Chapitre 41 Le courage de la terre te portera

Je sursautai autant que le mage de Feu. Nous nous relevâmes d'un même mouvement. Sa main toujours dans la mienne enserra nos doigts, liquidant tout espoir de me dégager. Il allait falloir que je lui précise que rester proche ne signifiait pas rester collés.

Une silhouette se détacha de l'obscurité comme si elle aparaissait soudain dans notre champ de vision. Je sus qu'elle venait réellement d'arriver sur les lieux, lorsque je dessinai dans ma tête un visage sur la voix. Le courant d'air, c'était lui. Je rougis à la pensée qu'il n'avait pu que s’apercevoir de notre proximité, à Rhee et moi.

— Daisyel ! m’exclamai-je joyeusement.

Pourtant, son sourire crispé et ses traits tirés auraient dû m'alerter. Rhee me libéra aussitôt de sa poigne. Je perçus à peine l’aura teintée d'ombre qui l'entourait. Je me jetai dans les bras de mon frère, il referma les siens autour de moi avec un léger éclat de rire. Aussitôt, l’Obscurité reflua. Ses prunelles d’acier retrouvèrent leur éclat habituel.

Je réprimai un soupir attristé. Cela me broyait les entrailles de le voir dépérir de jour en jour. Il se battait si fort pour résister. Pour moi. Je caressai tendrement sa pommette, les yeux embués. Il leva son avant bras à hauteur de mon regard avec un soupçon de fierté. Le lys azuré tatoué sur son bras resplendissait.

— Il est moins terne lorsque tu es là, sourit le jeune homme.

Un raclement de gorge interrompit notre étreinte. Je m’esclaffai en douce. Rhee nous avait rejoint.

— Je crois que les présentations n'ont pas été faite officiellement, raillai-je à l'intention du mage de Feu. Rhee, je te présente Daisyel, mon frère. Daisyel, voici Rhee, mon…

— Son guide, déclara-t-il à ma place, main tendue.

Daisyel échangea une poignée de main, un sourire en coin.

— Mon guide, c'est ça, répétai-je avec une pointe d'ironie.

— Ton guide, parce que sans moi jamais tu ne mettras la main sur le gouffre de Dhreïn.

Je croisai les bras sur ma poitrine et levai le menton avec défi. Daisyel se dandina d'un pied sur l'autre.

— Bien sûr, ricanai-je. Tu paries combien ?

— Moi, rien, sourit le mage de Feu. Je suis le vainqueur, pas le perdant.

Je lui tirai la langue avec une moue insolente. Il me gratifia d'un haussement de sourcil hautain.

— Léander est ici.

Silence.

Un frisson à m'en glacer les os dégringola ma colonne vertébrale. Ce fut exactement l'effet de ces trois mots. Je me statufiai sur place, certaine d'avoir mal entendu.

— Quoi ? coassai-je

Le choc balaya mes jambes déjà fragiles. Rhee crocheta ma taille avant que je ne m'écroule.

— Léander est ici, répéta Daisyel, son regard argenté vissé dans le mien. Et il veut son fils.

Mon poul s'emballa.

— Où est Lay ? m'écriai-je affolée

— En sécurité, s'empressa de me rassurer mon frère. Avec Riv.

J'acquiescai sans vraiment percuter ses mots. Je n'étais pas en état de me battre. J'inspirai profondément. Une froide détermination prit le pas sur la peur. Je protégerais Lay coûte que coûte. Nous allions nous en sortir.

Je me redressai, Rhee desserra son étreinte. Il garda sa paume au bas de mon dos, garant du contrôle de ma Lumière et de mon Feu.

— Et les autres enfants ?

Daisyel grimaça, les convaincre de le suivre n'avait pas dû être une mince à faire.

— Il est temps d'y aller, déclara Rhee, sombre écho à mes pensées.

— Il nous faut nos armes.

Daisyel désigna un paquet posé à ses pieds. Je m'agenouillai pour déplier les pans du tissu. Mes dagues, mon arc, mon carquois, mes vêtements de Tirawan, toutes mes armes ainsi que celles de Rhee s'y trouvaient. Je gratifiai le mage de Feu accroupi à mes côtés d'un coup de coude taquin.

— Il est encore plus doué que toi pour se glisser dans les couloirs du palais, l'asticotai-je.

Rhee grommela quelque chose d'inaudible, tout en récupérant son attirail. Il se saisit de ses vêtements de voyage et disparut derrière un olivier. Daisyel prit sa place dans mon champ de vision.

— Il va falloir se séparer, Laya, murmura-t-il.

— Je sais. Je ferais mieux de me changer.

Je me relevai en soupirant. Je lorgnai sans pouvoir résister l'obscurité là où le mage de Feu s'était éclipsé. Puis, je pris la direction opposée. Je me débarassai de ma robe à regret, j'aurais aimé en profiter plus longtemps, pour revêtir ma tunique, mon pantalon et mes protections de cuir.

Je rejoignis Daisyel et Rhee quelques instants plus tard pour sangler mon arc et mon carquois, attacher le fourreau de mon épée et dissimuler mes dagues un peu partout dans mes vêtements. Rhee m'imita plus rapidement. Malgré l'adrénaline qui circulait dans mon sang, des taches de couleur remplissaient mon champ de vision.

Une angoisse grandissante comprimait mes entrailles. Comment allais-je pouvoir nous défendre, dans cet état ? Pas une seule fois je ne rejetais la faute sur le mage de Feu. Le timing était des plus mauvais, mais il n'en était pas responsable. J'eus un dernier regard pour le palais de Dishôn dont on discernait les coupoles dorées dans notre dos. Shira, Had’, Haja… j'aurais aimé leur faire mes adieux. Si j'y retournais, nous n'aurions jamais le temps d'échapper à Leander.

Daisyel nous transporta à quelques centaines de mètres de là, toujours au milieu des jardins. Suffisamment éloignés pour que Riv puisse étendre ses ailes sans se faire repérer. Couché sur le sol, il releva sa tête massive à notre arrivée. Son plumage fauve frémit, ses pupilles dorées nous dévisagèrent fixement. Je sentis Rhee se tendre à ma droite.

Puis, la pyrie émit une sorte de roucoulement et reposa sa tête sur le sol sablonneux, paisible. Lay fut le premier à se précipiter vers nous. Je ne décelais aucune trace de peur sur son visage au teint clair, seulement du courage et une force nouvelle.

— On s'en va ?

Je hochai gravement la tête, ma main glissa dans ses cheveux soyeux. Puis, je l'attirai contre moi.

— Il ne t'arrivera rien, je te le promets, assurai-je dans un filet de voix.

Hirmu s'avança à son tour. Il me jeta un regard sans équivoque.

— Quelles sont les instructions, Dame Atalaya ?

Je balayai du regard la petite troupe, le cœur serré. Bien que nous nous étions mis d'accord quelques jours plutôt avec Had’, j'aurais aimé le leur annoncer autrement.

— Lay et Alys, vous partez avec nous. Niall et Diamé, vous restez ici.

— C'est une plaisanterie ? s'étrangla une voix stupéfaite

— Il n'en est pas question ! protesta une seconde

Je me pinçai l'arrête du nez et chassai la pointe d'irritation qui apparut.

— Ce n'est pas une question, assénai-je. Niall, tu habite près d'ici, ta famille est ici. Diamé, je regrette, mais il nous est impossible de nous rendre en Eldöryan du Nord. Tu es plus en sécurité ici que partout ailleurs.

— Alors pourquoi me prenez vous avec vous ? interrogea Alys, d'une voix dénuée de reproche.

J'esquissai un sourire entendu.

— Parce qu'une certaine personne me ferait la peau si je ne te ramenais pas chez toi alors que nous allons fouler le sol de l'Eldöryan du Sud.

Lay écarquilla les yeux, très certainement imité par Rhee. J'avais gardé cette information la plus secrète possible, mais l'heure n'était plus aux cachotteries.

— Vous avez quelques minutes pour faire vos adieux, le temps presse.

J'interrogai mon frère du regard.

— D'après ce que je sens dans l'Air, nous avons encore suffisamment d'avance pour sortir de la ville.

— Comment nous répartissons nous ?

Je réfléchis un instant, indécise. Daisyel trancha pour moi.

— Le mieux serait de se scinder en deux et de séparer les enfants, ce sera plus facile de les protéger. Je peux prendre Alys sur Riv, je me doutes que tu ne te sépareras pas de Lay.

Je lui adressai un sourire reconnaissant.

— Alors, allons-y, soupira Rhee.

— Pas avant de me donner quelques explications, tonna une voix de stentor.

Je fis volte-face face, mais me détendis aussitôt face à Had’. Il me jeta un regard alarmé. Il avait compris. Puis, il dévisagea Daisyel avec stupeur. Mon frère s'avança, ils échangèrent une accolade bourrue. Les prunelles d'Had’ papillonèrent ensuite du jeune homme à la Pyrie endormie, sidéré.

— Léander est ici, l'avertis-je sans préambule. Il nous faut nous en aller dès ce soir.

— Je m'en doutais, Laya.

Ses prunelles de saphir brillaient. Rhee et Daisyel s'éloignèrent pour nous laisser plus d'intimité. Mon mentor me serra dans ses bras, avec tant de douceur et de tendresse que ma gorge se noua. Il sentait les épices, la cannelle. Par les Premières, ce qu'il allait me manquer.

Puis, il saisit un objet de sous sa tunique, enrobé dans un morceau de soie, qu'il me tendit. Je découvris un poignard à la garde finement ciselée dans un bois rare et sertie d'une pierre précieuse : une améthyste. Je levai un regard médusé vers Had’.

— Je l'ai forgé moi même à Dinaba, en attendant ta venue. Tu sais ce que ça signifie ?

— Tu l'as lié à toi ?

— En effet. Chaque mots gravés dans la terre avec cette lame, je les entendrais. Ton esprit sera lié au mien.

— Mais comment ?

— Si tu traces tes mots avec cette lame, la pierre les lui transmettra, reformula Daisyel. En moins poétique.

Rhee se détourna pour masquer son sourire.

— Ne me laisse plus sans nouvelle. Ne me laisse plus jamais te croire morte, me fit promettre Had’.

J'acquiesçai, sans pouvoir prononcer un mot.

— Qu'Isadora veille sur toi, Laya chérie, conclut mon mentor.

— Qu'Hélias te garde, Had’.

Sa main s'attarda sur ma pommette. Je la recouvris de la mienne un instant, puis je me dégageai d'un geste ferme. Je glissai le poignard à ma ceinture et me tournai vers mon frère.

— Par où devons nous aller ?

— Nous allons traverser Dishôn à pied, les chevaux nous attendent à la sortie de la ville.

Je croisai le regard de Rhee, rempli d'assurance. Je m'y accrochai comme à une bouée de sauvetage. Ce n'était pas la première fois que je fuyais. Pas la première fois que je savais devoir me battre pour survivre. Pourtant, j'avais le sentiment d'avoir trop à perdre et pas suffisamment de chance de réussite.

L'esprit du mage de Feu s'immisca dans le mien avec la douceur de la soie. Il balaya ma crainte comme un fétu de paille. Sa confiance et son assurance s'incrustèrent en moi, plantèrent leur griffe dans mes doutes pour les déchiqueter.

Nous allons y arriver. Ensembles.

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