Chapitre 31 Vëonar n'appartient pas aux Mages, mais ta magie saura la dompter

L'adrénaline inondait mes veines, saturait mes sens. À l'instar de ma magie. Je me contraignais à rester à l'écoute du mage de Feu, chargé de repérer d'éventuels poursuivants. Si nous chevauchions toute la nuit, nous ne serions plus qu'à quelques heures de Tiriabad. 

Ville bâtie sur la frontière commune de Vëonar et Faiz, sa construction ne datait pas de plusieurs siècles. À vrai dire, elle ne figurait pas sur les registres antérieurs à une vingtaine d'années. Tout simplement parce qu'avant, cette terre appartenait aux mages, bien qu'ayant été statuée comme terre neutre afin de permettre les échanges commerciaux entre nos différentes terres. 

— Sur ta gauche, à moins de deux cents mètres ! 

Aussitôt, une vague de magie de la Terre déferla sur la forêt. La sylve répondit avec son flegme habituel, mais avec une force inouïe. Dumë s'emballait, cette fois. Les branches fouettèrent l'air, fauchèrent et transpercèrent, mues d'une folie inopinée. Les cris s'élevèrent dans le silence nocturne. Je m'employai à ne pas laisser les craintes d'Alys traverser ma barrière mentale. 

Pas un instant Éclipse dévia de sa course. Tiriabad se trouvait plein sud. Les kilomètres s'enchaînaient, insatiablement. Les hautes branches s'écartaient sur le passage des chevaux, les feuilles s'inclinaient pour mieux s'entremêler dans notre dos. 

Le terrain s'inclina brusquement, je ralentis Éclipse. Le lit d'une rivière scientillait en contrebas. Plusieurs de nos montures hennirent. Je rechignai à perdre du temps, mais des chevaux assoiffés ne nous porteraient pas jusqu'à Tiriabad. Je conduisis au trop la petite troupe en bas de la cuvette. Si les enfants s'interrogèrent, ils ne soufflèrent pas un mot. 

Je scrutai les taillis, les yeux plissés, méfiante. Le silence nappait la nuit, mais je le devinai de mauvaise augure. Je sentis l'aura de Rhee se teinter de détermination. Que percevait-il, par Isadora, que je ne discernais pas ? 

Les bêtes lapaient l'eau avec autant d'avidité que j'en avais de repartir. Le mage ne scrutait plus la forêt. Son regard rivé sur un point précis tira la sonnette d'alarme. Soudain, il écarta les doigts et une langue de flamme jaillit de sa paume, sans s'en échapper. 

Je retins mon souffle. Il n'allait pas la lancer sur les taillis, n'est-ce pas ? Il ne détruirait pas la sylve sans état d'âme ? L'appréhension joua des coudes avec mon sang froid. 

Un désagréable frisson parcourut mon échine lorsqu'un souffle de vent emporta la flamme dans son sillage. Un fin sourire se dessina sur les lèvres du mage de Feu. Le feu vacilla, étendit son ombre, puis réintégra docilement la paume de sa main. 

— Vous croyiez que vous nous prendriez par derrière ? se moqua le jeune homme. C'est vous qui surestimez votre intelligence. Vous devriez battre en retraite, ou ce feu vous immôlera avant que vous ne posiez le pied à terre. 

Un rire sonore éclata dans le silence. Ce n'était pas celui du blondinet. L'un de ses seconds très certainement. 

— Vous avez bien foi en votre victoire pour des fuyards avec des enfants. 

— Qui crois-tu avoir pris en chasse ? cinglai-je 

— Cela n'a pas d'importance. Pas pour moi, en tout cas. 

Ce fut à mon tout de sourire. 

— Détrompes-toi, susurrai-je, cela aurait-du en avoir. Mais il est trop tard, à présent. 

Mon bras droit se détendit brutalement, une lance de glace apparut dans ma main. À l'instant même, les hauts arbres autour de nous se mirent à secouer leur branche de toutes leur forces. Quelques feuilles s'éparpillèrent dans l'air. Ce qui m'amusa, en revanche, fut les quelques silhouettes qui s'écrasèrent lourdement sur l'humus. Rhee braqua aussitôt son regard sur eux. Parfait, il n'en restait donc pas là-haut. 

L'un des hommes ne se releva pas. Certainement pas un mage de l'Air, ce faisant. Les cinq autres se redressèrent, les vêtements recouverts de terre et de feuilles. Je laissai ma magie affleurer la conscience des chevaux. À mon signal, j'en prendrais le contrôle. 

Le premier poinçon se désintégra au cœur de la flamme qui siffla dans l'air. Elle heurta les suivants avec une précision méticuleuse. Bientôt, une pluie de poignard invisible s'abbattit sur notre groupe. Je levai ma deuxième paume, un grand bouclier liquide nous enveloppa. L'aigue-marine chauffait contre ma peau. 

Je croisai le regard émeraude de Rhee. Il m'adressa un hochement de tête entendu. Alors, je propulsai ma magie en deux factions. La première, celle de la Terre, héla les chevaux qui ruèrent. La seconde, celle de l'Eau, éleva une haute vague de la rivière. Le bouclier fondit en elle, tandis que nos montures se précipitaient dans la forêt. 

Une vive lueur transperça soudain l'obscurité. Elle se réverbéra sur le mur liquide qui couvrit notre fuite. Un cri de rage rugit dans notre dos. Je pivotai sur ma selle, la lance levée. Le meneur se jeta au travers de l'obstacle, fou de rage. L'arme  transperça son torse de part en part. 

Nous chevauchâmes toute la nuit. Nos montures, harassées titubaient sur leur pattes à l'aube. L'énergie qui leur avait manqué, je la leur avais fourni à l'aide de ma magie. Je préférai l'utiliser à travers des animaux que demander directement de l'aide à la sylve. Celle ne Vëonar n'avait jamais été très réceptive et requérait un coup d'énergie supplémentaire. 

Les enfants devaient mourir de faim et de fatigue. À quelques milles de Tiriabad, je sautai de ma selle, flattai l'encolure d'Éclipse qui s'affala sur le sol, à bout de force. Il ne ferait pas un pas de plus avant de s'être reposé, à l'instar des autres chevaux. 

— Nous allons faire une pause, de quelque heures. Je vais nous façonner un abri où nous serons en sécurité, indiquai-je tout en m'approchant d'un feuillus. Mettez pied à terre. 

— Attendez, sîn Diaslîn, m'apostropha Diamé. Laissez-nous nous en charger, Alys et moi. Reposez-vous, vous aussi. 

Lay s'approcha à son tour, tandis que le reste du groupe délaçait les paquetages. 

— Elle a raison, sourit l'adolescent. Tu tiens à peine sur tes jambes. Les chevaux n'ont pas chevauché toute la nuit à cette allure sans aucun apport d'énergie. Laisse-nous utiliser la nôtre et va dormir. 

Il ponctua son imprécation d'une brève accolade. Alys m'adressa un sourire rassurant. J'acceptai enfin de prendre du repos sans plus tergiverser. Une liane me cueillit et me déposa sur une haute branche sur ma requête. Je me calai confortablement sur la branche recouverte de mousse et plongeai dans un sommeil salvateur. Comme à Tirawan.

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