Chapitre 58-2 Toi seule peut décider de t'y abandonner
Son murmure claqua comme un coup de fouet. Je retirai ma main comme si sa peau m'avait brûlé. Ses prunelles ne déviaient pas du vide, pourtant je sentais son esprit braqué sur le mien. M’étais-je à ce point fourvoyé ? Plus interloqué qu’abattu, je m'avançai d'un pas pour me retrouver devant elle. Pour la forcer à reculer et me regarder dans les yeux.
— N’approche pas, gronda-elle.
Elle vissait toujours ses prunelles au sol, les poings serrés. Son changement d’attitude ne trouvait aucune explication. Alors, je glissai un doigt sous son menton et relevai son visage. Son souffle ricocha contre ma mâchoire. Je soulevai un sourcil moqueur. Pour quelqu'un qui refusait qu'on l'approche, elle ne me repoussait pas franchement.
— Rhee.., prévint-elle une nouvelle fois.
Je plongeai enfin dans son regard d'améthyste, comme j'en rêvais depuis des jours. Le choc n'en fut pas moins brutal. Son Esprit se fracassa sur le mien avec la violence d'une lame de fond. Il en embrasa chaque parcelle et assécha ma gorge. Je fermai les yeux, enivré par le déferlement de sensation en provenance directe de la jeune femme.
Était-ce son Feu qui appelait le mien de toutes ses forces ? Ou était-ce elle qui flambait de désir ? Mon souffle se coupa sous le poids de la tension qui enflait entre nous de seconde en seconde. Son parfum de violette enivrait mon odorat alors que ses ongles se plantaient dans mes flancs. Mes lèvres cherchaient les siennes sans les trouver. Elles se dérobaient avec peine.
— Si tu ne recules pas, je ne lutterai pas, gémit la jeune femme.
Je me figeai à l'entente de ses mots. Mon bas-ventre se contracta. Elle prit une inspiration fébrile et enfouit son visage dans le creux de mon cou. Je glissai mes mains au creux de ses reins avec un grognement. Elle poursuivit pourtant d'une voix de basse.
— Si je t’embrasse, je ne m'arrêterai pas. Et j'ai besoin de te parler. J'ai besoin d'avoir les idées claires. Je veux qu'on discute, pour de vrai.
Cette fois, ce fut mon cerveau qui cessa de fonctionner correctement. J’étais incapable d'aligner des mots cohérents. Je reculai vivement pour dévisager la jeune femme. La seule vision de ses yeux brillants et de ses lèvres entrouvertes suffit à repousser ma raison dans ses retranchements. Par les Premiers, que m'avait-elle fait ? Elle me rendait fou.
Je le savais, si je cédais maintenant, j'étais condamné. Condamné à la désirer jusqu'à mon dernier souffle. Et bien plus encore. Je ne pourrais plus me passer d'elle. Mais n'avais-je pas déjà perdu la bataille ? Un soupir m'échappa. Atalaya le prit pour une réponse. Elle s'écarta de quelques pas, mais le regret se diffusa dans mon esprit. Nos émotions se mélangeaient de plus en plus intimement.
La jeune femme s'installa à même le sol, en tailleurs. Je l’imitai à une distance respectable pour me permettre d'organiser mes pensées correctement. Ses paumes posées à plat contre ses cuisses, elle écouta un instant le chant des oiseaux.
— C'est quoi, ce lien qui s'est créé entre nous ? s'enquit-elle à brûle-pourpoint.
Mon visage dû perdre des couleurs, car elle leva aussitôt une main vers moi.
— Je sais que c'est grâce à lui que je suis en vie. Je ne cherche pas à te blâmer, à te juger ou à contester ton choix. Tu m'as sauvé la vie, Rhee, je ne…
Elle chercha ses mots, les yeux écarquillés. Je restai pendu à ses lèvres, immobile.
— Je ne regrette rien, Rhee, murmura la jeune femme. Être liée à toi n'est pas un fardeau.
Elle sourit. Son visage s’illumina d’un soleil qui vibrait à l'intérieur de sa poitrine.
— C'est un présent que je suis fière de porter. Pour autant, nous parlerons de nous plus tard. Je veux des réponses. À toi de jouer.
Le coin de mes lèvres s'étira en une moue goguenarde. Je n'étais pas certain qu'elle soit ravie des explications, mais soit. Du moment que le “nous” arrivait dans la conversation, ma langue se délierait avec plaisir.
— Ce lien s'appelle le tehî-séné. C'est le plus complet, le plus intime et le plus profond qui peut se créer entre deux esprits. Parce qu'il tire sa source de la Magie de l'esprit. Il ne peut exister qu'entre Mages, de Feu à ma connaissance, mais je préfère ne rien affirmer.
Atalaya hocha la tête d'un air entendu. Nous étions loin de pouvoir attester d’une telle chose. Les secrets de la magie semblaient aussi flous que ceux des Premiers. Ma conscience se tendit vers la sienne par instinct, mais je l'immobilisais, incertain. La jeune femme haussa un sourcil moqueur avant de la saisir au vol.
Comme une paume qu'on presse sur une poitrine, son esprit se lova contre le mien. Jamais je n'avais ressenti de connexion si intime avec un mage de Feu. Nous communiquions par télépathie, là se limitait l'utilisation interne de l’esprit. Le tehî-séné ne se forgeait que si peu qu'il s’apparentait davantage au mythe, désormais.
Avec Atalaya, je ressentais ses émotions comme si elles s'imprimaient dans ma poitrine. Je saisissais ses pensées au vol, y entrelaçais les miennes comme une caresse légère. Un vent qui rafraîchissait ma conscience, serpentait au milieu de mes réflexions pour les ponctuer de remarques plus ou moins cyniques.
C'était grisant, et terriblement bon. J'ignorais comment l'appréhender, le tehî-séné était devenu une pratique répudiée pour son imprévisibilité. Il faudrait que j'en touche un mot à une certaine Sentinelle.
Atalaya rouvrit brutalement les paupières. Ses prunelles violettes naviguaient entre mon visage et la vallée en contrebas. Elle rassemblait ses pensées.
— À quoi sert-il, ce lien ? relança-t-elle
— Comme tu as pu le constater, il est utile pour partager nos pensées et nos émotions, au-delà de la télépathie.
— Et à Faiz ? Tu t'en es bien servi pour contrôler mon Feu.
— À Faiz, c'était un coup d'essai, cillai-je en fronçant le nez. J'ai lié ton esprit au mien pour avoir la mainmise sur tes émotions. C'est ton angoisse qui le rendait incontrôlable. Mais, je n'ai pas utilisé que le tehî-séné.
Atalaya croisa les bras, surprise.
— Comment ça ?
— Chaque mage de Feu possède une affinité particulière avec un élément. Pour certain, il s'agit de l'Esprit. C'est mon cas. On développe souvent une faculté en grandissant.
Une lueur de compréhension traversa ses yeux.
— Toi, tu inhibe les émotions ! N'est-ce pas ?
J'esquissai un demi-sourire, amusé par sa spontanéité.
— Pas exactement. Je peux apaiser les sentiments négatifs. Les atténuer, pas les supprimer.
Elle acquiesça, les lèvres pincées. Ses méninges tournaient à plein régime, comme à chaque fois qu'elle emmagasinait de nouvelles informations.
— Et moi ? murmura-t-elle soudain. Est-ce que j'ai une faculté particulière ?
— Je suis sûre que tu peux deviner.
Le silence flotta un instant, puis l'air se mit à scintiller. Les étoiles devinrent des globes lumineux aussi gros que mon poing. Ils se paraient de couleurs vives. La jeune femme esquissa un sourire ému.
— Effectivement, il était aisé de le deviner.
Elle planta son regard dans le mien. Derrière la fierté, palpitait l'espoir. Sa Lumière avait fait éclore en son cœur cette incertitude que peut-être, sa douleur s'apaiserait un jour. Peut-être, elle n'était plus seule. Peut-être trouverait-elle sa place si la terre-mère retrouvait sa paix.
Je lui transmis toute la force que je possédais par le biais de notre lien. Non, elle n'était plus seule. Et oui, elle s'en sortirait. Nous allions nous en sortir. Ensemble. Les globes palpitèrent encore quelques secondes avant de s'évanouir comme ils étaient apparus.
— Rhee, il faut que je saches.
Mon estomac se contracta, mais je clignai des paupières sans rien laisser paraître. L'accent de désespoir qui perçait dans sa voix me rebutait.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé à Tirawan ?
Cette fameuse soirée où elle m'avait confié son passé avec une confiance aveugle. Où elle avait mis à nu ses sentiments les plus profonds pour être entièrement honnête. Pour la première fois. Cette fois, où je lui avais tourné le dos de la façon la plus cruelle, la plus égoïste qui fut.
Je la connaissais par cœur. Des promesses faites à sa famille à la dispute qui avait éclaté quelques jours plus tard. Ces foutus mots que je regrettais depuis jusqu'à ce que je manque de la perdre.
Combien de fois j'avais imaginé l'instant où elle me demanderait des comptes ? Alors que j'aurais dû m'excuser le premier. Je compris alors que ces non-dits étaient la seule raison qui la retenait. Ceux pour lesquels elle me repoussait, encore.
— Je ne suis pas certain de pouvoir te donner les excuses que tu mérites. Je me suis comporté comme un parfait abruti.
— Ça, j'avais remarqué, ricana Laya. Mais, tente toujours. Tu me dois bien ça.
J'étouffai mon rire derrière un raclement de gorge.
— Il se trouve que j'ai cru un instant que j'étais celui vers qui tu cherchais du réconfort. Tu as dévoilé ta sylve devant moi comme ta maison. Tu m'as fait confiance. J'ai cru que la réciproque était vraie.
Elle fronça les sourcils, soudain contrariée.
— Je te fais confiance ! protesta-t-elle vivement
— Lorsque tu as retrouvé ta famille, je suis resté là, parce que je pensais que tu le voulais. Alors que je voyais bien que j'étais de trop !
Ses pommettes blêmirent. D'indignation ou de frustration, je ne savais trancher.
— Lorsque ton frère est arrivé, j'ai compris qu'il n'y avait toujours que lui qui comptait, achevai-je dans un souffle. Ça m'a rendu dingue.
Je passai une main dans mes cheveux, sans la regarder. Je lui devais la vérité, mais elle ne se rendait pas compte de la faveur que je venais de lui faire. Je détestais profondément ce sentiment de malaise qui persistait au creux de ma poitrine.
Une racine surgit soudain de terre et fouetta ma joue. Je redressai la tête, les yeux écarquillés.
— Ça va pas ? m’étouffai-je
La jeune femme étrécit davantage les paupières, les joues rougies. Ses iris violets flambaient de colère. Celle-ci tenait plus du grondement menaçant de la Terre que des flammes du Feu. Plus tenace.
— Pourquoi tu n'as rien dit ? explosa la mage
Elle se redressa d'un bond, ses cheveux s'élevèrent autour de son visage hâlé en une couronne bleutée. Une pointe d'appréhension comprima ma cage thoracique. Je me levai pourtant, les poings serrés.
— Au lieu de me servir toutes ces horreurs, tu aurais dû me dire la vérité ! Comment as-tu pu penser que tu ne comptais pas pour moi ? Que je me fichais de tout…?
Elle grogna de frustration. La colère reflua, mais pas la rage. Je réprimai de plus en plus difficilement le sourire qui menaçait de mettre le feu au poudre. Elle se battait pour une cause qu'elle avait déjà gagnée, mais le lui faire remarquer signerait mon arrêt de mort. Ou au moins une rancœur tenace. Hors de question de gâcher ce moment. La tension qui s'évertuait à entrelacer nos esprits crépitait dans l'air. Elle chargeait une odeur d'épice.
— Je t'ai tout donné ! Tout. Ma confiance, ma liberté, mon âme. Tout. Je haïssais les mages de Feu et je t'ai suivi les yeux fermés. Chaque jour, je te cédais plus de terrain. Je t’ai confié la vie de Lay, la mienne, sans hésitation.
À chaque phrase, elle se rapprocha d'un pas. Désormais, je sentais la lavande qui parfumait sa peau. Je serrai les poings, le menton levé. Je soutins son regard plus brûlant que la braise, plus profond que le manteau de la nuit. Sa poitrine se soulevait à un rythme erratique. Un brouillard ardent balayait mes pensées comme des fétus de paille. Souligner qu’elle exagérait un tantinet me paraissait superflu.
— Je ne veux pas quelqu'un d'autre que toi à mes côtés. Je pourrais perdre la raison pour te garder près de moi. Je veux sentir ton Feu contre ma peau, ta voix dans ma tête. Je veux tes bras autour de moi.
Elle frôla mon nez du bout des lèvres. Les miennes s'entrouvrirent. Le supplice s’éternisait alors qu'elle ne quittait pas mes yeux des siens.
— Mon esprit s'est accordé à ton cœur. Ils battent à l'unisson, maintenant.
Elle venait de relancer la balle. Un sourire taquin étira mes lèvres.
— Tu es certaine de t'engager sur cette voie ? Offrir ton cœur à un mage de Feu insupportable.
Elle esquissa une moue identique. Un poil plus frondeuse.
— Tu es certain de vouloir aimer une Héritière déchue et tourmentée ?
Elle glissa ses bras derrière ma nuque. Je caressai sa pommette du dos de la main. Gravai les traits harmonieux de son visage dans ma mémoire.
— Dès que je t'ai vu, j'ai su que jamais plus je ne pourrai me passer de toi, murmurai-je d'une voix rauque. À présent, je te l’assure. Tu consumes chacune de mes pensées. Et je ne veux pas que tu cesses.
J’accrochai ses prunelles fiévreuses une seconde. Elle écrasa ses lèvres sur les miennes.
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