Chapitre 46-1 Un jour tu auras besoin d'alliés fidèles
— Comment avez-vous trouvé le sanctuaire ?
Keys ne pivota même pas sur sa selle pour me dévisager lorsqu'elle me répondit. Je la dilapidais sous mes questions, mais parler était plutôt efficace pour oublier le plafond à peine à une demi tête au-dessus de moi.
— Ce sont les pumas qui nous ont guidé jusqu'ici. Ils sont les gardiens des sanctuaires de l’Ordre Méelanien depuis des millénaires. Ils vivent dans ces tunnels.
En effet, ça je l'aurais deviné sans elle. Des pumas, il en couvrait les murs. Partout où tu posais le regard, un félin au pelage doré te toisait avec flegme. Atalaya avait l'air de s'en accommoder, après tout elle jugulait l’affolement instinctif de nos chevaux en continu.
Troisième jour de chevauchée. Quitter le sanctuaire ne représentait aucun danger tant que l'on restait dans ces tunnels, selon les dires de la mage de l'Air. Ils servaient de voie de circulation à l'Ordre Méelanien, aussi protégés que leur lieu sacré.
Je coulais un regard vers la mage de la Terre. Laya balayait les tunnels de ses yeux violets, détaillait chaque gravure sur la pierre, imprimait dans sa mémoire chaque plante qui poussait entre les rainures. Par le biais de notre lien, je discernais le poids de l'angoisse qu'elle refoulait.
— Lay, Daisyel et Alys sont en vie, lui assurai-je pour la dixième fois. Nous allons les retrouver.
Atalaya pinça les lèvres. Sa crainte démesurée de perdre à nouveau son frère ou d'avoir échoué à protéger Lay la bouffait de l'intérieur. Je distillai un peu de mon Esprit dans le sien, l'aura de sa terreur s'amenuisa.
— Notre point de rendez-vous se situe à quelle distance de Tirawan ? l'interrogeai-je pour lui changer les idées
— Trois jours. Peut être moins, si Daisyel nous transporte. Ensuite, nous voyagerons jusqu'en Eldöryan.
La jeune femme se mura ensuite dans le silence. Elle avait besoin de solitude. Je talonnai ma jument pour me retrouver à la hauteur de Keys et poursuivre la conversation. Une escorte très minime nous accompagnait, quatre mages de l'air, en comptant Keys.
Nous avions six jours à traverser les tunnels jusqu'à notre destination. L'ambiance n'était pas au beau fixe, enfin pour un mage de Feu. Pas de lumière, trop étroit pour utiliser la magie. Les mages de l'air ayant reçu l'ordre de tenir leur langue, les discussions s'essoufflaient vite. Atalaya était d'humeur morose depuis notre départ. Notre arrivée imminente a Tirawan ne devait pas être aisée à gérer.
Les tunnels s'étendaient sur des centaines de kilomètres sous le désert de Faiz. À l'époque des Premiers, ils reliaient différentes cités ainsi que la plupart des sanctuaires. Des “zones étapes” disséminées régulièrement jalonnaient le chemin des voyageurs. On y trouvait des lits, des livres, bien sûr, de quoi écrire, du nécessaire de toilette et des vivres. La plupart des objets avaient disparu lorsque nous nous étions arrêtés dans ces tûbùn, en langue ancienne, mais les lieux étaient en l'état.
Je m'attendais presque à ce que la sortie se trouve au bout d'une échelle, par une trape au-dessus de nous. Au lieu de ça, une porte en cuivre coupa notre route au détour d'un virage, au sixième jour. Des lampions accrochés à des manches en fer étaient disposés sur le mur. Les mages de l'air s'en saisirent, imités par la jeune Tamar et moi-même. L'un de nos guides souleva la barre de fer qui verrouillait le battant et un autre le tira. L’énorme masse de ferraille racla la pierre en s'ouvrant. Sans doute n'avait-elle pas bougé d'un pouce depuis des centaines d'années.
Derrière, un boyau nettement plus sauvage s'ouvrait devant nous. Il y régnait l’obscurité la plus totale. Nous avions mis pied à terre, guidant nos montures par la bride. Heureusement, nos lampes éclairaient nos pas, mais guère plus loin. Au bout d'un moment, je soupirais, las de buter dans les innombrables cailloux qui tapissaient le sol. Un globe lumineux s’échappa de ma paume pour s’élever au-dessus de nous. Il grossit encore et encore. Une lumière blafarde se diffusa dans la grotte.
Keys s'immobilisa aussitôt, le pied au-dessus du vide. Son visage livide reprit des couleurs sitôt qu'elle recula sur le chemin à peine visible au milieu de la mousse et des éboulements. Atalaya s'impatienta.
— Laissez-nous passer devant, vous n'avez jamais mis les pieds ici.
La jeune femme s'avança au devant du petit groupe silencieux. Je lui emboîtai le pas. À quelques mètres, un escalier s'enfonçait au cœur de l'immense caverne. Il descendait le long de la falaise que nous longions. À peine la jeune femme eut-elle posé le pied sur la première marche qu'une nuée d'oiseaux blanc s'envolèrent à tire-d'aile, surgis de je ne savais où. Leurs pépiements résonnaient sur les murs de pierre, tandis qu'ils survolaient la rivière en contrebas. Des échassiers d'eau douce.
La grotte prit vie comme par magie. Le clapotis de l'eau tenait lieu de fond sonore, tandis que les bourdonnements des insectes s'intensifiaient à notre passage. Nous descendîmes l'escalier jusqu'à arriver au lit de la rivière. Un chemin pavé bordait la rive. De chaque côté du cours d'eau, une forêt de fleurs aux larges pétales argentés s'épanouissait, dont le pistil fluorescent luisait.
— De quel côté allons-nous ?
Atalaya hésita, incertaine. Le sentier s'étirait à gauche comme à droite, impossible de savoir de quel côté se trouvait la sortie. Soudain, une masse fendit les herbes hautes, non loin de nous. Je portais la main à ma dague, mais ce n'était qu'un puma. L'animal se posta devant nous. Sa queue fouettait l'air avec force.
— Il veut qu'on le suive, déclara finalement la mage de la Terre.
— Alors si nous avons un guide ! Au poil !
Le puma me foudroya du regard, je lui rendis la politesse. Atalaya dissimula un sourire, je lui adressai un clin d'œil en retour. Les mages de l'Air conservaient un silence douteux. Je me méfiais malgré tout. Le félin s'engagea sur le pavage avec toute la grâce et la nonchalance de sa race. Il remontait le courant.
La balade se prolongea pendant plus d'une heure. La rivière s'écoulait à côté de nous, aucun son trop dur ne venait troubler la quiétude des lieux. Quelques sculptures taillées à même la roche ornaient le paysage, désormais recouvertes de mousse rosée. Le passage du temps paraissait plus marqué ici. Au terme de notre marche dans la caverne aux merveilles, même si j'avais espéré apercevoir quelques gisements de pierres précieuses, la pénombre fit place à la lumière du jour.
Enfin, nous retrouvions un vrai soleil ! Les dalles cédaient la place à la roche brute. La mousse, aux herbes hautes. Les remous d'une cascade nous parvenaient en sourdine. Lorsqu'elle nous fit face, aucun de nous n'en menait large. Sauf peut-être Atalaya, évidemment. Sur le côté droit de la chute d'eau, il paraissait possible d'escalader la falaise sans risquer de se rompre le cou, pour un humain s'entend.
Le puma avait disparu dans une cavité adjacente. Notre porte de sortie se trouvait être dissimulée de la plus naturelle des façons. C'était bien une idée de Première, ça ! Je croisai le regard de Keys, qui haussa les épaules.
— C'est à votre portée je crois, sourit-elle. C'est ici que nos routes se séparent, Princesse.
Atalaya pivota vers eux, le dos droit. Elle prenait son rôle de meneuse très à cœur.
— Je te remercie, Keys. Infiniment. Ainsi que tous ceux qui nous ont porté secours parmi la compagnie des Pîrwièl.
Atalaya porta sa main à son cœur, l'autre enserra celle de la mage de l'air. Front contre front, le salut Tamar avait un je ne savais quoi de dramatique, à cet instant.
— Je ne sais comment vous remercier à la hauteur de ce pourquoi vous vous battez.
Keys esquissa un sourire triste teinté d'espoir.
— Offrez nous la liberté, Princesse.
Atalaya ferma les yeux, je sentis sa gorge se nouer. Lorsqu'elle les rouvrit, une puissante détermination y flambait.
— Je te le promets.
Les deux jeunes femmes se séparèrent. Le reste des mages de l'air saluèrent Laya avec déférence, puis les membres de la Compagnie des Pîrwièl rebroussèrent chemin. J'allais commencer à escalader la roche, lorsqu'Atalaya me héla d'une impulsion mentale. Elle me tendit son bras.
— Tu permets ?
Je glissai mes doigts dans les siens, sourcils froncés. Je manquai de perdre l'équilibre lorsque le courant nous souleva brutalement. Un jet d'eau perça la masse liquide pour nous entraîner au sommet de la cascade. Sous le col de la chemise de Laya, un halo lumineux émanait du talisman en aigue marine. Intrigué, je suivis la chaîne du bout des doigts pour inspecter le pendentif.
— Te gênes pas, surtout ! m'admonesta vertement la jeune femme.
Je retirais ma main à sa demande, un tantinet surpris par mon audace. Les Sheioff étaient du genre tactile, mais je devais avouer que garder mes distances avec Laya devenait difficile. Je me raclai la gorge pour garder contenance, ses prunelles violettes indéchiffrables vrillées sur mon visage.
Le vent choisit cet instant pour nous fouetter. Le jet d'eau s'évapora sous nos pieds désormais posés sur l'humus. Nous avions quitté les souterrains. Nous étions arrivés à destination. Je détachai mon attention de la jeune femme pour la poser sur la pyrie qui venait de se poser derrière nous. Bien sûr. Le vent. Daisyel nous avait retrouvé. Riv abaissa sa tête, trois personnes en descendirent à la hâte.
Laya s'élança, le cœur lancé au galop. Elle se jeta dans les bras de son protégé. Le soulagement et le bonheur déferlèrent dans son esprit en un torrent ininterrompu. Elle y était sacrément attaché au gamin. Contrairement à ce qu'elle craignait, elle l'aimait réellement, pas en superposant un frère disparu. Lay la serra dans ses bras en retour, sans s'agacer de l'affection excessive de la jeune femme.
Puis, Atalaya se tourna vers son frère et l'étreignit à son tour, avec davantage de fougue. Elle enfouit sa tête dans son cou, je détournai le regard vers le gamin qui s'approcha.
— Heureux de te revoir, souris-je, sincère.
Je lui pressai affectueusement l'épaule. Alys s'avança à son tour, son doux visage éternellement illuminé d'un sourire. Ses boucles blondes tachées de terre étincelaient pourtant. Je l'aurais cru effrayée par son saut dans le monde réel, mais elle ne paraissait pas affectée outre mesure par l'adrénaline qui devait circuler dans son sang. Alys avait du tempérament et je mettrais ma main à couper qu'elle était loin d'être inoffensive.
— Contente de vous revoir également, sourit l'adolescente. Nous avons vraiment cru que vous ne parviendriez pas à les semer.
J'échangeai un regard entendu avec Atalaya, qu'elle rendit à son frère. Il nous devait de sacrées explications, le lascar.
— Nous pouvons remercier Riv, il nous a sauvé la vie en prenant un risque énorme.
La pyrie ouvrit un œil en entendant son nom, il le darda sur Atalaya. Je ne pus percevoir la teneur du lien qui s'établit entre eux. La jeune femme s'avança et pressa son front sur le haut de la tête de l'oiseau. Ses mains fourragèrent dans ses plumes ocres.
— J'ai eu si peur, murmura-t-elle.
Riv roucoula, ses serres raclèrent l'herbe.
— Nous devons prendre la route, intervint Daisyel.
Il balayait les environs du regard, nerveux. Je raccompagnai les adolescents près de la pyrie et coulai un regard derrière mon épaule. Un nouveau jet d’eau, plus large, déposa une bulle au sommet de la cascade. Elle éclata sans bruit. Nos deux montures s’ébrouèrent, puis piaffèrent. Eux aussi étaient ravis de retrouver la surface.
— Peux-tu nous transporter jusqu'à Tirawan ?
Le doute perçait dans la voix de Laya. À raison. Des cernes aussi sombres que ses cheveux s'étalaient sous les yeux de Daisyel. Il avait déjà usé de sa magie au-delà du raisonnable pour amener Lay et Alys ici en sécurité. Le jeune homme secoua la tête. Atalaya hocha la sienne, elle mesurait elle aussi l'état d'épuisement de son frère. Lui n'avait pas profité du repos du sanctuaire.
— Où sont-ils ? m'enquis-je. Léander et les mages de l’Air ?
Daisyel huma l'air. Puis, un sourire retors fendit son visage.
— Loin d'ici. Ils ont perdu votre trace à l'entrée de la grotte et la nôtre dès que nous avons quitté la ville. Ils ne sont pas prêts de nous remettre la main dessus. Ce qui nous laisse quelques jours d'avance. Quatre, au maximum.
Je sifflai d'étonnement. Les mages de l'air étaient de sacrés pisteurs. Nous, lorsque nous perdions complètement la trace de notre cible, il nous fallait au moins une semaine pour la récupérer. Enfin, les Sentinelles. Je n'en étais plus une depuis longtemps.
— Alors, en route, décrétai-je.
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