Chapitre 47-1 N'affronte pas tes peurs seule, où tu te perdras

Le feu de camp brûlait sous sa bulle opalescente. Sa chaleur traversait la coque sans mal. J'observais le mage de Feu s'allonger à la hâte, le dos tourné. Je me rassis à côté de Daisyel, une pointe de déception m'assaillit. Il boudait ? La main de mon frère effleura ma joue, me tirant de mes pensées.

— Je ne pourrais pas rentrer avec toi à Tirawan, Laya. Léander m'attend. J'aurais vraiment aimé.

Je pris ses mains dans les miennes.

— Un jour seulement, suppliai-je. J'ai besoin de t'avoir auprès de moi.

Je ne m'imaginais pas rentrer chez moi sans lui. Pas sans mon frère. Il était le seul qui portait les mêmes cicatrices que moi. Daisyel pinça les lèvres.

— Je ne peux rien te promettre, mais je ne m'en fais pas. Tu seras très bien entourée.

Il m'adressa un clin d'œil complice en direction de Rhee. Je piquai un fard.

— Ne raconte pas de bêtises, le grondai-je. Il y a un sujet plus important. C'est toi, n'est ce pas, qui est derrière tout ça ?

Ses sourcils se froncèrent.

— De quoi parles-tu ?

— De la Compagnie des Pîrwièl.

Son visage se ferma, une lueur de gravité traversa ses prunelles argentées.

— Tu me dois des explications, poursuivis-je sur le même mode.

— Tous les mages de l'air ne sont pas d'accord avec la politique de Léander, entama mon frère dans un soupir. Il m'a fallu du temps pour y arriver et les identifier avec une certitude absolue.

— Comment as-tu trouvé le sanctuaire ?

Il ricana, d'un air satisfait.

— Léander possède une quantité astronomique de manuscrits datant de l'époque des Premiers. J'ai fouillé et j'ai trouvé ce que je cherchais. C'est les pumas qui nous ont montré l'accès. Ils ont répondu à notre appel.

— L'appel de la Terre, compris-je. Tu as toujours été un bon élève.

Il me sourit, complice.

— Et toi, la meilleure des enseignantes.

— Je les ai amenés là-bas, après leur avoir fait tatouer ton lys sur l'avant bras, à tous.

— Pourquoi ? murmurai-je

— Je ne peux pas te protéger autant que je le souhaiterais. Ni me battre à ta place. Mais je peux baliser ta route pour l'avenir. T'aider à trouver ta place.

Je le dévisageais, pendue à ses lèvres.

— Ces gens te seront fidèles, ils se battront pour toi. Ce sont des alliés sûrs sur lesquels tu pourras t'appuyer lorsque tu en auras besoin.

Daisyel sourit, plein de tendresse et de dévotion. Il caressa ma pommette.

— Tu ne le sais pas encore, mais tu seras la bannière sous laquelle s'uniront les peuples pour combattre l'obscurité. J'en suis persuadé.

— Non, tu te trompes, réfutai-je.

— Tu penses ne pas en avoir les épaules, moi je te dis que ce n'est qu'une question de temps. Tu es forte, puissante et tu as déjà forgé les liens qui t'unissent aux différents peuples. Tu sais que j'ai raison.

Je baissai les yeux, incapable d'argumenter. La reconnaissance devait transparaître dans mon regard, puisque le jeune homme posa son front sur le mien.

— As-tu des nouvelles de la mère de Lay ?

— Non. Soit elle s'est sauvée, soit…

— Pourquoi ne pas les avoir amenés au sanctuaire ?

— Lay est plus en sécurité avec toi.

Je hochai la tête, la gorge nouée. Les événements me dépassaient de plus en plus chaque jour. Revêtir le visage de la guerre contre l'obscurité ? Unir les peuples ? Comment pouvais-je y arriver ? “Tu n'es pas seule” m'avait affirmé Rhee des semaines plus tôt. Je portais mon regard sur sa silhouette, immobile. J'aurais eu besoin de l'entendre me rassurer. De m'assurer de son soutien.

À la place, je m'allongeais sur ma couchette. Daisyel se leva pour prendre le premier tour de garde. De l'autre côté du brasier, le torse du mage de Feu se soulevait à un rythme régulier. Mon Feu paraissait en sommeil, mais je ne parvenais pas à l'y rejoindre. Pas à cesser de réfléchir. Sitôt qu'une question surgissait dans mon esprit, une autre lui succédait. Je n'y tins plus.

Sans laisser le temps à ma raison de formuler une objection valable, je me levai et installai ma couchette à côté de Rhee. Il me fallait sa paix. Celle qu'il distillait en moi rien qu'en effleurant ma peau. Peu importait qu'elle soit factice, un brouillard artificiel de magie de l'esprit, j'en avais besoin. Viscéralement.

Je m'assis sur le futon. Un éclair d'indécision suspendit alors mes mouvements. Qu'étais-je en train de faire ? J'observais de longues secondes son visage paisible, sa peau hâlée recouverte d'une fine pellicule de sueur. Une part de moi réclamait sa proximité, l'autre me criait que je virais folle.

— Viens-là, je ne vais pas te mordre.

Son bras m'attrapa soudain par l'épaule et m'attira contre lui. Un cri bref m'échappa. La surprise passée, je n'osais plus esquisser un geste, mortifiée. Je ne me reconnaissais plus. Depuis que Rhee avait réveillé ma magie de la Lumière, c'était comme si un interrupteur avait été actionné. J'éprouvais la nécessité de me tenir proche de lui.

— Qu'est-ce qui m'arrive ? chuchotai-je

Je sentis les muscles de son torse se contracter sous sa chemise.

— Si tu oses me répondre que je suis raide dingue de toi, je te frappe.

— Regardez-moi ça, ricana Rhee. Tant de hargne dans un corps si…

Il interrompit sa phrase. Le sous-entendu était limpide, mais le jeune homme ne voulait pas l'assumer jusqu'au bout.

— Si quoi ? grondai-je

— Un esprit si doux et aimant, se reprit-il avec une pointe de suffisance.

Je m'apprêtais à répondre vertement, mais les mots restèrent coincés dans ma gorge. Je pouffais, désabusée.

— Tu es insupportable.

— Je sais, c'est pour ça que je suis irrésistible.

Le sourire qui étira mes lèvres s'éternisa plusieurs minutes sur mon visage. Jusqu'à ce que la main du jeune homme vienne derrière ma nuque et caresse mon dos.

— Le Feu appelle le Feu, murmura-t-il. Chez nous, la magie ne se réveille pas toute seule. Chaque enfant, à huit ans, a besoin d'un guide, un mentor pour l'aider à extérioriser sa Lumière, puis son Feu et apprendre à les utiliser afin qu'il trouve sa voie. Celui qui enseigne, on l'appelle le gwedh.

Je l'écoutais attentivement. C'était la première fois qu'il me parlait ouvertement de leur coutume. En découvrir plus sur mes origines était un délice. Je me redressais légèrement dans une position plus confortable. Blottie contre son torse, sa chaleur et la caresse de ses doigts sur ma peau refoulaient mes craintes. Rhee poursuivit ses explications après un silence méditatif.

— Ta magie à toi est puissante, ses réactions sont donc exacerbées. C'est difficile à contrôler, encore plus après tant d’années d'inhibition.

— Je ne sais pas si j'arriverais à tenir, soufflai-je. C'est de plus en plus dur de le contenir. Je veux à tout prix éviter de…

— Tu y arriveras.

La fermeté dans sa voix souffla les braises de mes appréhensions. Son étreinte se resserra.

— Tu y arriveras parce que tu ne seras pas seule. Je te l'ai promis un jour, tu t'en souviens ?

— Comment pourrais-je oublier ?

Je me redressai et levai les yeux vers le jeune homme. Ses pupilles de jade fonçaient dans l'obscurité. Je penchais la tête pour la poser dans sa paume. L'odeur de la menthe poivrée assaillit mes narines.

— Je suis à tes côtés, je te le promets. Tant que tu voudras de moi, tu pourras compter sur moi.

Sa main glissa derrière ma nuque, la mienne se posa sur l'angle de sa mâchoire. Je pris une inspiration fébrile. Le campement s'était éclipsé à l'extérieur de mon champ de vision. Je ressentais la sincérité de Rhee comme si j'en avais saisi l'essence au cœur de son esprit. Je lui souris, il étira ses lèvres à son tour. Son sourire à lui était moins franc, plus taquin, enjôleur. À l’image de sa personnalité. Et ça ne me déplaisait pas. 

— Parle-moi de toi.

Rhee souleva un sourcil surpris, son sourire s’accentua. Le mien devint plus espiègle.

— Un gwedh doit inspirer confiance, n'est-ce pas ? Si tu es le mien, alors je dois te connaître pour t'accorder la mienne.

— Je croyais l'avoir déjà obtenue, minauda-t-il.

Je m'esclaffai à mi-voix, amusée par sa répartie.

— C'est vrai, mais il n'empêche que je ne sais presque rien de ta vie, de toi. Alors, que tu m'as forcée à te révéler presque tous mes secrets.

Ce fut à son tour de ricaner.

— Forcée ? railla le jeune homme. Le mot me paraît un tantinet exagéré. Sans compter que tu n'as pas besoin d'entrer dans mon intimité pour avoir foi en moi. Avoue que retirer le mystère casserait le charme, non ?

Je piquai un fard, heureusement dissimulé par la nuit bien installée.

— Je ne te parle pas de rentrer dans ton intimité, répliquai-je vertement. Tu as très bien saisi le sens de mes mots !

Rhee s'octroya un silence satisfait, qui alourdit mon malaise. Non loin de nous, Riv se retourna dans son sommeil, remuant bruyamment le tapis de feuille et de mousse sur lequel il était couché. Il ouvrit à demi son œil doré pour nous dévisager, puis le referma aussitôt. Nous venions de le déranger. Un demi-sourire étira mes lèvres. J'avais saisi le message.

— Je crois que nous allons devoir remettre notre charmante conversation à plus tard, Princesse, susurra Rhee.

Je m’apprêtai à acquiescer lorsqu'il se pencha en avant. Il posa ses lèvres sur mon front, quelques secondes de plus que nécessaires, puis il s’écarta pour se rallonger. Ma peau me brûlait à l'endroit où il m'avait embrassé. Je m’étendis sans un mot, la tête posée sur son torse. J'ignorais royalement les battements affolés de mon organe vital.

— Bonne nuit, Laya.

Je lui répondis lorsque j'eus repris mon souffle. J'aurais juré l'entendre pouffer, mais sa magie m’emportait déjà au pays des rêves.

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