Chapitre 9-1 Tant qu'il est encore temps
Brett ouvrit le battant de bois et invita Fabian à y pénétrer d’un hochement de tête avenant. Ce dernier me jeta un coup d’œil et approcha sa bouche de mon oreille pour s’assurer de ne pas être entendu de l’enfant curieux.
— Garde une dague auprès de toi, ces « ombres » ne me disent rien qui vaille. Et le Draas pourrait très bien être venu pour te ramener à son maitre de force.
J’acquiesçai de concert, un sourire en coin.
— Je ne comptais dormir que d’une oreille, rassure-toi, murmurai-je sur le même ton. C’est bien dommage que nous n’ayons pas gardé nos arcs.
Fabian esquissa un sourire crispé et recula d’un pas.
— Bonne nuit, princesse, répliqua-t-il, taquin.
Je levai les yeux au ciel et emboîtai le pas à mon jeune guide sans répondre. Il me désigna la chambre suivante.
— Tes bagages sont à l’intérieur. Il y aura de l’eau chaude demain matin si tu souhaites te laver et tu peux… enfin, tu sais comment ça marche, rit-il.
— Merci pour tout, Brett, ça m’a fait plaisir de vous revoir, souris-je, sincèrement heureuse.
Il me fila un coup de coude.
— Et moi donc ! C’que tu m’as manqué !
Je lui ébouriffai affectueusement sa tignasse avant de lui souhaiter bonne nuit à son tour.
— À demain, bonhomme, repose-toi bien !
Il me gratifia d’un clin d’œil et disparut au bout du couloir en quelques pas.
Je poussai le battant de bois, soudain exténuée. L’avertissement de Fabian me taraudait. J’aperçu mes vêtements retirés dans la chambre de Brett disposés sur le lit ainsi qu’une robe de chambre rose pâle. Elle avait appartenu à la femme de Graham. Il me l’avait déjà prêtée le jour où il m’avait recueillie.
Je retirai les épingles à cheveux de mes tresses et libérai mes mèches azur. Je les posai sur la commode du couloir lorsque soudain, je me figeai, mortifiée. Au même endroit trônait un bouquet d’anthyllias dont les fleurs blanches resplendissaient toujours, entourées d’un ruban de satin vert sapin.
Au ralenti, je saisis délicatement le bouquet et délaçai le ruban. Je plongeai les tiges dans un vase de glace qui venait d’apparaître, rempli d’eau de moitié, puis portai le morceau de tissu à mon nez. Mue par un étrange pressentiment, j’inspirai longuement. Il dégageait une odeur fraiche et épicée, comme celle des pins des montagnes, mélangée à une pointe de lavande, plus légère que les autres fumets. Enfin, je décelai une senteur plus profonde, celle qui émanait de la peau de celui qui était venu déposer le bouquet. Un fumet doux et légèrement sucré.
Pour une fois, ma magie de la Terre ne me fournissait pas d’indices probants. En dehors de cette impression sous-jacente de déjà-vu. Je me concentrai à nouveau, afin d’activer ma mémoire, mais la seule image qui remonta à la surface fut un visage hâlé, aux yeux gris en amande et aux cheveux noirs de jais à peine ondulés. Je chassai rageusement le souvenir de son sourire taquin. Il fallait que je cesse de voir le visage de mon frère partout. Il était mort.
Le ruban toujours serré dans mon poing, je m’approchai de la fenêtre entrouverte d’un pas brusque et jetai un œil à l’extérieur. Un vent glacial me cingla le visage et refroidit mes poumons, tandis que je scrutai le manteau obscur. Les rayons de la lune éclairaient la rue derrière l’auberge ainsi que les dizaines de toits s’étalant dans toutes les directions. Un silence troublant régnait sur la ville de Resh, autrefois pas épargnée des dizaines d’ivrognes qui rentraient chez eux à la fermeture des tavernes.
Nulles ombres en perspective, mais une odeur d’ozone flottait dans l’air et les rafales de vent sifflaient dans la rue étroite. Ce n’était pas un temps de début de printemps. Tout comme les anthyllias à fleur blanche ne poussaient qu’au sud, sur les terres de l’Académie. Tout comme cette espèce sauvage ne se retrouvait pas chez un fleuriste et sa cueillette fut interdite afin d’en faire commerce.
Quelqu’un m’avait laissé un avertissement. Nous avions été pistés jusqu’ici et nos poursuivants savaient où nous dormions ce soir. Un frisson glissa le long de mon échine tandis que je refermai le battant d’un geste sec. Il se recouvrit d’une épaisse couche de glace. Celui qui tenterait de briser le carreau aurait une belle surprise. Je me déshabillai et me glissai dans la robe de chambre puis dans mon lit sans plus attendre, la main resserrée sur le manche de ma dague. Autant profiter du maximum de sommeil.
Un brusque coup retentit dans le silence de la nuit. Je sursautai et me redressai vivement dans mon lit. Une fissure se dessina sur la glace. Je repoussai la couverture et m’habillai à la hâte alors que la fissure s’élargissait. Je me ruai hors de la chambre et défonçai la porte de celle de Fabian, ma dague brandie. Elle était déserte.
Avec un sifflement rageur je couru au bout du couloir jusqu’à l’escalier. Brusquement, je me figeai. En bas des marches rougeoyait la lueur d’une torche et des voix graves se firent entendre. Hors de question de descendre, je montai les marches le plus discrètement possible. Je débouchai dans un grenier rempli de ballot de paille et d’affaire en tout genre. Je m’approchai de l’unique fenêtre dont les charnières étaient verrouillées.
J’inspirai profondément et abaissai la poignée puis ouvris les deux battants. Dehors, la pluie tombait drue. Je grimaçai. La fuite par les toits paraissait suicidaire, mais c’était ma seule option. Tout en prenant appui sur l’encadrement en bois, je me hissai à l’extérieur. Le vent manqua de me déséquilibrer mais je me rattrapai in extremis à un interstice. Plaquée contre les ardoises mouillée, je jetai un coup d’œil sur la place des Lys.
Elle grouillait d’hommes aux visages encapuchonnés qui se regroupaient autour de l’auberge, attendant leurs ordres. C’était ma chance. Je me hissai à l’aide de ma magie de l’Eau sur le haut du toit et me redressai doucement. J’assurai mes appuis, avisai mon chemin, et m’élançai.
Le bâtiment suivant ne se trouvait qu’à quelques mètres de l’Empyrée, mais la distance n’en était pas moins impressionnante. Sur ma lancée, je me focalisai sur mon équilibre et la régularité de mes foulées. Je sautai et atterrit souplement de l’autre côté du précipice.
Soudain, un cri retentit. J’étais repérée. Je repartis de plus belle, telle une flèche qui fendait l’air. L’orage gronda, la pluie redoubla et le vent forcit. Je m’enfonçai en plein cœur de Resh sans un regard en arrière, le regard rivé sur un mur plus haut que les autres, plus sombre aussi. Les écuries. Il me fallait un cheval. À pied, je ne les sèmerai jamais.
Mes cheveux trempés dégoulinaient sur ma combinaison de cuir. L’eau ruisselait sur mon visage et troublait ma vision. Les rafales devenaient également plus violente, comme attirée par ma présence et concentrant leur efforts pour me faire chuter. Pourtant, rien n’arrêtait ma course effrénée, entrecoupée de sauts de plus en plus périlleux.
Fatalement, une bourrasque plus forte que les autres me propulsa sur ma droite et je dérapai. Je glissai le long du toit trempé, heurtai le rebord en pierre taillée. Mes doigts agrippèrent la roche alors que mes jambes se balançaient dans le vide. Ma dague encombrait ma main gauche, mais je ne pouvais me séparer de mon unique arme.
Je tentai de me hisser sur le parapet, mais la roche glissante ne permettait aucune prise. Elle échappait petit à petit à ma prise précaire. Les voix se rapprochaient. Je rassemblai toute mes forces et donnai un coup de bassin pour faciliter le mouvement. Je crus avoir réussi lorsque ma main droite se détacha soudain. Mes ongles raclèrent la pierre et je chutai dans le vide, horrifiée. Je me préparai à heurter le balcon du dessous, quand une main surgie de nulle part agrippa mon avant-bras et me tira à l’intérieur de la demeure. L’autre main étouffa mon cri d’un même mouvement. Je me dégageai d’un coup de coude et reculai brusquement.
Un homme recouvert d’une cape noire et le visage dissimulé sous un capuchon me faisait face. Il se tenait les bras croisés, à peine intimidé.
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