissante, elle le regardait embarquer comme un ras-de-marré le monde qui l'entourait.
Soudain, un bruit la fit sursauter. Hinda pénétra énergiquement dans la pièce. Elle plaqua furieusement un journal sur la table.
— Tu fais la UNE de tous les journaux ! La presse n'a de cesse de parler de la soirée du Gouverneur, imputa-t-elle d'un ton glaçant.
— Tu veux plutôt parler de la prise d'otage, corrigea vicieusement Héléna.
Par la suite, la jeune femme avala une énième bouchée de la délictueuse tarte aux pommes qui avait la propriété magique de soit-disant soulager tous les maux.
— Mmh...Tu as raison, ce n'est clairement pas mon meilleur profil, plaisanta l'orpheline pour détendre le climat matinale ; mais elle se ravisa immédiatement en voyant le regard de la matrone s'assombrir de colère.
Hinda exagérait.
Elle avait toujours tendance à dramatiser les situations qui s'invitaient dans leurs mœurs quotidiennes. La photographie étant sombre, l'on distinguait allusivement la princesse et son compagnon près du groupe de secouristes. Le Gouverneur leur emboîtait le pas, après l'intervention forcée de la Garde. Les extrémistes n'avaient eu aucune chance de rédemption. Les vengeurs ne se seraient certainement pas arrêtés là. Le mal prenait possession des âmes meurtries par la tristesse, assombrissant les pensées des possédés. Une guerre allait éclater contre les Ténèbres, plongeant le destin du Grand Royaume dans les abîmes de l'Enfer.
— Tu es complètement stupide ma parole !
Hinda secoua la tête, avant de rajouter d'une voix grave :
— Pourquoi est-ce que tu t'es rendue là-bas Héléna ? Tu aurais pu mourir, brailla-t-elle à bout de souffle.
La concernée ravala difficilement sa salive. Les paroles de la matrone s'insinuaient dans son esprit. La tarte aux pommes ne daignait plus passer la barrière de ses lèvres. L'appétit coupé, elle repoussa l'assiette loin d'elle.
Hinda, le regard dans le vide, se rappelait du solstice d'été précédent les dix ans de sa protégée.
Ce jour-là, elle était rentrée au palais complètement lessivée, après avoir passé son après-midi à faire les courses afin de réapprovisionner les cuisines du château. Elle avait dû traverser toute la ville pour dénicher les fameuses pommes rouges dont raffolaient tant sa princesse adorée. Elle aimait ces fruits d'automne ! Leur jus, aussi frais qu'acidulé; leur peau, aussi lisse que du marbre ; leur couleur, aussi voyante qu'une lune de sang.
Ses pieds se clouèrent soudainement sur le sol.
La porte était à moitié entre-ouverte, une trace incarnat lui indiquait le chemin. Le palais était étrangement calme en ce jour de fête.
« On n'entendait pas même une mouche voler. »
Un hurlement qu'elle ne su contenir retenti dans les airs. Ses sacs de courses s'écrasèrent contre le plancher, les pommes roulèrent sur le sol, s'imprégnant de ce liquide visqueux si caractéristique.
Ses mains agrippèrent la croix en argent qui pendouillait sur sa poitrine. Tout comme si, elle se raccrochait à son unique bouée de sauvetage lors d'un naufrage. Une vision d'horreur lui poignardait les yeux.
Le corps inerte de la reine se vidait de son sang, une main sur son ventre.
Une petite fille à la chevelure blonde comme les blés gisait à ses pieds. Hinda s'était étouffée en prononçant son surnom.
« Zolatka. »
Celui-même qu'elle lui avait attribué la première fois qu'elle eut posé les yeux sur elle, sa petite étoile.
Elle s'agenouilla pour retourner le corps de ce qu'elle pensait être la défunte princesse.
Puis, elle cligna plusieurs fois des paupières, se demandant si elle n'hallucinait pas. Ce n'était d'autre que Solange, la fille de la cuisinière.
Elles jouaient souvent ensemble lorsque celle-ci accompagnait sa mère au château.
Un bruit se manifesta, la quadragénaire se releva difficilement. Elle s'empara d'un chandelier en bronze. Son cœur battait la chamade, manquant de sortir de sa poitrine d'un instant à l'autre.
Les hommes de ce massacre n'avaient pas quitté les lieux !
Sa gorge se noua à cette pensée. Elle poussa la porte du grand salon, brandissant son arme de fortune.
Mais la pièce était vide.
Elle porta une main à ses lèvres, barrant la route à la bile qui lui incendiait l'œsophage. La gorge du roi était tranchée, d'un geste maladroit et salement exécuté. Ces enfoirés étaient même incapable de faire les choses correctement ! Sa trachée charcutée ressortait de sa chair, on pouvait apercevoir les premières vertèbres cervicales éclore hors de sa nuque. Hinda était désorientée, elle pensait encore voir son corps convulser. Sa vue se brouillait par les larmes, si bien qu'elle ne pu éviter la marre de sang encore tiède. Son pied dérapa périlleusement dans la flaque vermeille, et elle ahana à garder l'équilibre à l'aide de ses bras.
Elle récitait une prière dans sa langue natale. La voix tremblante et la gorge sèche, elle n'arrivait pas à prononcer correctement la fin de son dialecte divin. La gouvernante brandit le chandelier dans les airs, prête à se défendre, avant d'ouvrir le coffre d'un coup sec.
Le candélabre heurta lourdement le plancher, creusant le sol en bois massif. Hinda ne su retenir ses larmes, en croisant les iris mordorés meurtris de la princesse. Elle serrait la broche si fortement entre ses doigts qu'elle lui avait entaillé la peau.
Les Dolandirici avaient fait passer cette extermination pour un acte isolé de terrorisme. Ces enfoirés étaient incapables d'avouer leur lâcheté au monde entier. Tout n'était que pouvoir et argent. Et si le Chancelier apprenait l'existence d'Héléna, il viendrait probablement finir le travail lui même.
Ils avaient profité de sa faiblesse pour prendre le pouvoir et s'asseoir sur son trône, ravageant son Royaume, et ruinant ce que ses parents avaient si bravement accompli. Ils avaient massacré la mauvaise fille, et cette erreur allait leur coûter la vie.
Héléna les briserait un par un, récupérant ce qui lui appartient de droit.
Quitte à y laisser la vie.
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Cours chapitre mais d'autres surprises se préparent !
Que pensez-vous de l'histoire jusqu'à présent ? Avez-vous des avis, des commentaires positifs ou négatifs à émettre ?
Des bisous.
Lacompteusedelivres
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