Chapitre 58-1 Toi seule peut décider de t'y abandonner

Le soleil baignait de ses rayons violets la cime des arbres. L'aube tirerait bientôt les dryades de leur cabane. J'attendais le signe de Myra de pied ferme. La première sortie d'Atalaya depuis son réveil. Je me penchai légèrement en avant et contemplai le vide avec une envie quelque peu suicidaire. La branche du séquoia sur laquelle j'étais assis ne ploya pas. Je ne risquais pas de tomber. Sous mes pieds ballants, les lychaons s'élançaient à pleine vitesse.

Je n'étais plus remonté sur leur dos depuis que l'un d'entre eux m'avait déposé à la cabane de la caelyn. Riv somnolait au bout de la branche opposée à la mienne. Il serait le premier à s'agiter dès que la mage de la Terre mettrait un pied à l'extérieur. Je ne l'avais pas revue depuis… Depuis… Les mots ne vinrent pas.

Comment nommer ce brasier qui s'était allumé dans ma poitrine lorsque j'avais posé les yeux sur elle. J'avais conscience d'avoir franchi un point de non retour. Elle aussi, du reste. Lorsque son visage apparaissait dans mes pensées, et Hélias savait qu'il me laissait rarement en paix, le désir flambait en moi. Qui de nous deux avait pris conscience que cette attraction revêtait bien plus ? Que la réfréner n'était plus envisageable ? Je refusais de mettre des mots dessus avant de les lui dire. Elle méritait d'être la première à les entendre.

De mon perchoir pas si bien placé que ça, j'observais attentivement le village s'éveiller. Les premières dryades à se lever se rendirent aux serres pour regrouper les vivres du petit déjeuner. La réserve commune était accessible à chacune d'entre elles, sans exception. Celles qui servaient à la hîra de la Seina portaient des bracelets dorés aux bras et aux chevilles. Leurs cheveux étaient piquetés de perles d'or.

La serre était située à l'est du village, sur une immense plate-forme recouverte de mousse. De larges feuilles enchevêtrées servaient de toit. Les fruits et les légumes étaient entreposés à l'intérieur, approvisionnés chaque jour. Les dryades ne stockaient pas pour plus de deux jours.

J'ignorais où elles cultivaient ce qui ne poussait pas sur des arbres. De mon perchoir à l'opposé de la réserve, je possédais une vue sur l'entrée du village, par le long pont de liane, ainsi que sur la plupart des cabanes habitées. Au centre se dressait celle de la Seina. Derrière, l'accès nous était interdit. La cabane de Myra se trouvait non loin de celle de la Seina, légèrement au sud-est. Celle où elles nous avaient parqué, Lay et moi, se situait à l'extrémité ouest du village. Facile à surveiller.

Alys passait presque tout son temps en notre compagnie, ou plutôt avec celle de Lay, lorsque que j'avais rendu visite à Atalaya. Ce qui n'était pas arrivé depuis trois jours. La deuxième flopée de dryades à pointer le bout de leur nez se ruèrent à l'arrière du village. Le cœur de vie du Hîra, sans doute. Là où elles travaillaient, mangeaient. La partie la plus intrigante.

Un mouvement en périphérie de mon champ de vision focalisa mon attention. Alys se rendait à notre cabane, les bras chargés de victuailles. Le soleil s'était déjà levé. Je devais être perché là depuis une heure ou deux. Riv ouvrit une paupière lorsqu'il sentit la dryade s’approcher, puis il la referma. Quelle feignasse, ce piaf, ricanai-je intérieurement. Le rapace darda sur moi un regard perçant. Avait-il perçu ma pensée ? Dans le doute, je descendis prestement de ma branche et déchargeai l’adolescente avec un bref salut. Elle me sourit en retour et s’engouffra à ma suite dans la cabane.

— Je vais réveiller la marmotte, marmonnai-je.

— Laisse, je m'en chargerai. Elle va venir te chercher bientôt, tu ferais mieux de manger. La journée va être longue. La Seina a convoqué ses plus proches conseillères cette après-midi.

Je fronçai les sourcils, alarmé.

— Pour planifier notre départ ?

— Je n'en sais rien, railla Alys, mais je parierai plus sur un sujet autrement plus important.

Je me renfrognai sans répondre. Laya possédera sûrement davantage d’information. Elle s'était entretenue avec la Seina hier. J’avalai ma collation en quelques minutes, en silence. Alys n'était pas une bavarde, mais je l'avais connue plus joviale.

— Quelque chose te tracasse ?

Elle fit la moue. Je crus qu'elle n'allait pas me répondre.

— Vous allez me laisser ici, dans un pays au bord de la guerre civile, à l'aube d'une guerre continentale, séparée de mes amis, soupira la jeune fille. Dans un endroit où je n'aurais plus mon mot à dire, plus de décision à prendre. Où je ne serais plus un fardeau, mais pas plus utile qu'une cultivatrice.

Elle posa ses mains à plat sur la table, les yeux fermés. Je n'étais pas vraiment la bonne personne à qui s'adresser, mais je pouvais essayer de faire de mon mieux.

— Tu n’exagères pas un tantinet ? fis-je remarquer.

Elle rouvrit les paupières pour me fusiller des yeux. Je levai les paumes d'un air contrit.

— Pourquoi es-tu allée à l'Académie ?

— Pourquoi j'ai quitté ma prison dorée pour une en fer, sans une once de respect pour notre culture ?

Ce fut à mon tour de lui jeter un regard oblique.

— Non, je me fiche de ce que tu étudiais là-bas. Je te demande ce que tu cherchais à l'extérieur de l’Eldöryan ? La raison qui t’a poussé à prendre ton envol. Celle qui a donné un sens à ta vie.

Alys plissa les yeux, en pleine réflexion. Je patientai en enfournant quelques gâteaux à la crème.

— Ici, il n'y a pas d'école. Chaque jeune dryade possède sa maiorîn, sa mentor, qui va lui transmettre son savoir. Notre maiorîn est choisie lors de nos premières années de vie. Notre voie est tracée par les Premières, elle est adaptée à chacune d'entre nous.

Elle se tut un instant, replaça ses mèches blondes derrière son oreille.

— Lors du Semandar d'il y a cinq ans, la Seina Reisha est revenue avec une nouvelle sans précédent. Notre Seinarîn avait accepté d'envoyer une dryade à l'Académie de Vëonar afin de soutenir le projet de Clay Blackwell.

Effectivement, l'annonce avait dû en surprendre plus d'une. Le directeur de l'académie était un bon politicien, éloquent en plus de ça.

— Je me suis portée volontaire. Je désirais voyager, découvrir le monde sur lequel les Premières avaient veillé pendant tant d'années. Je voulais rencontrer d'autres peuples, tracer ma propre route. J'adore voler à dos de lychaon, mais de mes propres ailes, ça n'a pas de prix.

Désir de liberté, donc. Alys avait un tempérament d'aventurière derrière ses yeux doux. Elle était l'électron libre pétri d'une volonté de fer. L'amour de la connaissance brillait au fond de ses prunelles. Une lueur qui se transformerait bientôt en feu de forêt. Notre monde était en train de changer.

— N'éteint jamais ce feu qui brûle en toi, Alys, lui intimai-je.

Elle cilla, les poings serrés.

— Et je m'y connais en flamme, ajoutai-je avec un clin d'œil.

Un début de sourire raviva l'éclat de la joie sur son visage.

— C'est important, insistai-je. Il te guidera sur la voie qui t'appartient. Écoute le se mêler aux battements de ton cœur. Pas par excès de confiance, mu par imprudence, mais laisse toi guider par lui. Attise-le, prends-en bien soin. Tu n'as pas fini d’explorer le monde. Il faut simplement attendre ton heure. Peut-être qu’ici, tu as d'abord quelque chose d’important à accomplir.

Elle fronça les sourcils, interloquée.

— Comme quoi ?

— Les voies des Premières sont parfois capricieuses, c'est Atalaya qui me l’a dit. Si elles attendent quelque chose de toi, toi seule peut l’accomplir.

— Entendu, je vais y réfléchir.

Elle se leva de table et s'apprêtait à grimper à l'étage.

— Dernière question, l’interpellai-je. Qui est ta maiorîn ?

Elle esquissa un sourire en coin, pas dupe. Je souhaitais juste confirmer mon intuition.

— Myra.

Une veilÿn vint frapper à notre porte en milieu de matinée. Alys lui ouvrit et la salua en inclinant légèrement la tête. La dryade aux cheveux verts qui nous avait accueillis me jeta un regard prudent.

— Suis-moi, mage de Feu.

Le parquet craqua à l'étage. Lay avait entendu la porte s'ouvrir. J'emboitai le pas à la dryade avant qu'il ne nous attire des ennuis. Alys me gratifia d'un clin d'œil avant de refermer la porte sur nous. Sans arme, je me sentais nu. Mes mouvements me paraissaient maladroits, déséquilibrés par l'absence de mon épée et de mes dagues. Devant moi, la dryade aux tresses sapin se mouvait avec souplesse le long de l'enchevêtrement de pont, qu'elle coupait de temps en temps par une branche à son goût. Elle gagna la cabane de Myra en quelques minutes, puis elle s'immobilisa.

— On ne frappe pas ? protestai-je, impatient

Elle me jeta un coup d'œil peu amène, muette. Son vocabulaire devait être limité. Myra glissa une tête dans l'entrebâillement de la porte assez vite, les traits tirés.

— On arrive. Vivyën, tu peux y aller.
La veilÿn hocha la tête et s'éloigna sans demander son reste.

— Transmettez mes amitiés à sîn Diaslîn, intima-t-elle avant de filer.

Myra me fit signe d'entrer dans la cahute. Un chantier sans nom y régnait. Deux fois plus de bocaux et de plantes séchées jonchaient l'établi. La caelyn poursuivait ses recherches sur l'antidote avec acharnement. Ses cheveux blonds rosés étaient négligemment nattés à la hâte et les cernes sous ses yeux rubis démentaient le sourire furtif qu'elle m'adressa.

— Il va falloir songer à faire un petit somme, lui dis-je.

Elle haussa un sourcil dubitatif tandis qu'elle se postait dans le dos d'Atalaya. La jeune femme croisa mon regard un instant, elle leva les yeux au ciel face à l’obstination de son amie. Myra bataillait toujours avec le laçage de l'étrange tenue qu'avait revêtu mon Héritière. Une tunique blanche sans manche s'attachait dans son dos par un jeu de lacet sophistiqué. Elle avait enfilé un bandeau violet qui lui recouvrait la poitrine, ainsi qu'un court pagne de la même couleur. Pratique et léger, parfaitement dans le thème culturel des dryades.

Les nervures pourpres couvraient toujours ses bras nus, mais ils s'arrêtaient désormais aux épaules. Des bandages protégeaient ses avant-bras et sa paume blessée. Question de précaution, sans doute. Je m'étais adossé contre une armoire lorsqu'un juron fleuri échappa de nouveau à la caelyn excédée. Je m'approchai avec un ricanement.

— Laisse-moi faire, tu vas déchirer le tissu à tirer dessus comme ça.

Elle me fusilla des yeux, mais me céda volontiers sa place. Mes doigts entremêlèrent avec dextérité les rubans soyeux dans le dos de la jeune femme silencieuse et tendue comme un arc. Je réprimai un sourire en coin. Par curiosité, j'attardai mes doigts sur sa peau hâlée, l’effleurant délibérément. Un frisson la parcourut. Je nouai les derniers liens et m’écartai avant de me prendre une remontrance.

— Alors, quel est le programme ? Pour Myra, une sieste je suppose ? ricanai-je

Si la dryade avait pu me planter, elle l'aurait fait. La lueur assassine qui tapissa ses prunelles accentua mon rictus moqueur. Atalaya m'asséna une pichenette mentale avant de retenir son amie par le coude d'un geste apaisant.

— Il n'a pas tort, Myra, tu manques cruellement de repos. Je n'ai pas besoin de soin pendant les prochaines heures, profites-en.

Devant sa moue obstinée, Atalaya esquissa un sourire attendri. Elle avait souvent eu moins d'égards me concernant.

— Fais-le pour moi, s'il te plaît. Je voudrais profiter de mon amie, ce soir.

— Ce soir ? relevai-je. D'autres précisions à ajouter, peut-être ?

La mage de la Terre me coula un regard en coin. Je sentis son esprit s'agiter dans le mien en une vague voluptueuse. Message reçu, je prenais mon mal en patience. Je levai tout de même les yeux au ciel. Depuis quand je ployais le genou devant une femme, déjà ? Shiva m'aurait ri au nez en entendant pareille pensée.

Atalaya était mon Héritière, celle devant qui je devais ployer. Pourtant, ce n'était pas ce désir qui s'imposait lorsque je posais les yeux sur elle. Il était bien différent. Plus grisant. Plus incertain. Je la suivis du regard tandis qu'elle glissait une dague à sa ceinture, en plus d'une besace en cuir.

Une main saisit soudain la mienne. Mes doigts se refermèrent sur un rouleau de papier rugueux. Je soulevai un sourcil interrogateur. La dryade ourla le coin de ses lèvres en une moue butée.

— Montre-lui, c'est important.

Je haussai les épaules et glissai le parchemin à l'intérieur de ma tunique. Atalaya trépignait déjà d’impatience à l'entrée de la hira. Mais pas seulement.  Son aura se cabrait sous les assauts de ses émotions qui la décoraient de nuages colorés. Elle bouillonnait intérieurement, au sens propre. Un sourire amusé se dessina sur mon visage. C'était moi qui lui faisais cet effet ?

Atalaya se retourna vivement, les prunelles étrécies. Je me figeai soudain, mortifié. Elle avait saisi ma pensée ? Le tehî-séné s'approfondissait davantage, visiblement. Ce qui ne tournait pas en ma faveur vu l'indignation qui flamba dans ses iris violets.

— Si tu as fini de batifoler, on pourrait peut-être y aller ? persifla la jeune femme

— Tu as l'air en forme pour une miraculée qui paresse au lit depuis des jours, ripostai-je avec un sourire crâneur.

Atalaya étouffa une insulte derrière un regard incendiaire. Myra me poussa brutalement en dehors de la hira en levant les yeux au ciel.

— Allez vous étriper ailleurs, maugréa-t-elle, si vous ne vous sautez pas dessus avant.

Puis, elle claqua sèchement la porte face au visage écarlate de son amie. L'incrédulité étouffa sa colère comme on souffle une bougie. Le silence fut cependant de courte durée. Un glatissement strident acheva de réveiller le reste du village endormi. La pyrie se percha sur le garde fou qui ploya sous son poids.

Atalaya éclata de rire lorsque Riv frotta sa tête contre la sienne. Elle lui rendit ses caresses avec tendresse. L'oiseau du soleil, comme elle l'appelait, la gratifia d'un concert de pépiement joyeux. Puis, la jeune femme finit par l'enjoindre à nous suivre. La sérénité qui habitait son visage tranchait tellement avec le tourbillon d'émotion qui l'agitait de l'intérieur. La présence de la pyrie l'apaisait, je l'avais déjà remarqué. Enfin, pas autant que moi, tout de même.

— Tu viens ?

Atalaya me tendait la main, ses prunelles violettes pétillant de malice. Le dernier souvenir que je possédais d'elles, je me perdais dans les flammes ardentes qui y brûlaient. Et j'aurais pu y vendre mon âme. Aujourd'hui, je trouvais la jeune femme changée. Je glissais mes doigts dans les siens sans vraiment y réfléchir. Sa peau douce diffusa une chaleur au creux de ma paume. Laya s'adaptait à sa magie comme on assouplit un roseau.

La jeune femme m'entraina à sa suite sans une once d'hésitation. Après tout, elle devait connaître ce village comme sa poche. Elle s'éloigna pourtant rapidement des cabanes et les ponts de lianes cédèrent la place aux hautes branches des séquoias. J'évitais de regarder en bas, mais la mousse glissante sous nos pieds me filait la gerbe. Les hauteurs, c'était pas mon truc. Pas génial lorsqu'on tentait de devenir Sentinelle, ça je l'avais appris à mes dépends plus jeune.

Tu ne tomberas pas, s'amusa la jeune femme. J'y veille.

En effet, elle me jetait de réguliers regards attentifs. Aussi bref qu'un battement d'aile, aussi hypnotique qu'une étoile filante dans le ciel nocturne. À chaque fois qu'un juron m'échappait, une corde lumineuse venait s’enrouler autour de mon poignet.

La première fois qu’elle sauta d'une branche à l'autre, mon cœur cogna dans ma poitrine. Je refusais tout net. Hors de question de me rompre les os, je n'étais pas mage de la Terre, moi. Atalaya éclata de rire et secoua la tête. D'un bond souple, elle se hissa sur la branche où je me trouvais. Elle entrelaça nos doigts. Son visage s’approcha du mien avec la lenteur d'un prédateur.

— Ensemble ? susurra-t-elle au creux de mon oreille

Je dardai un regard brûlant sur son visage hâlé.

— Ensemble.

Un nouveau sourire, resplendissant, étira ses lèvres pleines. Puis, elle sauta dans le vide. Je me réceptionnai avec aisance sur la branche en contrebas, ahuri. Puis, je compris. L’Eldöryan était une sylve aussi vivante, quoique bien plus, que Tirawan. Elle se pliait à notre volonté. Où plutôt, nous la laissions nous guider.

Il t'en aura fallu, du temps, pour le comprendre, Eîshin.

— Comment m'as-tu appelé ? relevai-je
Au lieu de me répondre, elle me jeta un regard moucheté de défi.

— Tu es prêt ?

J'aurais pu me méfier d'une telle requête. Si je n'avais perçu avec autant d'acuité la teneur de ses pensées. Atalaya avait quelque chose en tête, mais quoi qu'il fut, le regard qu'elle posait sur moi en ce moment était différent. Une partie de moi, celle que j'ignorais superbement depuis ce matin, me serinait qu'au coucher du soleil, je lui aurais délivré le fond de ma pensée.

— À quoi ? répliquai-je d'une voix rauque

La sienne se perdit dans un murmure suave.

— À rendre les armes et sauter dans le vide.

Sauter dans le vide. J'étais déjà en train de le faire, en dévorant ses lèvres du regard.

— Si c'est à tes côtés, je sauterai à pieds joints.

Elle esquissa un sourire énigmatique. Son assurance désarmante attisait le feu qui brûlait dans mes entrailles. J'avais l'impression d'avoir une nouvelle Atalaya devant moi. Alors que je la voyais enfin sous son vrai visage. Celui qu'elle n’avait réservé qu’à Daisyel, jusqu'à aujourd'hui.

Plus de filin de lumière, ni de mains jointes. Cette fois, elle sauta de la branche en plongeon en piqué. Je bondis à sa suite. L'air siffla à mes oreilles tandis que mon corps prenait de la vitesse. Soudain, un courant ascendant me redressa. Mes jambes se refermèrent autour d'un corps duveteux. Trois paires d'ailes bleu nuit tranchèrent l'air d'un même mouvement. Un lychaon. Un roucoulement me salua. Je gratifiai l'animal d'une caresse. Incroyable, ils sont venus sans même qu'on ait besoin de les appeler.

Juste devant moi, le lychaon qui avait cueilli la mage de la Terre au vol s'enfonçait entre les hauts arbres de l’Eldöryan. Ses ailes noires charbon piquetées d’étoiles écarlates fendaient l'air à une vitesse affolante. Nous laissâmes derrière nous le village à peine réveillé pour nous enfoncer dans la sylve sauvage de la terre des dryades.

De nombreuses cascades déversaient leur eau tantôt cristalline, tantôt aussi verte que mes yeux, en tranchées rutilantes à travers la mer de taillis plus colorés les uns que les autres. Un parfum capiteux embaumait mes narines, à la croisée de la myrrhe et de patchouli. Bientôt, des notes florales de violette et d'oranger vinrent s'ajouter à la senteur exotique de la forêt bariolée qui défilait sous les ailes de nos lychaons.

Soudain, les arbres s'écartèrent pour dévoiler une vallée splendide. La cascade qui serpentait en pallier de plus en plus large s'incrustait sur une falaise en pierre ocre. Les bassins bordés de roches immaculées déployaient leur corolle. Surtout, l'eau charriée par la cascade était rose. Atalaya dirigea les lychaons vers l’esplanade qui surplombait la chute d'eau.

Ma monture ailée me déposa sur le sol moelleux avec douceur avant de repartir à tire-d'aile avec son partenaire. La jeune femme s’avança au bord du précipice, songeuse. Sa tunique blanche ondulait contre sa peau au rythme de la brise qui froissait le silence de la sylve. Je m’approchai sans mots dire. Nous étions enfin seuls, aux confins de l’Eldöryan.

Incapable de détacher mon regard d’elle, je tentai de réfréner un instant les pulsions entêtante de mon Feu. Celles qui me poussaient à achever ce que nous avions commencé dans la hira de Myra. Où plutôt d’accepter ce que je ressentais pour elle, de le clamer haut et fort. Je glissai une main au bas de son dos pour attirer son attention. Atalaya tressaillit. Son esprit se courba furieusement aux confins du mien, insaisissable.

— Ne me touche pas.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top