Chapitre 49 Ta Lumière sera ton salut
- J'ignorais tout de ta fibre artistique, commenta le mage de Feu avec une pointe de sarcasme.
Je lui jetai un coup d'œil acéré, mais il m'apaisa d'une simple pression sur l'épaule. Son sourire indolent nuança l'ironie dans sa voix.
- Vous deviez être bien installés, ici. Il y règne toujours une atmosphère chaleureuse.
Mes lèvres s'étirèrent sans que mon sourire n'atteigne mes yeux.
- Oui, nous étions bien. Heureux.
Rhee me prit la main pour m'entraîner à l'extérieur sans un mot. Il avait une idée derrière la tête. Il s'immobilisa au milieu de la passerelle qui menait à la plate-forme.
- Tu nous trouverais un coin tranquille ?
- Tu trouves que Tirawan est trop bruyante ? raillai-je. Elle s'endort. La nuit ne va pas tarder à tomber.
Rhee se pinça l'arrête du nez.
- Je veux que personne ne puisse te distraire. Cette leçon va être importante.
- Elle va nous ouvrir les portes de ton raccourci en herbe ?
Il esquissa un sourire retors.
- En roche, plutôt, mais c'est à peu près ça. Dis toi que notre survie va dépendre de ce que tu apprendras ce soir.
Je lui retournai son rictus et me rapprochai de lui.
- Qui va t'empêcher d'être distrait, toi ? susurrai-je. Simple question.
Une mèche de mes cheveux glissa et frôla sa pommette. Ses prunelles de jade étincelèrent. Il posa sa paume sur le haut de mon buste et me repoussa fermement.
- Un gwedh n'est jamais distrait, princesse, répliqua-t-il.
Je reculai jusqu'à ce que ses doigts se détachent de ma peau. Puis, je saisis le rebord de la passerelle et basculai par-dessus. Rhee étouffa un juron.
- Laya ! gronda le jeune homme. Ce n'est pas un jeu.
J'étais tentée de lui répondre que le chat aimait jouer avec la souris, mais m'en abstint avec un ricanement. Trop de bonté en ma personne. La branche déployée sous mes pieds me souleva à sa hauteur, de l'autre côté de la rambarde. Mon index glissa sous son menton, inclina sa tête.
- Suis-moi, si tu es assez courageux. Si tu parvins à l'écouter avec respect, la sylve te mènera où tu veux. Sinon...
J'esquissai un sourire carnassier, mes lèvres à quelques centimètres des siennes. Il déglutit, sourcils froncés. Je m'élançai à l'instant où il sauta par-dessus le garde-fou. Sans vérifier s'il était parvenu à dompter Tirawan, je filais à travers la canopée. Tantôt je saisissais une liane pour me balancer quelques mètres plus loin, tantôt les arbres étiraient leurs branches pour suivre mes pas.
En réalité, je ne m'inquiétais pas. Ma sylve ne l'aurait jamais laissé chuter mortellement. Je désirais avant tout tester son état d'esprit. Une partie de moi redoutait qu'il ne soit pas capable de comprendre et d'appréhender Tirawan. Cela signifierait que Rhee ne pouvait pas réellement être si ouvert d'esprit qu'il l'affirmait. Qu'il m'avait menti.
Soudain, un lasso lumineux me ceintura. Le mage de Feu m'attira contre lui d'une traction, l'autre main accrochée à une liane. La corde végétale nous projeta dans les airs. J'atterris sur un pétale indigo géant, recouvert d'un duvet soyeux. Il s'inclina pour me faire glisser sur le cœur de la fleur, un pistil à l'aspect de mousse, d'un jaune-orangé pâle.
Rhee se réceptionna à ma droite d'une roulade assurée. Je croisai son regard, éclatai de rire. Il se pencha vers moi, ses yeux verts pétillaient de malice. Son souffle s'écrasa sur mon visage.
- Ai-je remporté l'épreuve, alors ? Suis-je digne de ta sylve ?
Je devais avouer qu'il venait de m'impressionner. Tirawan ne se trompait jamais.
- Elle t'a accepté, sans aucun doute.
Rhee se fendit d'un sourire triomphant. Il se redressa et s'assit en tailleurs. Le tapis de mousse, juste assez grand pour nous deux, se balançait doucement au gré des courants d'air sans fausser notre équilibre. Je m'installai en face du jeune homme, nos genoux se frôlaient.
- J'aimerais que nous discutions, avant de débuter.
Je soulevais un sourcil étonné.
- Je t'écoute.
Le mage de Feu me dévisagea un instant, pensif.
- Comment se fait-il que Tirawan soit capable de nous protéger actuellement, alors qu'elle a laissé Léander détruire votre village ?
Sa question me prit de cours. J'accusai le coup et me raclai la gorge.
- Elle considérait les mages de l'air comme des alliés. Daisyel vivait parmi nous, elle ne s'est pas méfiée deux.
- D'accord, mais l'obscurité ? Elle lui a accordé le bénéfice du doute ?
J'affichai un sourire pincé.
- Je ne sais pas.
Je haussai les épaules d'un air détaché. La vérité était que je ne comprenais pas non plus pourquoi elle ne les avait pas protégés alors qu'elle m'avait sauvé.
- Othien aussi les a laissé entrer, répliquai-je. Le village suspendu s'est même retrouvé empoisonné par l'obscurité !
Rhee secoua la tête.
- C'est différent. Othien a repoussé les mages pour nous laisser le temps de fuir. Elle ne nous a pas abandonné.
Je m'apprêtais à répliquer vertement, lorsqu'il posa sa main sur mon avant-bras.
- Même si je ne dis pas que Tirawan l'a fait, acheva-t-il promptement.
Je perçus sa sincérité par le biais de notre lien. Ma colère s'essouffla.
- Je ne sens plus ton esprit aussi bien qu'avant, remarquai-je distraitement. Mon lien avec Tirawan le recouvre.
Rhee conserva un silence indéchiffrable. Ses prunelles prirent une teinte plus foncée. Soudain, sa main traça le contour de ma mâchoire. Ma gorge se noua. Jusqu'à ce que je percute que sa main n'avait pas bougé d'un pouce. Ses doigts invisibles poursuivaient leur caresse sur mon cou, puis la naissance de ma clavicule. Je déglutis bruyamment. Un sourire provocateur étira alors les lèvres du jeune homme.
- Je t'ai manqué, Héritière ?
Le souffle haché, je le fusillai des yeux. Je glissais sur une pente dangereuse. Le feu me montait aux joues, mais je ne désirais pas entièrement qu'il rétracte sa magie. Elle quitta pourtant ma peau pour se saisir de ma main qu'elle plaqua contre le torse du Sheioff. Sa peau nue chauffait sous mes doigts, comme en ébullition. Mes prunelles devinrent fiévreuses.
- Étends ton Esprit vers le mien. Concentre toi sur ce que tu ressens.
J'obéis avec avidité. Les battements de son cœur pulsaient contre ma paume. Sous mes doigts, sa peau douce et ferme luisait d'un faible éclat doré. Je me focalisai sur ces sensations. À la fois grisantes et interdites. Je fermai les yeux, incapable de soutenir son regard. Ma magie se diffusa dans son Esprit comme s'il m'avait cédé une partie du sien.
Sa voix me guida, jusqu'au berceau de sa magie, le chemin inverse de notre précédent entraînement dans les jardins de Cuyan, à Dishôn. La magie de Rhee, sa Lumière, était un soleil qui éclipsait tout le reste. Une sphère immense, éclatante, dont la surface n'était jamais parfaitement lisse. Elle bourdonnait de vie. Une vague de curiosité et d'exaltation l'assaillit lorsqu'elle m'aperçut. Sa Lumière ressemblait à une enfant, optimiste et radieuse.
Soudain, sortie de nulle part, une langue de flamme s'immobilisa devant moi. Farouche et vive comme l'éclair, elle me tournait autour, indécise. Elle aussi, était curieuse. Sa fougue dissimulait sa méfiance. Petit à petit, elle se rapprocha, jusqu'à me coller à la peau. Oubliée, sa réserve. Elle rampait sur mon épiderme avec un mélange de douceur et de ferveur. Je pris soin de rester parfaitement immobile. Comment pouvais-je réagir autrement ?
- Maintenant, ouvre tes yeux.
Mon corps obéit spontanément. Je plongeai alors dans un abysse émeraude parsemé de paillettes dorées. La magie de Rhee était très différente de sa personnalité, mais je reconnaissais pourtant une part de lui en chacun d'eux. Aussi curieux que sa Lumière, il soufflait le chaud et le froid avec la même aisance que son Feu.
Le mien se mit à l'appeler de toutes ses forces à travers notre lien. La langue de flamme se cambra contre ma peau, un gémissement m'échappa. Puis, elle se mit à vibrer. L'effet fut immédiat. Mon Feu se ratatina au fond de mon esprit comme s'il venait d'être giflé. Malgré ma réserve, je mesurais l'importance de ce que cet instant signifiait. J'avais accès au recoin le plus intime de l'esprit du mage de Feu. Jamais je ne pourrais mieux le comprendre qu'en pouvant observer le siège de sa magie. Pourtant, cela ne m'était pas suffisant.
Je refoulais avec force le besoin irrépressible de me blottir dans ses bras, de sentir sa peau contre la mienne. Ce désir n'était pas le mien, mais celui de ma magie. J'aurais pu me sentir lésée ou blessée de l'éprouver contre mon gré. Pourtant, il n'en était rien. Je désirais seulement l'éprouver en apprenant réellement à le connaître.
Cette pensée traversa mon esprit en deux temps. La première fois, elle me parut tout à fait fondée et naturelle. La deuxième, je manquai de m'étouffer avec ma salive. Rhee cligna des paupières. Mon Esprit se rétracta du sien. Il soupira, plus amusé qu'agacé.
- Tu ne lâcheras pas la grappe, hein ? ricana le mage de Feu. Tu sais que te raconter ma vie ne changera rien à ce que je suis ?
- Pourquoi c'est si difficile de parler de toi ?
Il se pencha brusquement, son nez frôla le mien.
- Rapelle-moi à qui il faut tirer les vers du nez ?
Je hoquetai, outrée par sa mauvaise foi.
- J'ai envie d'en apprendre plus sur toi. m'écriai-je. Ce n'est pas de l'indiscrétion !
- Ha ! s'exclama-t-il, l'index levé, triomphant. C'est de la curiosité intrusive !
Je le dévisageai, abasourdie. Il se fichait de moi, évidemment.
- Si tu voulais juste m'entendre crier, il fallait le dire plus tôt, ironisai-je. Je ne m'en serais pas privée.
Ma réflexion réfréna son élan sauvage. Il esquissa une moue maussade, tandis que je levais les yeux au ciel. Cette fois, ce fut à mon tour d'entremêler nos doigts. Mue par mon instinct, j'accordai le droit à ma Lumière de se manifester. Elle déroula sur ma peau des motifs dorés tout en courbe et en spirale, puis s'élança sur l'épiderme caramel du Sheioff obstiné.
- Jamais je n'oublierai les mots que tu as prononcé à Faiz, avouai-je d'une voix suave. Ni l'autre nuit, dans la forêt. Tu m'as promis que nous nous en sortirions ensembles, en équipe. Tous les deux.
Peu à peu, l'animosité du mage de Feu s'essouffla comme une tempête s'apaise. Ses prunelles s'adoucirent. J'étais la première à détester l'intrusion dans mes secrets, mais entre des secrets et un silence absolu, la nuance existait.
- Je ne te demande pas de m'expliquer pourquoi tu as pris ta place à mes côtés, souris-je. Je ne te demande pas pourquoi tu désires devenir mon gwedh, je ne suis pas assez stupide pour ne pas saisir en partie ce que cela implique. Je ne te demande pas non plus pourquoi me foutre en rogne pour me charmer la seconde suivante te ravit.
Sur une impulsion de Dumë, un poil scabreuse tout de même, j'inclinai mon visage vers le sien. Mes lèvres effleurèrent la courbe de sa mâchoire. La main du jeune homme agrippa le haut de mon bras.
- Je souhaite seulement savoir si tu as de la famille, des amis. Ce que tu aimes faire quand tu as du temps libre. Je voudrais comprendre comment fonctionne votre clan. Connaître son histoire.
J'embrassai du bout des lèvres le haut de sa gorge. Puis, elles caressèrent l'autre moitié de son visage.
- Parle moi de toi, de ce que tu aimes, de qui tu es. Tu veux que je te confie mon âme, j'ai besoin de savoir à qui je m'abandonne.
J'inspirai profondément, tandis que Rhee m'attira davantage contre lui. Mon cœur battait à tout rompre. J'ignorais obstinément ma raison.
- Si je comptes réellement à tes yeux, prouves-le moi, susurrai-je.
Sa pommette tressauta contre la mienne. Je glissai une main derrière sa nuque, prête à abattre ma dernière carte. Je n'en eus pas utilité. Le jeune homme me repoussa d'un geste sec, les prunelles enflammées.
- À quoi tu joues ? gronda-t-il
J'esquissai un sourire frondeur.
- Au jeu auquel tu as lancé les dés.
Je scrutai les expressions qui se succédèrent sur son visage. De la surprise au dépit, le pas était aisé. Rhee m'observa en retour, il respirait plus rapidement. Je décelai une étincelle de défi, matinée d'autre chose, tapie au fond de ses prunelles. Il passa sa main sur sa mâchoire, un fin duvet la recouvrait. Il paraissait plus âgé. Ça lui allait bien.
- Tu as le cran et la fièvre d'une mage de Feu, en tout cas.
Je sentis mes joues rosir, mais je relevai le menton avec assurance. Je ne perdrais pas la face alors que j'étais en train de remporter la partie. Je soutins son regard jusqu'à ce qu'une lueur d'exaspération crispe sa mâchoire. Je ne parvenais toujours pas à comprendre ce qui l'avait contrarié à ce point. C'était lui qui m'avait invité à lui poser mes questions. Je reconnaissais bien là le tempérament d'un mage de Feu, mais me gardais bien d'en faire la remarque.
- Un clan reste un clan, grommela finalement le jeune homme. Nous avons notre guérisseuse, notre école, nos artisans, comme les Tamar.
- Parle-moi des Sentinelles.
Il me lorgna par-dessous et croisa ses jambes dans une position plus détendue. Je m'aperçus que ma Lumière s'était rétractée en moi.
- Que t'as dit ton père sur eux ?
Je réfléchis avec attention. Mon père avait été plutôt vague sur le sujet. Je me souvenais par contre être fascinée par eux lorsque j'étais petite.
- Ce sont vos espions, affirmai-je tout d'abord. Ils se déplacent à Faiz et à Vëonar pour glaner le plus d'informations possibles, confidentielles le plus souvent. Ils sont connus pour chaparder ce qui leur tape dans l'œil sur leur passage et être aussi insaisissables qu'un courant d'air.
Rhee acquiesça. Visiblement, mes maigres connaissances étaient correctes. Mon père ne m'avait pas menti, cette fois. Le jeune homme se permit toutefois quelques précisions.
- Les Sentinelles ne sont pas seulement des espions. En réalité, ils ne font que traîner leurs oreilles lorsqu'ils effectuent leur mission. Les informations qu'ils rapportent ne sont qu'une valeur ajoutée, ils ne sont pas envoyés pour cette raison.
- Alors quel est leur rôle ? m'étonnai-je
Rhee esquissa un sourire rusé.
- Vous, vous commercez avec les Hommes à la frontière de Tirawan, n'est-ce pas ?
Je hochai la tête.
- Nous troquons des vivres contre des objets ou des ressources qui nous sont nécessaires pour le fonctionnement du village.
- Les Sentinelles remplissent le même rôle, à la différence qu'elles se déplacent partout sur le continent et que nous ne commerçons pas des vivres, mais des objets d'artisanat. Jamais des armes.
Je soulevai un sourcil dubitatif.
- Tu affirmes que les Sentinelles ne commettent jamais de larcins ?
Rhee esquissa un sourire amusé, teinté de défi. Il garda le silence, mais j'avais ma réponse.
- Si ta curiosité est satisfaite, nous pourrions peut-être passer à la leçon ? Je te rappelle que l'issue de notre voyage repose entre tes mains.
- Par ta faute, protestai-je.
- Je t'assures que si tu gères, on sera à l'abri de Léander dans les montagnes.
L'idée était tentante, je le reconnaissais.
- Que dois-je faire ?
- Apprendre à apprivoiser ta Lumière, à la connaître, pour qu'elle t'obéisse au détail près.
Il désigna la sylve autour de nous.
- Représentes-toi la sphère dans ton esprit. Essaie de communiquer avec elle.
- Quel rapport avec Tirawan ? tiquai-je
Rhee ricana, amusé par ma question, visiblement.
- Surprise, susurra-t-il.
Puisque je ne parviendrais pas à lui tirer les vers du nez, j'en avais la certitude, je hélai l'Esprit. Il me suffit de le suivre pour remonter jusqu'au berceau de ma magie. La sphère de Lumière avait grossi depuis la dernière fois. De façon conséquente. Elle prenait désormais sa place parmi les trois autres, son éclat surpassait même celui du Feu.
Je ressentais toujours ce désir de m'incliner devant elle, mais je percevais à présent l'étincelle d'excitation qui l'habitait. Elle brûlait d'envie de se manifester. De s'exprimer. Je tendis un bras imaginaire vers elle. Sa surface ivoire se mit à pétiller. Puis, des picotements assaillirent mon avant-bras. La sensation était si réelle que je rouvris les yeux avec un hoquet de stupeur.
Je m'attendais à ce que ma peau soit recouverte d'arabesques lumineuses. Pas à ce que ces traînées lumineuses s'étirent sur la mousse où j'étais assise, ni sur les pétales. Partout où je posais les yeux, les rubans nacrés s'élançaient à l'assaut de toujours plus de surface à orner. La Lumière se libérait de sa prison mentale avec l'allégresse et la vivacité d'une enfant.
Je me levai d'un bond, émerveillée. Aussitôt, des rubans dorés se précipitèrent vers moi. Ils s'enroulèrent autour de mon buste comme s'ils voulaient me recouvrir. Ma tunique luisait, tapissée de paillettes, à présent. Le ruban s'écarta pour s'immobiliser un instant devant mon visage. Il prit la forme d'un animal à la tête large et au museau long et massif. À la frontière entre un gros félin et un loup.
Soudain, il pressa sa truffe sur mon front avec empressement. Je pouffai face à sa candeur. Le ruban ne reproduisait que la tête de l'animal. Son corps se fondait dans le décor. L'instant suivant, ma Lumière s'élançait vers les arbres. Elle m'invitait à la suivre. Tirawan m'envoya une liane que j'empoignai pour descendre en rappel en bas de la fleur géante.
Rhee s'égosillait derrière moi, mais je ne ralentis pas pour autant ma course. Ma Lumière m'appelait, je la suivais. C'était aussi simple. Le ruban fila sur l'humus, les lucioles s'éveillaient, perdues. La nuit tombait, pourtant. Quelle était cette lumière ? bourdonnaient-elles. L'aura lumineuse du filin réveilla la phosphorescence de dizaines de fleurs autour de nous. Il serpentait entre les troncs, de plus en plus larges.
- Attends-moi, hahanai-je.
Elle n'en fit qu'à sa tête. Le filin redoubla de vitesse. Il traversait la frontière de mon esprit avec la réalité comme un ressort qu'on détend. Sur son passage, il laissait des traces étincelantes sur les feuilles des fougères, les troncs des arbres et les taillis remplis de baies.
Tout à coup, les marques se mirent à onduler puis à s'envoler sous forme de paillettes larges comme l'ongle de mon index. Elles se transformèrent en papillon géant, en chouette ou encore en écureuil. Les animaux de lumière s'enfuirent avec nous. Ils volaient, bondissaient tout autour de nous. La Lumière cherchait à me transmettre un message, mais je ne parvenais pas à en saisir le sens.
Je débouchai sur une clairière étroite. Plus qu'une trouée, on eut dit que les chênes centenaires avaient été plantés en un arc de cercle parfait. Les papillons et les rapaces se posèrent dans les hautes branches, tandis que deux écureuils grimpèrent sur mon épaule et celle de Rhee. Je percutai à cet instant qu'il se trouvait à ma gauche. Comment avait-il... ?
- En général, on ne cherche pas à semer son instructeur, persifla le jeune homme.
- Si j'avais voulu te perdre, crois-moi tu ne m'aurais pas retrouvée, ricanai-je.
Je savais cependant que Dumë avait sa part de responsabilité dans ma course effrénée. Surtout d'avoir abandonné le mage de Feu derrière moi.
- Maintenant, écoutes-là, indiqua-t-il avec un poil plus de douceur. Ta Lumière a choisi cet endroit pour se révéler à toi. Ce rituel est sacré, ne soit pas déconcentrée.
- Dans ce cas, tu ferais mieux de t'écarter, répliquai-je.
Je regrettais aussitôt mes paroles, mortifiée, mais on ne ravalait pas des mots. Les prunelles du Sheioff étincelèrent d'hilarité. Il ne manquerait pas de m'asticoter sur le sujet une fois ce rituel achevé. L'écureuil pinça mon épaule pour attirer mon attention. Je couinai de douleur et résistai à l'envie de le déloger de son perchoir. Il n'était même pas réel, comment pouvait-il me faire mal ?
Le ruban de lumière à tête de puma-loup se scinda en une dizaine de rubans plus petits qui s'enroulèrent autour des troncs. Ils disparurent dans les sommets. Le silence s'abattit sur la clairière. Les rubans luminescents avaient dessiné un entrelacs de courbes sur chacun des troncs. Avec stupeur, je compris que le hasard n'y avait pas sa place. Les sillons lumineux traçaient les contours de silhouettes à même l'écorce. Un mot en langue des Premiers était inscrit sur le bois de chaque arbre. Quoique fut cet endroit, il s'agissait d'une relique de l'ère d'Isadora.
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