Chapitre 42-2 Ton feu te consumera si tu ne le contrôles pas
Je repérai du coin de l'œil des sacs de céréales et des caisses à provisions entassées sur un coin du toit. Je poussai Lay à se cacher au milieu. Juste à temps, un des mages me heurta de plein fouet. Je heurtai violemment le sol. Mon genoux s'enfonça dans son abdomen. Il poussa un râle. Je me relevai en même temps que lui et dégainai mon épée.
Un étau enserrait mon crâne. Je luttai contre la douleur de toute mes forces. Une liane s'abbatit sur le flanc du mage. Il l'évita d'un bond. À son tour, il leva une rafale qui se mesura à ma magie de l'Eau. Je campai mes pieds sur le sol boueux, les particules d'air muèrent en glace fondue qui se mêla à la pluie.
J'évitai un nouveau poinçon, plongeai au sol pour balayer ses jambes. Il s'écroula à nouveau tandis que je lançai mon premier poignard. Le second dans ma main gauche pesait lourd. Plus lourd que d'ordinaire. La lame entailla sa jambe. Une bourrasque perturba mon équilibre, lui laissant le temps de se relever.
Cette fois, il fondit sur moi arme à la main. Mon poignard contra le sien, il dévia ma lame par la force. Une épée courte de glace apparut dans ma main droite. Le mage recula aussitôt, pour mieux fondre à nouveau, plus rapide. Ses mouvements flous m'alertèrent. Il passait à la vitesse supérieure. Bien.
Je fléchis les genoux pour éviter sa lame, glissai sur le côté. Une tâche de sang fleurit sur son bras. Je tournoyai sur moi même, l'épée de glace manqua de peu son abdomen. Il sauta soudain, hors de portée. Un poinçon se ficha dans mon mollet. Je serrai les dents pour étouffer mon cri.
Soudain, sur une impulsion mentale, une corde lumineuse se tendit brusquement dans l'air. Elle s'enroula en un quart de seconde autour de son mollet et tira. J'eus à peine le temps de réaliser que c'était ma magie, mon bras avait réagi tout seul. Le poignard se ficha dans le cœur du mage surpris.
- Laya !
Une liane me souleva de terre à l'instant où la silhouette m'aurait heurtée de plein fouet. Où plutôt m'aurait tranchée en deux. La lame d'air fouetta le sol sous mes pieds. Le second mage de l'Air tourna la tête vers mon protégé, toujours debout. Je lui devais sans doute la vie.
- Non !
Mon cri s'étrangla dans ma gorge lorsque la seconde lame invisible découpa ma liane. Je m'écroulai lourdement au sol. Un bouclier d'eau se dressa juste à temps au-dessus de mon corps. La pluie de poinçons s'y incrusta comme dans du verre. Je me redressai d'un bond, dégainai mon épée et fondit sur lui.
La Terre ne répondait pas comme d'habitude. J'en prenais conscience avec effroi. J'avais beau l'appeler de toutes mes forces, son silence cédait la place à cet étau qui me broyait la tête. À chaque fois. Alors je devais me battre à l'ancienne. Ma lame manqua de peu son flanc. Je pivotai sur le côté, fauchai ses pieds d'un rond de jambe.
Le mage perdit l'équilibre, glissa dans la boue jusqu'au bord du toit. Il n'aurait aucun mal à se réceptionner. D'une roulade experte, il rétablit son équilibre juste à temps pour éviter une de mes racines. Son bras se tendit brusquement. Je pivotai sur mes appuis, prête à repousser une nouvelle bourrasque.
Le vent ne fit que m'effleurer. Incrédule, je perdis quelques précieuses secondes à comprendre son geste. Le vent forcit à peine plus loin que moi, mais je ne pouvais plus le contrer sans précipiter l'inévitable. La mini tornade faucha tout sur son passage et s'abbatit sur Lay.
Les caisses et les sacs de provisions s'écrasèrent contre le garde fou ou basculèrent dans le vide. L'adolescent leva les mains pour riposter, les yeux écarquillés. Le vent rencontra le vent, mais Lay manquait d'entraînement. Il perdit petit à petit du terrain jusqu'à se retrouver au bord du vide en quelques instants. Si j'annihilai la tornade, l'inertie le ferait basculer.
Le mage, parfaitement concentré sur son but, celui de Léander, ne se préoccupait plus de moi. Je m'applatis au sol et rampai doucement vers Lay. Une liane serpenta dans la boue jusqu'à lui et s'enroula prudemment autour de ses chevilles. Puis, je saisis mon poignard.
L'éclat de la lame alerta le mage de l'air. Trop tard. Elle se ficha dans sa gorge à l'instant où je tirais brutalement ma liane à moi. Lay s'étala de tout son long avant de glisser vers moi. Je tendis mon bras et saisis le sien fermement.
- Ça va... ? murmurai-je d'une voix rauque
Ce fut à cet instant que le monde s'écroula. Le sol se déroba sous mes pieds dans un hoquet de stupeur. La bombe à air comprimé explosa au centre du bâtiment. Je m'accrochai d'une main au garde corps qui bascula dans le vide. Lay cria. Une corde de Lumière s'enroula autour de nous et s'attacha au parapet voisin.
Nous étions pendus au-dessus du vide, à la merci de nos ennemis. Je me balançai avec la corde, essayant d'atteindre le mur du bâtiment. Lay comprit ma manœuvre et nous propulsa légèrement. La paroi de terre cuite n'offrait aucune prise, mais cette fois, la Terre me répondit.
Elle agrippa la paume de ma main comme une ventouse. J'entrepris de gravir le mur, le poids de Lay me ralentissait considérablement. Soudain, je sentis une poussée nous soulever avec soulagement.
- Bien joué, murmurai-je à l'intention de l'adolescent.
Je m'aggrippai enfin au bord du toit, à bout de souffle. Puis, je nous hissai sur l'esplanade désertée et essuyai mon front en sueur. J'avais bien trop chaud. Je scrutai les alentours, plissant les yeux pour discerner les bâtiments à travers la pluie torrentielle. Rhee n'était nulle part en vue.
Mon cœur se serra. Il me brûla, même. Il ne pouvait pas avoir péri dans l'explosion. L'immense bâtiment gisait sous nos yeux, masse noircie en miette en contrebas.
- Laya, là bas ! s'écria Lay
Il me désignait un toit quelques centaines de mètres plus loin. Une silhouette sombre s'y battait avec un mage de l'air. La boule de Feu qui réduisit en poussière une rambarde d'accès enduisit mon âme d'un baume réconfortant.
- On va l'aider ?
Je secouai la tête, la gorge serrée.
- Il faut qu'on se tire d'ici le plus vite possible. Je m'étonnes de ne pas avoir encore rencontré ton père. Rhee nous rattrapera.
Sans lui laisser le temps de protester, je m'élançai vers le toit voisin. Je franchis la passerelle, Lay sur mes talons. Le filin doré nous reliait toujours, j'étais donc libre de mes mouvements. Je fonçai tout droit. Tant pis pour le plan. Le tonnerre gronda tout près. Un éclair zébra le ciel. Je pestai tout bas.
La déflagration nous surprit avant que je n'érige complètement mon bouclier. J'eus tout juste le temps d'aggriper Lay. Le sol se fendit d'un trait et s'inclina brusquement. Je glissai sur la boue en couinant, Lay à ma suite. La foudre avait arraché un morceau de toit juste devant nous. Je basculai la première dans le vide.
Au dernier moment, ma main trouva une prise. Un morceau de pierre glissant. Je grognai de douleur lorsque le poids de Lay bascula à son tour. Heureusement, une liane s'enroula autour de mon bras pour nous tirer vers le haut. Je me hissai grâce à elle sur le toit incliné, contre un morceau de garde fou.
- Laya, attention ! m'avertit soudain Lay
Une lame d'air plus puissante que les précédentes frôla ma tête. Elle trancha net la liane. Le poids de l'adolescent me plaqua contre le sol. Je tentai de le hisser rapidement à mes côtés. Le mage de l'Air ne m'en laissa pas le temps. Une rafale s'abbatit sur nous, les mains de Lay glissaient dans les miennes.
Le vent cinglait mon visage et ma peau gelée se contractait involontairement. Je croisai le regard de Lay, fixé dans le mien. Il concentrait toute sa magie pour le pousser vers le haut, mais ça ne suffisait pas. Je sentis avec effroi la boule de chaleur logée dans mon poitrine remonter lentement à la surface. Non ! Reste à ta place !
- Je ne te lâcherai pas ! criai-je
Ma magie ignora mes imprécations. Elle affleura ma gorge qui me brûla. Puis, elle se propagea dans mes bras. Je fixai mes mains avec horreur. Elle allait toucher Lay. Le dilemme qui s'imposa à moi me remplit de rage et d'impuissance. Je ne pouvais pas le lâcher ! Mais je ne pouvais pas non plus le laisser devenir la victime de ma magie incontrôlable.
- Rhee..., suppliai-je.
J'inspirai une goulée d'air frais. Peut être pensais-je juguler cette fièvre infernale qui m'embrasait littéralement. Que m'arrivait-il ? Je vis mes mains se recouvrir d'une pellicule dorée. Je n'avais plus que quelques secondes pour prendre ma décision. La Terre et l'Eau demeuraient muettes. Un sanglot se bloqua dans ma gorge.
- Lâche moi, Laya, chuchota mon protégé. Je me débrouillerai. On se retrouvera.
Je secouai la tête avec frénésie. Jamais. Je caressai des yeux ce visage encore juvénile, ces prunelles si mûres pour un âge si jeune. Peut-être était-il temps de voir qu'il avait grandi. Peut-être, mais certainement pas aujourd'hui. Les larmes dévalaient mes joues. Je ne pouvais pas le perdre, pas comme ça.
Une rafale plus forte heurta mon dos. J'hoquetai de douleur. La main de Lay glissa de la mienne, comme au ralenti. Un filin aussi transparent que la brume s'enroula autour de son torse et l'atttira brutalement dans les bras du vide.
Un hurlement de désespoir s'échappa de ma cage thoracique, un cri du cœur, de rage, de folie. Étouffé en un quart de seconde par un baillon d'air qui se plaqua contre ma bouche. Je tentai de le retirer, gesticulant comme une forcenée. Lorsque mes yeux dérivèrent vers l'homme qui réceptionna avec précaution l'adolescent sur le balcon du bâtiment d'en face.
Mon cœur rata un battement. Daisyel. C'était Daisyel. Je manquai de fondre en sanglot. Je m'écroulai à genoux, secouée de soubresauts silencieux. Il croisa mon regard soulagé, même bien plus que ça, et esquissa un sourire en coin.
- Je m'en occupe, Laya. Je te le ramène, je te le promets.
Je voulus protester, mais les mots moururent dans un souffle douloureux. Je n'étais pas en état de le protéger. À cet instant, je mesurais la profondeur sans égale de la confiance que je portais à mon frère.
- Je te le confie, gémis-je dans le vent.
Il hocha la tête. Un courant d'air chaud caressa ma peau. J'esquissai un sourire, fragile, mais sincère. Puis le vent de mon frère me repoussa doucement en arrière jusqu'à ce que je reprenne pied sur le toit incliné.
Daisyel disparut dans le bâtiment, Lay sur ses talons, lorsque des bras fermes se refermèrent dans mon dos.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top