Chapitre 50-2 Grave sur ton cœur mon amour, ma fille

Je me jetai dans ses bras de toutes mes forces. Son odeur imprégna mes narines, un mélange de miel et d'épices. L'odeur de mon enfance. J’éclatai en sanglot, le nez enfoui dans sa nuque. Elle me couvrit de baisers et de mots doux.

— Laya, ma petite Laya.

Je ne quitterais plus jamais ses bras. Cette fois, je ne la laisserai pas partir. Je la retiendrais. Je respirai son parfum à plein poumons, profitant de chaque caresse. Je me sentais en sécurité, entière. J'étais heureuse, en cet instant.

— Il faut que tu m'écoutes, Laya. C'est important.

Je secouai la tête. Pas question de m'écarter, j'étais bien, là. Je ne désirais rien d'autre. L'avoir près de moi était plus que suffisant, c'était tout ce que je désirais. Mais, ma mère ne l'entendait pas de cette oreille. Où peut être était-ce Tirawan ?

— Laya…

— Je t'aime maman, chuchotai-je. Je t'aime tellement !

Un silence douloureux s'étira quelques secondes. Puis, ma mère m'empoigna par les épaules et m'écarta d'un geste ferme. Nos yeux se croisèrent. Les miens, brouillés par les larmes, devinaient à peine les traits de son visage. Elle encadra le mien de ses deux mains chaudes, embrassa mon front avec tendresse.

— Je t'aime ma chérie, me répondit-elle avec douceur. Si tu savais combien je t'aime.

Elle prit une profonde inspiration.

— Tu dois m'écouter attentivement, mon trésor, s'il te plaît.

Je hochai la tête à regret.

— Est ce que tu comprends ce qui est en train de se passer ?

— Ma Lumière s'est réveillée ? tentai-je. Elle essaie de me faire passer un message ?

Ma mère esquissa un sourire tendre, comme on s'amuserait d'une bêtise d'une enfant. Elle releva mon menton de son index, ses prunelles mordorées plantées dans les miennes.

— Non, Laya, me détrompa-t-elle, un poil autoritaire. Cet endroit est un sanctuaire. L'endroit où reposent l'esprit de ceux qui ont disparu.

— Dans cette clairière ?

— Cette clairière n'existe pas, sourit ma mère. Elle n'est que parce que Tirawan l'a choisi pour toi. Personne ne la retrouvera lorsque tu l’auras quittée. Ici, tu as la possibilité de retrouver ceux que tu désires le plus.

— Ça veut dire que je pourrais venir te parler à chaque fois que je viendrais ?

Elle secoua la tête avec un soupir triste.

— Ce sera à Tirawan d'en décider.

En d'autres mots, chaque mot échangé en cet instant était un présent inestimable. Mes yeux s’embuèrent à nouveau. Je ne pouvais pas la perdre, je ne voulais pas la quitter.

— Ma chérie, ton sang est en train de parler à ta place. Ta Lumière est éveillée et elle est en train de montrer ce dont elle est capable. Ce qu'elle représente. Ce qu'elle est.

Je peinais à comprendre le sens de ses paroles. Comment pouvais-je apprivoiser ma Lumière en venant ici ?

— Tu connais la Terre, n'est ce pas ? Tu as grandi avec elle, tu es capable de prédire la plupart de ses réactions, ce que tu peux lui demander ou non, ai-je raison ?

J’acquiesçai vivement.

— C'est uniquement grâce à ta Lumière que je me tiens devant toi. Tirawan nous permet de nous parler, mais ce n'est pas elle qui nous permet de nous prendre dans les bras. Qui t'offre la possibilité de nous voir. C'est ta Lumière.

Un écureuil étincelant sauta à cet instant sur mon épaule avec un couinement. Je lui jetai un coup d'œil, indécise.

— La Lumière apporte ce qui te manque, poursuivit ma mère, le regard tourné vers la forêt illuminée de toute part. L'espoir lorsqu'il est perdu. La force lorsque tu as épuisé toutes tes ressources. Sa loyauté lorsque tu es esseulée. Elle est ton dernier recours et ton alliée la plus fidèle.

Elle m'indiqua du doigt les fleurs luminescentes qui tapissaient le sol sous nos pieds, les papillons aux ailes étincelantes qui volaient autour de nous. Ma magie ceignait chaque parcelle de la forêt de sa touche chatoyante.

— Elle est puissante, murmurai-je, époustouflée.

L'écureuil agita son museau avec un couinement, en signe d'assentiment. Ma mère esquissa un sourire fier.

— Là où la Terre agira à la manière qu'elle aura décidé et où tu devras réfréner les ardeurs de ton Feu, la Lumière sera la garante de l'équilibre, ajouta-t-elle. Toujours prête à te venir en aide, à se plier à ta volonté, à te soutenir coûte que coûte.

Ma peau se recouvrit à nouveau de tatouages lumineux. Je ressentis alors l'essence qui les parcourait, qui provenait de cette sphère dont l'éclat baignait mon esprit d'une vigueur inédite. Je la comprenais enfin. Viscéralement.

— La Lumière est porteuse d'espoir et de force. Courageuse et loyale. Volontaire et à l'écoute.

— Pas n'importe quelle Lumière, Laya, la tienne.

— Elle s'est opposée à l'obscurité, maman.

Elle cilla, surprise.

— Parce que tu lui en as donné la puissance. Elle est le reflet de celle que tu possèdes ici.

Elle plaqua sa paume contre ma poitrine. Sur mon cœur.

— Et ici.

Son index se posa sur ma tempe. Je déglutis, bouleversée par ses paroles. Je ne me reconnaissais pas dans la personne qu'elle me décrivait. Pourtant, je savais que ma mère jamais ne mentirait ni ne se tromperait.

— Tu es la plus grande mage qu'il m'ait été donné de voir, ma petite fille. Tu es le lien entre les mages de la Terre et du Feu. Le pont entre nos valeurs aux antipodes. La preuve que l’équilibre peut être retrouvé. Pour cela, il faudra abattre encore un peu de travail.

Elle saisit mes mains dans les siennes, tandis que j'entendis Rhee se rapprocher dans mon dos. Je le remerciai silencieusement de nous avoir laissé l’intimité dont nous avions besoin.

— Que veux-tu dire, maman ?

— Je veux parler des mages de l'air et de l'eau, Laya. Tu dois les réunir pour affronter l'obscurité. Seule l'unité pourra s'opposer à elle. Je n'ai pas le temps pour tout t'expliquer, mais je sais que tu y arriveras.

Je réalisais alors qu'elle s'apprêtait à me faire ses adieux.

— Non ! m'écriai-je. Tu ne peux pas me laisser ! Ne fais pas ça !

Je l'étreignis de toutes mes forces, le désespoir déferla alors dans mon esprit. Les mots s'engluaient à mes sanglots.

— Maman ! gémis-je. Je t'en prie, ne t'en vas pas !

Ses mains caressaient mon dos avec toute la tendresse et l'amour qu'elle pouvait me transmettre. Je fondis en larmes. Je suppliai la sylve de me la laisser, de ne pas me la reprendre.

— Je sais que c'est dur, ma chérie, me murmurait ma mère à l'oreille, inlassablement. Je t'aime tellement, Laya.

— S'il te plaît, je t'en prie. Je ne sais pas faire sans toi. Je ne sais pas…

Elle m'écarta brusquement et encadra mon visage de ses mains.

— Tu en es capable, Laya. Tu es ma fille. Tu vas vivre, rire et sourire de nombreux jours encore. Ce n'est pas juste, c'est une douleur innommable, mais je sais que tu peux la surmonter.

J'avais conscience d'être pathétique et incohérente. De n'avoir rien d'une Héritière. Juste une femme dévorée par le chagrin, dévastée par la mort de sa mère. Je parcourais des yeux son visage, les joues ruisselantes de larmes. Incapable de prononcer un mot. Une main m'agrippa l'épaule.

— Ce n'est qu'un esprit Laya, elle n'est pas là.

— Laisse-moi ! m'écriai-je

Mon esprit refusait de la laisser s'en aller. D'accepter que ma mère n'était plus qu'une chimère. Accepter que je l'avais perdue. C'était au-dessus de mes forces. Ma mère planta son regard dans celui du mage de Feu, dans mon dos.

— Je te confie ma fille, Rhee. À toi et à Myra. Vous serez les piliers dont elle a besoin. Sur qui elle pourra se reposer. Je te la confie.

Les trémolos dans la voix de ma mère trahissaient sa propre souffrance. Elle se haïssait de m'abandonner.

— Je vous en fait la promesse, Callie.

Elle hocha la tête, puis reporta son attention sur moi. Je voulus protester à nouveau, mais elle se figea soudain. Je fis volte-face en sachant déjà qui se trouvait à la lisière de la clairière.

— Maman ? bredouilla Daisyel

Elle tendit un bras vers lui. Mon frère s'élança et se blottit contre elle avec un hoquet. Maman nous étreignit tous les deux, pendant de longues minutes.

— Mes enfants…

Notre famille était réunie. Une dernière fois. Tirawan nous offrait un adieu. Je respirais son parfum à plein poumons. Je voulais le graver dans ma mémoire. Puis, elle entrelaça nos mains.

— Promettez-moi de vous protéger l'un l'autre. Vous vous en sortirez, ensemble. Je serais toujours près de vous, ici.

Elle posa nos mains mêlées contre nos cœurs. Je contemplai son visage, son sourire, l'amour qui irradiait dans ses prunelles caramel. Encore une fois. Je me délectais du son de sa voix, y puisais la force qu'elle tentait de nous transmettre. Daisyel et moi acquiesçâmes à l'entente de sa requête.

— Je vous aime, pour toujours.

— Je t'aime, maman, sanglotai-je.

— Jamais je ne t'oublierai, coassa mon frère.

Ma mère nous sourit. Je la vis, comme dans un rêve, s'effacer peu à peu. Elle disparut sans un bruit, sans que son sourire ne se fane. Ma main crispée contre mon cœur serrait la sienne un instant plus tôt. Mon regard fixait sans le voir la forêt désormais silencieuse, le manteau de la nuit qui avait repris ses droits. Pour un instant seulement.

Je voudrais que tu lui dises que je l'aime. Pour toujours, susurra sa voix dans ma tête.

À qui ? criai-je rageusement

Je ne savais plus vraiment à qui elle s'adressait à présent.

Ne m'oblige pas à te donner une réponse que tu ne veux pas recevoir. C'est un choix que tu ne souhaiterais pas faire, toi non plus.

Had’ ou mon père. En l'état des choses, il était plutôt évident pour moi. Ma mère avait fait le sien, mais je comprenais qu'elle n'avait jamais renoncé au premier pour autant. Lui non plus, ceci dit.

Je transmettrai le message, maman.

Je crus percevoir un rire moqueur parmi les chuchotements du vent. Mon ventre se noua tandis que le rêve s'effilochait. Tirawan reprenait ses droits. Des larmes ruisselaient sur mes joues. J'aurais donné tout ce que j'avais pour la ramener, mais ça n'avait pas suffi. Maman était morte. Cette fois, je n'étais pas sûre d'être capable de me relever. Jusqu'à ce qu'une main se pose sur mon épaule.

J'accrochai mon regard sur le tapis d'humus. Peut-être craignais-je que si je détournais le regard, elle serait définitivement partie. C'était idiot. Elle n'était déjà plus là. Alors, je tournai la tête pour dévisager le jeune homme qui m'adressa un sourire encourageant teinté de sa propre peine. Mon frère, mon repère au milieu de la tempête qui fracassait ma douleur sur les parois de mon esprit.

Il me tendit une main que je saisis avec toute la volonté que je possédais. Je me blottis dans ses bras avec délice. Son étreinte m'entoura dans un cocon de promesses silencieuses et de soutien. Loin de la chaleur et de la force du mage du Feu. Je m'écartai en sursaut, outrée par ma propre pensée. Qu'est ce que j'imaginais ?

— Laya, j'ai besoin de te parler, murmura mon frère.

Ses prunelles d'argent cherchaient les miennes avec nervosité. Quelque chose n'allait pas. Lui aussi avait perdu une mère. Et même deux. Je caressai tendrement sa pommette. Mes sanglots se tarirent à mesure que je me fis la promesse que nous parviendrions à faire notre deuil, ensemble.

Lorsque je fus certaine de maîtriser mes émotions, je m'éloignai de quelques pas pour rejoindre Rhee. Celui-ci observait la clairière, adossé à un chêne, bras croisés. Il ne s'y sentait pas à sa place. Il était difficile de la trouver parmi les tourments d'une personne. J'appuyai mon épaule sur le tronc en face du sien. Dans la nuit, ses prunelles émeraude brillaient d'une façon singulière.

— Est-ce que la leçon est terminée ? m'enquis-je

Il prit son temps pour combler mon interrogation. Ses yeux scrutèrent les miens à défaut de mon visage masqué par l'obscurité. À la recherche d'une quelconque trace de je ne savais quoi. Il cherchait peut-être tout simplement à deviner si j'allais bien, puisque je m'obstinais à éviter le sujet.

Lorsqu'il eut achevé son inspection visuelle, je crus qu'il en resterait là. Au lieu de ça, il décolla son bassin du tronc d'un mouvement souple et s’approcha de moi. Sa main chercha mon épaule, puis elle s’immobilisa dans le creux de mon cou. Ses yeux s'ancrèrent dans les miens.

— Peu importe que je ne sois pas celui sur qui tu souhaites t'appuyer, murmura-t-il. J'ai fait une promesse à ta mère et à ton père. Je m'y tiendrais.

Sa voix avait des accents de dépit et de colère contenue. Mais ses propos n'avaient aucun sens.

— J'ai peut être gagné ta confiance, mais je crois avoir saisi l'essentiel, grogna le mage de Feu. Je ne serais jamais loin. Quoi que tu décides, tu pourras compter sur moi, Héritière.

Le titre glissa entre ses lèvres comme un serpent glacé qui planta ses crocs dans mon organe vital. Quelle était cette barrière qu'il levait soudain entre nous ? Qu'avais-je fait ? Ou plutôt, que n'avais-je pas dit ?

— Pour le reste, il haussa les épaules, tu n'auras plus besoin de composer avec.

Un hoquet m'étrangla, m'empêchant de répliquer. Il pressa ses lèvres contre mon front. À peine un souffle qui disparut en une fraction de seconde. Je tendis brusquement le bras pour agripper le sien. Mes doigts empoignèrent le vide. Rhee était parti.

Tu es prête pour le Sentier des Arpenteurs.

Sa voix sembla résonner dans ma tête pendant une éternité. Sûrement parce que j'en savourais l'écho. Son esprit s'était retiré du mien l'instant suivant. Je compris que tenter de me glisser dans le sien était inespéré. J'étais perdue et ma patience, élimée. Je me serais effondrée si ma seule raison de tenir debout ne me dévisageait pas avec inquiétude.

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