Chapitre 44 Lorsque tu ne sais plus à qui te fier, la Terre sera ton refuge
Les rayons de lune balisaient notre chemin aussi efficacement que l'Esprit. Ce dernier était occupé à effacer notre piste bien que la précaution fut inutile, je le craignais. Je balançai de fausses signatures magiques tandis que Laya gommait toutes traces de sabot du chemin grâce à la Terre. Pourtant, les mages de l'air étaient toujours à notre poursuite. Léander aussi. L'obscurité entachait son aura.
Que nous étions encore libres relevait du miracle. Puis, ce qui aurait dû être une évidence me sauta aux yeux. Cette coque protectrice qui nous entourait. Alimentée par l'énergie du sol, générée par la jeune femme, elle soutenait les chevaux et leur fournissait une force et une vitesse qu'ils ne possédaient pas. Pas suffisamment pour nous permettre d'échapper à nos traqueurs.
Nous n'avions pas échangé un mot depuis que nous avions quitté la ville. Notre lien parlait à notre place, mais il n'offrait aucune réponse à nos questions mutuelles. Les oliviers aux feuilles argentées paraissaient figés. Seul le bruissement du vent apportait une touche de vie au paysage monochrome. Nous nous enfoncions dans la vallée à travers des sentiers sauvages. Atalaya évitait soigneusement les villages et les campements de voyageurs.
Nous avions rendez-vous aux portes de Tirawan dans une semaine au plus tard. Daisyel devrait y être bien avant nous, mais peut-être aura-t-il pris du retard avec l'intervention de Riv. Je devais reconnaître que sans lui, nous ne serions certainement plus de ce monde, ou pire.
— Il faut choisir notre chemin, Rhee.
La voix de la jeune femme retentit dans ma tête comme une évidence. Comme si je connaissais déjà en pensée ce qu'elle s'apprêtait à formuler. Je marquai un temps avant de répondre, dérouté par la puissance du lien. Ce n'était pas faute de l'avoir déjà employé par le passé, le tehî-séné.
— Quelles sont nos options ?
Atalaya grimaça, je le devinais à travers ses yeux plus que je ne le vis.
— Elles comportent toutes des risques. Nous pouvons tenter d'emprunter les couloirs de braises. Ils existent, mais j'ignore comment les utiliser. Nous pourrions tout aussi bien nous retrouver devant une porte fermée.
Ce fut à mon tout d'esquisser une moue dubitative. Fabian me serinait chaque fois qu'il revenait de Faiz avec ces fameux couloirs de braises. Le moyen de transport à travers le désert le plus sûr et le plus prisé des mineurs, dont le moyen d'accès était connu d'eux seuls. Pratiques et sécurisés car inutilisables des étrangers. En l’occurrence, je voyais mal comment percer à jour ce secret millénaire alors que le temps nous était compté.
— Deuxième option, se servir de la Terre pour disparaître et arriver à Tirawan sains et saufs.
Cette option me convenait nettement plus.
— Sauf qu’étant un mage de Feu, je ne suis pas certaine que je parvienne à te transporter de la sorte et la terre de Faiz n'est pas celle de Tirawan. Elle peut tout à fait nous avaler et nous enterrer vivant. Enfin, plutôt toi d'ailleurs, moi je devrais m'en sortir.
Je la dévisageai un instant, certains que j'allais percevoir une pointe d'ironie. Mais non. Atalaya était sérieuse. Je me raclai la gorge, plus si sûr de mon choix.
— Et l'option trois ?
Cette fois, elle esquissa un sourire mutin. Ça ne me disait rien qui vaille. C'était sans doute la plus dangereuse des trois, mais le risque me paraissait déjà suffisamment élevé.
— Celle que je préfère. Requérir l'aide de la Terre. La laisser nous guider. Nous en remettre à elle.
Je retins un ricanement, sans pouvoir dissimuler complètement mon scepticisme.
— Prier une nuit entière pour que je ne sais quelle déesse éradique miraculeusement Léander et l'obscurité ? raillai-je. Très peu pour moi. L'espoir fait vivre, c'est vrai. Ceci étant, je ne suis pas exactement prêt à passer ma dernière nuit à remettre mon existence en question pour les beaux yeux de la foi.
Je m'attendais à endurer la soufflante du siècle. Critiquer les croyance d'une Tamar s'apparentait à une déclaration de guerre, je l'avais appris à mes dépends. Sauf qu'Atalaya se mit à rire. Je pris le parti d'attendre une réflexion saine d'esprit.
— Comme si j'ignorais que tu n'étais pas penché religion. Là, il s'agit de ton héritage, l'héritage de tous les mages.
Je commençais à comprendre où elle voulait en venir. Ils s'étaient bien trouvés avec son père adoptif.
— Sais-tu comment je suis parvenue à fuir Tirawan ?
Je secouai la tête en signe de dénégation. Atalaya avait déjà mentionné les dryades, elles lui étaient venues en aide, mais elle ne m'avait jamais conté ce chapitre de sa vie.
— C'est la Terre qui m'est venu en aide. Pas ma magie de la Terre, la Terre elle même. L’esprit d’Isadora. Celui de mes ancêtres, peut-être. Sans la Terre, je ne serais jamais arrivée chez les dryades.
Je levai un sourcil intéressé. Sa fuite s’apparentait à une épopée louée dans les légendes des mages. Des légendes d'une autre ère. Des millénaires plus tôt. Je m’emballais, là.
— Tirawan a couvert mes traces, ralenti mes poursuivants et m'a guidé là où elle souhaitait que j'aille. Je suis certaine que Faiz est capable de la même chose.
J’esquissais un sourire moqueur, mais elle me coupa l'herbe sous le pied avant que le premier mot sorte de mes pensées.
— Non, nous n'allons pas prier les Premières qu'un miracle se produise. Nous allons simplement confier notre vie à Faiz.
Je clignai des yeux, certains d'avoir mal entendu.
— Tu plaisantes n'est ce pas ? “Simplement confier notre vie à Faiz” ? Tu t'entends réfléchir ? Je préfère encore l'option quatre !
Laya marqua un temps d'arrêt, sourcils froncés.
— Il n'y a pas d'option quatre, se méfia-t-elle.
J'inclinai légèrement la tête, autant que les soubresauts de ma monture me le permettaient.
— Il s'agit de l'option : avoir une chance de s'en sortir en combattant pour son honneur.
Elle me jeta une œillade mi-courroucée mi-dépitée. Je m'en serais amusé si notre vie n'était pas à ce point menacée. Quoiqu'à bien y réfléchir, mieux valait en rire que s'apitoyer sur notre sort.
— Il ne s'agit pas de survivre, mais de…
Face à ma moue butée, elle tenta une autre approche. Son esprit s'introduisit dans le mien. Il y déposa sa marque au plus profond, sous la forme d'un lys azuré. Aussitôt, je ressentis à travers elle la confiance qu'elle portait à la sylve, sa foi inébranlable dans les récits sacrés.
Son assurance ne provenait pas seulement de l'espoir ni de croyances infondées. Elle considérait les légendes comme un morceau d'histoire. Les Premières comme des figures emblématiques des premières civilisations, pas comme des mythes ayant traversé les siècles. Atalaya savait que leur esprit parcourait encore nos terres, que leur pouvoir n'étaient pas éteints, qu'il nous suffisait de trouver leur héritage.
— Je t'ai accordé une confiance aveugle, ces derniers jours, déclara la jeune femme d'une voix grave. Je te demande de me renvoyer la corde. De te laisser guider à ton tour.
La proposition était plus qu'alléchante. D'autant qu'Atalaya était mon Héritière. Et elle s'en montrait plutôt digne depuis qu'elle avait accepté sa magie de la Lumière. La puissance du lien qui s'était tissé entre nos deux esprits me titillait également. Laya ne devait pas s'en rendre compte, mais moi oui. La curiosité l'emporta sur l'entêtement. J'acquiesçai mentalement, non sans un soupir.
— Bien, à présent, il nous faut disparaître. J'imagine que si la Lumière est capable d'en créer, elle peut aussi l'aspirer, non ?
Je n'eus même pas le temps de prononcer un seul mot qu'elle étendit sa magie autour de nous. Autant pour les précautions. Quelles autres idées saugrenues lui passaient par la tête ? Pourtant, celle-ci eut le mérite d'être efficace. Sa magie se déploya autour de nous, aspirant la lumière à l'intérieur. Laya plongea dans les ténèbres des kilomètres à la ronde.
Puis, elle répéta l'opération avec les sons, le silence nous enveloppa de son manteau impénétrable. Logiquement, nous venions de disparaître, tout simplement. Soudain, sa magie de la Terre déferla autour de nous, véritable raz-de-marée invisible. Je mesurais alors la profondeur du lien qu'elle entretenait avec sa magie.
Pour nous, le Feu répondait à nos émotions, nos envies, il était une manifestation de notre personnalité. La Terre, c'était tout autre chose. Atalaya lui confiait ses chagrins et ses peurs comme à une amie fidèle, sa vie comme à son alliée la plus proche, son existence comme à une sorte de mère. La Terre était tout cela pour elle. Si elle avait été vivante, elle aurait été là personne la plus importante au monde pour la jeune femme.
Soudain, des ombres mouvantes apparurent autour de nous. Elles avançaient à la même allure que nos chevaux. Plus basses, moins massives, aux pas plus feutrés. J'en comptais quatre, peut être cinq. J'armai discrètement ma magie. La claque mentale qui s'ensuivit m'ébranla violemment.
— Rhee ! gronda Atalaya. Ce sont des pumas !
— Je ne préfères pas pour autant finir dévoré que torturé par Leander, répliquai-je sur le même ton, piqué au vif.
— Ils nous escortent, se gaussa-t-elle. Si tu représentais leur petit-déjeuner, je peux t'assurer qu'ils n'auraient pas pris la peine de t'informer de leur présence.
Je pris le parti de ne pas répondre. Shiva m'aurait accusé de bouder comme un enfant. Je préférais le terme de ruminer dans mon coin une réplique assassine. Atalaya et sa fichue manie de ne jamais partager ces plans !
Les pumas se placèrent autour de nous pour guider les chevaux avec une aisance qui m'intrigua. Atalaya maintenait l’instinct de proie et de prédateur qui animait ces bêtes dans la nature à l'écart de notre cocon protecteur.
— Je peux savoir où tes gardes du corps à poil nous emmènent exactement ?
Elle fit la moue.
— Ceci est exactement le risque dont je t'ai parlé. Je l’ignore.
J’acquiesçai avec toute l’ironie dont j'étais capable. Ce plan était absolument imparable. Nous nous enfonçâmes au cœur de la vallée. Nous nous rapprochions toujours plus du désert de braise, sans toutefois en sentir pleinement l’aridité. Le plan initial de Daisyel prévoyait de tracer notre route à travers ce désert. Toutefois, il prévoyait aussi de fuir la ville sans y être repérés, chose que nous n'avions pu éviter, du moins pour notre part. Daisyel avait remarquablement bien tiré son épingle du jeu.
Les oliviers laissèrent place à des taillis moins touffus et aux collines de pierre brute. La pluie n'était pas tombée ici. Soit les mages de l’Air avaient déjà perdus notre trace, soit ils économisaient leur force. Les pumas nous entrainèrent sur un chemin à flanc de colline, étroit et parsemé de cailloux tranchants.
Les chevaux ralentirent pour ne pas se blesser. Les félins s'impatientèrent, leur queue fouettait l'air avec vigueur. Le premier s'enfonca entre deux rochers massifs. Il fut avalé par l'obscurité. Une grotte ! J'adressai un avertissement mental à la jeune femme. Elle ne l'ignora pas royalement, mais m'assura que nous ne courions aucun danger.
Alors j'engageai ma jument dans le boyau, à la suite des félins. La roche nous recouvrit de sa haute stature. Un claquement sec retentit dans notre dos lorsque le dernier membre de notre escorte eut franchi l'entrée de l'anfractuosité. Une porte. L'obscurité s'abbatit sur nous, aussitôt percée par une lumière rougeoyante. Je levais la boule de Feu devant nous pour qu'elle éclaire les environs. Nous descendîmes de nos montures d'un même mouvement.
Devant nous se découpait une arche en pierre taillée haute de plusieurs mètres. Son pourtour était gravé de plusieurs symboles, dont le plus imposant ornait le sommet : une pyrie aux ailes déployées. Atalaya se figea en même temps que moi. Où avions-nous atteri ? Elle échangea un regard lourd de sens avec moi.
Nous nous trouvions devant un édifice vieux de plusieurs siècles, au moins. À travers notre lien, je compris que les symboles plus petits étaient des mots inscrits dans la pierre dans un langage aussi ancien qu'eux. Atalaya s'engagea sous l'arche, une dague à la main. Je lui emboitai le pas, inquiet de constater l'absence des pumas.
À peine eut-elle fait un pas qu'elle plia le genoux et étendit sa main. Elle extirpa une silhouette sombre de sa cachette, lui cloua le bras dans le dos, sa dague sous sa gorge. Un bruit de frottement précéda la dizaine d'arc pointés sur nous.
— Ne tirez pas ! s'écria la prisonnière
Une voix de femme sans aucun doute. Ses compagnons baissèrent légèrement leur armes. Je m’avançai à mon tour aux côtés de la jeune femme. Mes yeux détaillèrent à la hâte l'inconnue encapuchonnée. Je m'attardai sur le haut d'un tatouage qui dépassait de son avant bras immobilisé par Atalaya.
Cette dernière la fit se lever et pivoter d'un geste sec, une étrange lueur dans le regard. Elle pointait toujours sa dague sur la gorge de la femme masquée et me fit signe. Je lui saisis le poignet et dévoilai le motif imprimé sur sa peau. Un lys azuré.
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