Chapitre 7-1 Patience est maître de ta paix
À peine les portes de l’Académie se refermèrent sur la délégation que le Directeur me convoqua à la Salle de Rubis. À l’instar de celles d’Emeraude et de Saphir, elle n’était utilisée que pour les réunions de hautes importances, comme toutes les Grandes Salles.
Je m’attardai une minute de plus dans la cour qui se désemplissait à vue d’œil, le regard fixé sur les battants clos où avait disparu l’ambassadeur de Faiz. Au fond de ma poche, mon poing serrait le demi-pendentif, me répétant silencieusement que ce n’était pas un adieu cette fois, que je n’avais pas tout perdu. Un léger sourire fleurit sur mes lèvres, matérialisant l’espoir qui gonflait mon âme.
Une pression sur mon épaule me ramena au présent. Je pivotai vers Ochoro dont les pupilles brillaient de joie.
— Je suis heureuse pour toi, murmura-t-elle tout bas, avec un grand sourire.
Ma main se posa sur la sienne.
— Merci.
Sa surprise lorsque je lui avais relaté mon entrevue avec l’ambassadeur n’avait eu d’égale que son soulagement. Un nouvel allié, ce ne pouvait être que bénéfique, d’autant plus que ce soutien amenuisait ma peine. Je n’avais toutefois pas trouvé le courage de lui avouer qu’il nous offrait sa protection, à moi et à Lay. Cela ne bousculait pas grandement le cours des évènements, j’avais simplement une idée précise de mon prochain échappatoire.
L’ombre d’une silhouette sous les arcades attira mon attention. Un jeune garçon avait les yeux rivés sur les portes de l’Académie, les lèvres pincées. S’il avait assisté au départ de l’ambassadeur, ce fut dans la plus grande discrétion. Ses cheveux mi- longs retombaient sur ses épaules en boucle ordonnées et ses épaules droites le vieillissaient. Hirmu. Je m’apprêtai à m’avancer vers lui lorsqu’une seconde voix avorta mon élan.
— Atalaya, le Directeur t’attend.
Je fis volte-face vers Caleb, vêtu d’une tenue d’apparat. Une grimace déforma furtivement mon visage serein.
— Oui, la mission conjointe, je n’ai rien oublié. Ne t’en fais pas, assurai-je avec mauvaise humeur.
Ochoro fronça les sourcils, peu rassurée non plus. Caleb réfréna un soupir et m’offrit son bras en se forçant à sourire.
— As-tu si peu confiance en moi ? se crispa le général
J’esquissai une moue réprobatrice.
— Je te la ramène en un seul morceau, Ochoro, je t’en fais la promesse, ajouta-t-il sur un ton nettement différent à l’intention de mon amie.
Celle-ci, qui s’apprêtait à protester, pinça les lèvres en silence tandis que nous nous éloignions en direction de l’aile administrative. Caleb conserva un silence tendu tout au long du chemin, mais son poing ne cessait de s’ouvrir et de se fermer, signe évident de sa nervosité. Il rejetait ses émotions avant de les barricader derrière une façade de circonstance. À quelques pas de la porte de la salle de Rubis, je n’y tins plus. Ma seconde main se posa sur le haut de son bras en signe d’apaisement.
— Parle Caleb, ou tu vas te ronger les sangs toute la réunion.
Il plongea son regard torturé dans le mien, incertain.
— Tu n’es pas assez gradée pour posséder ces informations, soupira-t-il, buté.
— Je le serais pas plus tard que dans quelques minutes, haussai-je les épaules. Je saurais jouer le jeu.
Il contracta sa mâchoire et détourna les yeux pour dévoiler ses craintes.
— Ce n’est pas une réunion en interne.
— Des ambassadeurs de la garnison de Cordélie sont donc présents ? réfléchis-je. Je ne vois pas ce que j’ai à craindre d’eux. À moins que…
Ma main se resserra brusquement autour du bras du général.
— Ceux d’Iman Wati sont présents également, n’est-ce pas ? formulai-je d’une voix blanche. Qui est ici, Caleb ? Dis-moi !
— Une seule personne a fait le déplacement sous les ordres du Haut Conseiller de Méthinie, mais ce n’est pas n’importe laquelle.
Une sueur froide dégoulina dans mon dos alors que les mots atteignaient mon cerveau.
— C’est le Draas de Diell.
Un Draas était ici, à l’Académie. Je fronçai les sourcils, décontenancée.
— Comment cela se fait-il que sa présence ne m’ait pas été rapportée ?
— Il est arrivé ce matin aux aurores sans escorte et sans que Clay eut été averti de sa venue. Sans cela, tu penses bien que je t’aurais fait parvenir la nouvelle en personne, enragea Caleb.
— Pourquoi cela te perturbe tant ? ne pus-je m’empêcher de m’enquérir.
Les Draas occupaient des postes de conseiller dans toutes les familles régentes de Vëonar. Ils appartenaient à l’ordre des Draasni, sortes de sages à la connaissance légendaire sur l’ère des Hommes et destinés à éclairer leur chemin par leur conseil. Je n’en avais jamais rencontré, le Directeur ayant refusé la venue de l’un des leurs à l’Académie. Il semblait mépriser leur soit disant divine connaissance, arguant qu’ils servaient avant tout les intérêts de leur Draas Pourpre.
Leurs objectifs et leur fonction restaient flous pour moi, mais ce que je retenais, c’était que celui-ci était au service direct d’Iman Wati, Haut-Conseiller aux projets obscurs me concernant. Probablement de mèche avec Leander. Le Draas venait de Diell, là où un des sbires du meurtrier m’avait démasquée, ce ne pouvait être une coïncidence. Le seul but de l’ambassadeur de Méthinie était de s’assurer de mon identité et il était trop tard pour la dissimuler.
Les yeux dans le vague et tout à mes réflexions, je n’entendis même pas la réponse de Caleb, qui s’inquiéta de mon soudain mutisme. Il me secoua le bras et m’admonesta sèchement, soucieux.
— Reprends-toi Atalaya, ce n’est pas le moment de flancher ! Même si ce Draas désire te discréditer aux yeux de l’Académie pour s’accaparer tes services, c’est à toi de te battre !
J’acquiesçai machinalement, le sang ayant déserté mon visage. Caleb avait raison, me ressaisir était la seule façon de sauver la situation. J’inspirai à fond alors que le général me força à le regarder. Ses sourcils froncés et sa mâchoire crispée le vieillissaient et le rendaient intimidant.
— Je ne le laisserai pas faire, tu m’entends ? Pour ça, il faut que tu m’aides.
Je muselai mes craintes pour rappeler à moi ma colère et ma volonté de fer. Moi non plus, je ne me laisserai pas faire. J’esquissai un sourire en coin et dégageai mon visage de la poigne d’acier du général.
— Pour ça, il aurait fallu cracher le morceau dès le départ, c’eut été plus simple, le taquinai-je, faussement téméraire.
Je coupai court à ses protestations d’une tape sur l’épaule et l’entrainai à ma suite d’un pas décidé.
— En avant, mon cher général, les lions s’impatientent.
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