Chapitre 54-1 L'Eldöryan a scellé ses frontières pour préserver sa paix
Lorsque je me redressai au milieu des remous, une rafale me percuta de plein fouet. Ma vue brouillée m'empêcha de localiser mes compagnons. L'air siffla au-dessus de nous. J'érigeai un bouclier à la hâte. Les poinçons se fichèrent dedans avec un bruit mat. Une nouvelle salve de vent s'abattit sur ma barrière, mais je tins bon.
- Lay ? Alys ?!
Je balayai du regard le cours d'eau. Aucune trace des adolescents. À l'instant où je reportais mon attention sur l'autre rive, une silhouette émergea du torrent. Rhee. Je projetai aussitôt mon esprit vers lui.
- Laisse-moi entrer !
J'avais à peine prononcé ma requête que ses barrières mentales s'affaissèrent. Mon Esprit s'engouffra dans le sien.
- Où sont les adolescents ?
- Aucune idée, essaie de sonder les environs, je m'occupe de les repousser si ton bouclier s'effondre. Il faut les localiser.
J'obtempérai aussitôt et projetai ma magie de la Terre autour de moi. Si la forêt était réticente à répondre à mon appel, ma magie était toujours capable d'étendre mes sens. Je visualisais le torrent en premier, je me tenais debout à quelques mètres de Rhee, face à la rive côté Vëonar. Les mages de l'air nous bombardaient, alignés le long de la rivière. D'autres se tenaient en retrait, planqués dans les arbres. Dans notre dos, la frontière de l'Eldöryan brillait doucement d'une lueur verte à travers ma vision mentale.
- Laya ! Viens ! s'époumona une voix
Je rouvris brusquement les yeux et pivotai sur mes appuis pour me retourner, sans relâcher le bouclier. J'aperçus deux tignasses, l'une noir et l'autre blonde. Alys et Lay, aplatis dans l'herbe étaient à peine visibles parmi les herbes hautes. Je distinguai l'énergie qui circulait dans le sol avant même qu'une racine épaisse ne glisse dans l'eau pour venir s'enrouler autour de ma taille.
- Rhee !
Je lançai un filin de lumière au mage de Feu, qui le saisit à l'instant où la racine nous tira sur la berge. Je me réceptionnai genoux à terre. Le boulier reflua pour nous entourer. Une plus petite surface était bien plus résistante.
- Il nous faut attaquer maintenant. Sinon, nous allons nous retrouver submergés.
Je secouai la tête en signe de dénégation. Rhee se tenait effectivement prêt à bondir sur l'ennemi, poignard à la main. Pourtant, c'était la pire des initiatives.
- Nous n'allons pas attaquer. Le portail est tout près, il nous suffit de l'atteindre. Encore un tout petit effort. Le sens-tu toujours, Alys ?
La jeune dryade retrouvait tout juste son souffle après avoir invoqué la terre. Elle hocha la tête, alerte.
- Nous nous en sommes à peine éloignés. Il se trouve à une centaine de mètres devant nous.
- En route, alors. Lay, tu n'hésites pas à te protéger. Tu ne te laisse pas distancer, sous aucun prétexte, ordonnai-je.
L'adolescent acquiesça, ses prunelles argentées remplies de détermination. Je lui embrassait le haut du crâne à la hâte, puis nous nous élançâmes le long de l'orée de la forêt.
- Attrapez-les ! Ne les laissez pas s'échapper !
Je reconnus la voix. La mage qui avait incendié l'Académie. Uriah. Je ne me retournai pas, mais éveillai la magie du talisman d'une pensée. L'eau du torrent s'éleva entre les deux rives en une barrière infranchissable. Certains se jetèrent à l'assaut, Rhee les cueillit au vol. Un lasso lumière apparut dans ses mains, il s'enroula autour du torse des mages et les projeta contre les troncs d'une traction.
Dans notre dos, des bruits de course retentirent. J'incitai les adolescents à forcer l'allure. Dans le même temps, j'érigeai mon bouclier pour couvrir nos arrières. Des poinçons se brisèrent à la surface l'instant suivant.
- Alys ? grognai-je
- Je le sent pulser, Dame Atalaya, tout près. Nous y sommes presque.
Je hochai la tête en silence, économisant mon souffle. Je peinais à maintenir la cadence. Les deux boucliers drainaient une majeure partie de mon énergie. Soudain, une violente lame d'air percuta ma barrière. Elle se fissura sous l'impact. Je hoquetai de douleur lorsque la vibration se répercuta le long de mon bras.
- Ici ! s'écria Alys
La ligne ininterrompue de séquoia s'incurva brusquement pour dessiner une demi-clairière. Au centre, la même arche de pierre qu'à Tirawan nous surplombait de toute sa hauteur. Cette fois, l'air ondulait imperceptiblement à travers. Le soulagement m'envahit. Le portail était intact.
L'instant suivant, une ombre heurta mon bouclier. Il explosa. Je fus projetée au sol. Le mage de l'air se jeta sur moi, mais je n'eus même pas le temps d'empoigner ma dague tombée à terre. Rhee enfonça son genou dans son abdomen. Il s'écrasa contre un tronc.
Je me relevai d'un bond, lançai ma dague dans la foulée. Elle se ficha dans la gorge d'un deuxième mage. Deux autres les talonnaient.
- Montez dans les arbres, criai-je à l'intention des adolescents. Mettez-vous à l'abri.
Lay entraîna la jeune dryade aussitôt à sa suite. Je détachai mon regard d'eux juste à temps pour éviter une lame d'air. Elle faucha quelques brins d'herbe sur son passage. Je remplaçai mes dagues par mon épée. Un des mages se jeta sur moi, dague à la main. Je déviai sa lame aisément, mais ses mouvements brutes et rapides s'infiltraient à travers ma garde. Je sautai en pivotant sur mes appuis, la dague effleura mon flanc. Le mage esquissa un sourire cruel. Ses yeux gris foncés étincelèrent.
D'une pensée, j'ordonnai à la Terre de s'occuper de lui. Une racine surgit de la berge. Elle s'enroula autour de lui dans un claquement sec et le tira jusqu'à la rivière. Je profitai de l'instant de répit pour rengainer mon épée. Elle m'handicapait face à des armes légères. Je repris mes dagues en main en reprenant mon souffle. J'avais oublié combien appeler la Terre était épuisant à Vëonar. C'était bien pour cela que ma mère m'avait incité à m'y cacher. L'absence de sylve camouflait mon aura aussi efficacement qu'elle contraignait ma magie.
Rhee se débarrassa de son adversaire d'un soufflet brûlant qui lui carbonisa le visage. Le calme revint un instant. Le silence également. Je projettai aussitôt mon Esprit autour de moi. Trois ou quatre mage de l'Air progressaient à l'abri des hautes branches. Je saisis mon arc, encochai une flèche et visa. Le trait fusa en une fraction de seconde. Un corps s'effondra à quelques arbres de là avec un cri strident.
Je n'eus pas le temps de décocher une seconde flèche. Une rafale plus violente que les précédentes fondit sur nous. J'élevai mon bouclier à nouveau. Le souffle se répercuta comme une onde qui étourdit mon esprit. Les branches vibrèrent furieusement, tandis que je fléchis les genoux avec un grognement.
- Laya, ils attaquent par au-dessus, s'écria une voix
Lay ! Je levai la tête en même temps que Rhee. Une mini-tornade assaillait les hautes branches du séquoia où les adolescents s'étaient abrités. Lay ériga une barrière qui encaissa l'impact de la masse d'air. Il ne tiendrait pourtant pas très longtemps, il manquait d'entraînement.
- Je m'en occupe, m'assura Rhee.
Il lança un lasso lumineux autour d'une haute branche pour s'y hisser. Le jeune homme disparut de ma vue. Il fallait ouvrir le portail d'urgence. J'étendis mon esprit vers l'arche de pierre. Maintenir le bouclier en même temps était une tache ardue, mais je pouvais y arriver. Un écho de voix s'éveilla aux portes de ma conscience. Des voix anciennes, très anciennes. Comme à Tirawan. J'adressai ma requête à la sylve, tout en concentrant ma magie, ou du moins toute celle qui ne servait pas à défendre notre peau. Soudain, un cri retentit. Un corps dégringola des feuillus. Rhee !
- Laya, je peux plus !
- Descendez de l'arbre ! Appelle la Terre, Alys !
Je les distinguais à peine à travers le feuillage dense. Je voyais pourtant distinctement les prunelles vert amande de la jeune dryade. Elles brillaient de peur. Celle qu'elle taisait à son camarade. Pourtant, elle prit une inspiration et ferma les yeux. L'air ondula autour de nous. Je sentis son aura croître comme une fleur qui s'épanouit. Les branches du séquoia s'écartèrent à son intention pour que celle où ils étaient assis s'incline. Elle les déposa sur l'humus juste devant le portail. Juste à l'instant où l'endurance de Lay s'essoufla. Son bouclier se dissolut dans un souffle d'air chaud. Les bras du garçon tremblaient.
- Rhee ! appelai-je anxieusement
Alys projeta alors sa magie sur le portail. Nos requêtes jointes achevèrent de convaincre la sylve. Le portail s'ouvrit dans un craquement. Les inscriptions sur l'arche de pierre se mirent à luire. Je m'appretai à rejoindre les adolescents lorsque soudain, un mage de l'air atterrit entre nous. Alys recula d'un pas vif. Lay croisa les bras, mais la rafale qu'il propulsa déstabilisa à peine l'homme en noir. Il ricana, hilare. Son bras se tendit. Je fus plus rapide.
Mon bouclier s'effondra brusquement, tandis qu'un filin de Lumière s'enroula autour du poignet du mage de l'air. Il le tira en arrière d'un coup sec. Son poignet craqua, il glapit. Je glissai sur l'herbe pour me glisser entre lui et les enfants, puis frappai le sol de ma paume. L'autre tendue devant moi érigea un bouclier de dernière minute.
La douleur irradia dans ma paume ouverte. La lame avait entaillé ma chair un instant avant que la barrière magique ne se dresse. Ma main toujours à terre draina l'énergie de la Terre d'une onde puissante. Une racine se saisit des adolescents et les jeta à travers le portail sur mon ordre. L'arche les avala purement et simplement. Le cri de protestation de Lay résonna dans la clairière.
Je me redressai en haletant. Une grimace déforma mon visage. Un filet de sang dégoulinait sur mon avant bras de la plaie ouverte. Du sang parsemé de mouchetures noires. Un frisson d'appréhension me traversa. À travers mon bouclier, le mage de l'air esquissa un sourire carnassier, déformé par la surface transparente.
- Rhee ! m'égosillai-je
Je ne pouvais pas le laisser là. Je ne l'abandonnerai pas. De la bile remonta dans ma gorge tandis que mon cœur se serrait. Je projetai mon Esprit partout autour de moi, quand enfin, je la sentis. Cette chaleur qui enroba mes pensées dans un cocon douillet. Il arrivait. Le soulagement fut de courte durée. Une dague se planta dans mon bouclier. Je ne tiendrai plus longtemps.
Une silhouette rouge et noir surgit soudain de derrière un tronc, aggripé à une corde lumineuse. Rhee était couvert de sang, ou presque. Je blêmis d'un ton, mon souffle se hacha.
- Ce n'est pas le mien, se hâta de préciser le jeune homme. Ils étaient coriaces.
Je hochai la tête, soudain libérée d'un poids. Sans attendre, j'agrippai son avant bras et élargis le bouclier pour nous protéger jusqu'au portail. Je sifflai le plus fort que je pus, puis nous traversâmes l'arche ancestrale main dans la main.
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