Chapitre 32-2 Dans une autre ère, les peuples étaient unis

Je m'empressai alors de pousser les enfants vers l'échoppe. Cette fois, la nouvelle de ma venue allait franchir la frontière. Nous nous engouffreâmes dans la boutique, avant que les regards des passants n'arpentent la place à ma recherche. Je hélai le tenancier, un mineur enturbanné d'un foulard orange vif.

— Que vous faut-il, Dame ?

— Des vêtements de voyage pour moi et les enfants, nous nous rendons à Faiz.

— Farid va vous dénicher tout ça.

Il s'éloigna dans sa réserve après nous avoir jaugé chacun attentivement. Le marchand en revint les bras chargés d'étoffes chamarrées.

— Combien vous en faut-il ?

— Deux par personnes, si cela est possible.

— Vous désirez essayer ?

Je lui adressai un clin d'œil amusé.

— J'ai suffisamment confiance en votre jugement, merci Farid.

Le marchand en fut tout étonné.

— Vous connaissez mes créations ?

— Ma mère en raffolait, souris-je de plus belle. Elle avait un faible pour Faiz, je dois bien l'admettre.

Puis, mon sourire se teinta de regret et le mineur changea de sujet à la hâte.

— Vous verrez, vous arrivez pour la venue du soleil ! Vous ne serez pas déçus du voyage. Cela fera trois cent sarpis.

Je dénouai la bourse que j'avais attrapé dans ma besace et déposai les piécettes sur le comptoir. Sans oublier d'ajouter une tenue plus légère pour le mage de Feu, si tant était qu'il s'en vêtisse. À ma connaissance, il supporterait très bien la chaleur du désert.

Ce dernier nous attendait dans une ruelle à l'écart de la place à la statue, accompagné d'Hirmu. Nous nous changeâmes tour à tour, dissimulés par les chevaux. Les vêtements mineur découvraient nos bras et notre ventre, tout en protégant nos jambes. Leur couleurs vives et le tissu brodé de perle de nacre nous confondrait davantage avec les natifs.

— La porte Sud ne devrait pas être plus surveillée que celle du nord. Le gardien nous cèdera le passage plus facilement que la première fois. Ensuite, nous te confierons la tête du groupe Hirmu. Tu nous guideras jusqu'aux Terres d’Arheïn.

En effet, la muraille végétale s'écarta aussitôt qu'elle nous vit approché. Je saluai le vénérable gardien de la forêt d'une légère caresse sur une branche. Hirmu plaça son cheval au devant du groupe et Rhee en profita pour caler le pas de sa jument à ma hauteur.

— La mode mineure te vas à ravir, me complimenta-t-il avec un sourire enjôleur. Tu pourrais presque affirmer que tu es née ici.

— J'imagine que c'est ma moitié Sheioff qui parle, souris-je. J'aime le désert et la chaleur de Faiz. J'aime ses coutumes et ses habitants. Ma mère aussi, elle se plaisait ici.

— Tu vois, le Feu est attirant.

Je lui jetai un regard de biai, indécise. Nul effroi qui croissait des tréfonds de mon âme. Nul écho de ma dernière crise de panique. Seulement un intérêt mesuré. Rhee n'avait pas tort. J'étais née aussi bien Tamar que Sheioff. La magie du Feu comme celle de la Terre coulait dans mes veines. C'était tout à fait risible que je sois dominée par la terreur à la simple vue de cet élément pourtant si protecteur.

— C'est plus compliqué que ça, éludai-je obstinément.

— Je pourrais t'aider, tu sais ?

Je levai un sourcil sarcastique.

— À quoi ? À utiliser le Feu ? Je sais parfaitement l'appeler et le guider. Je ne le fais pas. C'est aussi simple que ça.

— Tu ne peux pas ignorer ton élément si facilement, réfuta le jeune homme. Si c'est lié à ton traumatisme, je peux t'apporter mon aide.

— En t'improvisant thérapeute de circonstance ? raillai-je. Je n'ai pas besoin de ta pitié, ni de toi ! Cela fait plus de quinze ans que je n'ai pas appelé le Feu, ce n'est pas aujourd'hui que je vais tenter l'expérience.

Il rétrécit les paupières, les lèvres pincées. Je l'avais certainement blessé. Comment pouvait-il imaginer comprendre mon vécu ? Je ne le connaissais même pas.

Je me redressai sur ma selle, mais il me devança d'un mouvement brusque. Il rapprocha sa jument de la mienne et glissa sa main dans le creux de mes reins. Je me figeai instantanément. Une douce chaleur naquit à l'endroit où sa peau touchait la mienne. Elle enfla jusqu'à distiller un étrange calme au milieu du tumulte de mes pensées.

— Tu comprends à présent ? En quoi je peux t'aider ?

La surprise fut vite dissipée par la torpeur qui m'envahissait.

— En manipulant mes émotions ? rageai-je sur le même mode.

Visiblement, j'étais encore maître de mes pensées. Il riacana doucement dans ma tête. La sensation était étrange. Je percevais sa voix aussi clairement qu'avant, mais de façon plus intime. Très désagréable, somme toute.

—  Non, pas en les manipulant. En les tempérant.  Je peux atténuer ta douleur si tu le souhaite.

— Et me coltiner un mage exaspérant le reste de ma vie ? relevai-je. Non, merci.

Je lui adressai un large sourire rieur. Voilà de quoi tempérer l'atmosphère. Puis, je talonnai Éclipse pour rattraper Hirmu à la tête du cortège. Je ne l'avouerai jamais, mais son élan de bonté m'avait troublée. Toutefois, il me paraissait bien trop factice pour que j'y accorde du crédit. 

— Pourquoi les Terres d’Arheïn ?

Je dévisageai attentivement l'adolescent. Sa question paraissait anodine, mais il avait une idée derrière la tête.

— Parce que je les connais au moins aussi bien que Vëonar. Tu es né ici, si ma mémoire est bonne.

— Cela nous fait donc un point commun.

— Tu es donc capable de te repérer aisément ?

— En effet. Vous ne pouviez pas trouver meilleur guide. Ceci dit, vous ne m'avez toujours pas indiqué notre destination.

Je ne m'habituerai jamais à ce vouvoiement obstiné.

— Qu'est ce qui a motivé tes études à Vëonar ? poursuivis-je sans relever sa remarque

— Mon père, sourit l'adolescent.

Ses yeux bleus foncés se plissèrent. Il m'observa quelques secondes supplémentaires, puis reporta son regard sur le chemin sablonneux. La forêt tendait déjà à laisser place à la terre aride de Faiz. Avais-je manqué un détail ? Sa façon de me regarder m'avait interpellé. Une vague sensation de déjà-vu.

— Comment est-il, ton père ?

J'avais l'intuition que c'était dans cette voie que je devais creuser.

— C'est un homme bon et sage. Il n'est pas orgueilleux et il nous a élevé du mieux qu'il pouvait, après le décès de ma mère.

— Je suis désolée, me rembrunis-je. Je comprends que tu ne veuilles pas en parler.

Hirmu laissa échapper un léger rire. Nulle ombre de tristesse ne vint recouvrir le soleil qui brillait dans son regard. Il était heureux de rentrer chez lui. De fouler sa terre natale, après tant d'années loin de chez lui.

— Nous avons eu le temps de la pleurer, Dame Atalaya. Le temps fera le reste. Vous êtes bien placée pour le comprendre, malheureusement. Tout ce que nous pouvons, c'est remercier les Premiers que notre père soit toujours à nos côtés.

Je méditais ses paroles un instant, songeuse.

— Je crois que j'aimerai le rencontrer, ton père.

L'adolescent rit à nouveau.

— C'est chose faite, il me semble.

Je clignai des yeux, interdite.

— Je te demande pardon ?

— Et moi, je vous demande notre chemin.

Il désigna d'un geste théâtral le croisement devant lequel son cheval s'était immobilisé. Le souffle du vent balaya la crinière ébène d'Éclipse. Je levai la tête vers l'orée de la forêt. Les chênes cédaient volontiers leur place aux pins et aux cèdres. Des buissons de genévriers se glissaient entre les troncs épais.

Hirmu indiquait l'autre face du paysage. Celle de la vallée du Bashân.  Le large fleuve tranchait en deux les Terres d’Arheïn à plusieurs dizaines de kilomètres de notre position. Entre la roche ocre se dressaient oliviers, figuiers et citronniers. Leur senteur acidulée chatouillait mes narines.

— Cap sur les hauteurs des monts d’Arheïn, cher élève. Dishôn nous attend.

Il leva un sourcil.

— Que viens-tu chercher à Dishôn ?

Un sourire mélancolique étira mes lèvres.

— Protection et soutien de la part d'un ami de ma mère. Un ancien mentor qui m'a retrouvé il y a peu.

Il hocha la tête sans rien ajouter. Puis, il talonna sa monture pour s'engager sur le chemin de terre sablonneux. Les battements de mon cœur s'accéléraient graduellement à mesure que nous nous rapprochons du palais des Terres d’Arheïn. Des dizaines de souvenirs d'enfance y sommeillaient encore et je brûlais d'envie de les dépoussiérer.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top