Chapitre 27-2 Frère et sœur dans le cœur

Daisyel sourit de plus belle. Il s'empara de ma main droite et m'entraina sur la piste d'un pas empressé. Les violons auraient pu jouer rien que pour nous, nous n'en aurions pas vu de différence. Nous glissions sur la piste comme si elle eut été faite de glace. Au rythme du ballet imposé par les musiciens, nous virevoltions, Daisyel me soulevait dans les airs, je tournoyai, ma main dans la sienne. 

Les lustres devinrent plafond de cristal, le sol en damier, un tapi immaculé ou entièrement noir, chaque coup d'œil étant différent du dernier. Je me régalai chaque fois que je sentais sa peau contre la mienne. Mon frère était là, en vie, devant moi. 

Soudain, les violons se turent. Les couples s'immobilisèrent en même temps que nous. J'échangeai un regard avec Daisyel. 

— Un petit bain d'air frais ? proposai-je

Il hocha la tête, sa main toujours dans la mienne. Je nous frayai un chemin à travers la foule jusqu'au balcon le plus proche. Le jeune homme s'accouda à la rambarde qui surplombait les jardins de l'Académie. 

J'écartai son bras pour me presser contre lui. Je l'enlaçai de toutes mes forces, mon nez niché dans le creux de son cou. Daisyel avait grandi. Puis, les larmes dévalèrent mes joues, tandis que des sanglots me secouaient. Mon frère recouvrit mon dos de ses bras. L'émotion que je refoulai depuis nos retrouvailles déferla sur mon visage recouvert de maquillage. 

— Tu m'as tellement manqué, sanglotai-je. 

— Si tu savais comme c'est réciproque, Laya. 

Mon surnom sonnait avec délice dans sa bouche. Daisyel embrassa le haut de mon crâne, ses mains caressaient tendrement mon dos. Il me garda contre lui jusqu'à ce que mes pleurs tarissent. Je résistai une première fois lorsqu'il tenta de me repousser. J'avais calé ma tête contre son épaule et rien de me donnait envie de bouger d'un pouce. J'étais apaisée, sereine et heureuse. 

Daisyel sentait la cannelle. Avec une pointe de patchouli. Un parfum qu'il avait sans nul doute ramené de Tirawan. Au-delà de son épaule, la lune veillait sur nous. Je ne vis Riv nulle-part, mais je doutais que mon frère lui eut permis d'approcher si près des habitations. Trop dangereux. 

— Nous devons parler, Laya, me rappela Daisyel. 

Je soupirai, puis me dégageai de son étreinte à regret. Ses iris argentés me dévisageaient avec tant d'affection. 

— Je crois que c'est à toi de commencer, non ? intimai-je 

Daisyel grimaça. 

— Je vais aller à l'essentiel. Lorsque Leander a attaqué le village, c'est toi qu'il voulait. Mais tu n'étais pas là. Tyris et Callie ont compris que c'étaient des mages de l'Air. 

Ma main pressa son avant bras. 

— Callie m'a fait promettre de veiller sur toi, de te protéger quoi qu'il arrive. C'est ce que j'ai fait. Leander m'a emmené, j'ai joué le jeu tout en te surveillant de loin. C'est Riv qui t'a retrouvé à Vëonar un an après, je ne t'ai jamais plus quitté des yeux depuis, même de loin. 

Un sourire ému étira mes lèvres. Je caressai sa pommette tendrement, incapable de prononcer un seul mot. 

— Si je voulais veiller sur toi en vie, il fallait que je prouve à Leander que j'avais choisi son camp. 

— Comment ?

Soudain, je compris. Je reculai d’un pas, interdite.

— Non… Non, tu n’as pas fait ça ? murmurai-je, mortifiée

Daisyel détourna les yeux, les lèvres pincées.

— Je te demande pardon, Laya. Je ne peux pas tout t’expliquer ce soir.

— Bien sûr, que je veux des explications ! m’écriai-je. J’ai failli perdre la vie à cause de cette magie infernale et tu m’annonces que tu l'as accueillie en toi ?

L’incompréhension supplantait ma colère à cet instant. Le jeune homme braqua aussitôt son regard orageux dans le mien.

— As-tu seulement confiance en moi ?

— Je te confirais ma vie sans hésiter, gémis-je. Plus encore celles de ceux qui comptent pour moi.

Il esquissa un sourire amer.

— Mais j’ai besoin de comprendre, Daisyel, insistai-je. D’où viennent ceux qui ont massacré les Tamar ? D’où sort cette magie qui hante nos cauchemars depuis notre enfance ?

— Laya…

— Qui va devoir se battre contre ça, Daisyel ? Je ne connais que ce qu’on m’a enseigné. Qui va m’aider à sauver ma vie et celles de tous ces innocents ?

Il plaqua ses mains de chaque côté de mon visage, j’abandonnai toute réplique lorsque je plongeai dans son regard torturé.

Nous étions dans le même bateau. Il désirait m’aider et ne cessait de me le répéter. Comment pouvais-je lui reprocher son indécision ? Je pressai mon front contre le sien, une main derrière sa nuque.

— C’est ce que j’ai cherché à savoir en me glissant dans l’ombre de Leander. J’ai voulu le tuer tellement de fois.

Il secoua la tête, désabusé.

— Je l’ai regardé tuer Tyris et tous les enfants du village. Il a laissé Callie pour morte en m’emmenant avec lui. J’étais un trophée au moins aussi important que toi, même s’il comptait sur ses chiens pour te capturer.

Une larme roula sur ma joue. Il l’essuya d’un revers de sa main.

— Je savais que tu t’en sortirais. Je l’espérais si fort. Tu t’en sortiras toujours.

Il contracta sa mâchoire.

— Je te promets que je te confierais tout ce que j’ai appris, mais le moment est mal choisi. Tu dois fuir, Laya. Il vous a retrouvé.

Je hochai la tête, le souffle haché.

— Nous partons demain matin, révélai-je.

Ce fut à son tour d’acquiescer.

— Comment tu sais, pour lui ?

Son regard argenté se perdit derrière mon dos. Je me retournai pour contempler la salle de réception au-delà des fenêtres grandes ouvertes. Alys dansait au bras de Lay. Ils virevoltaient au milieu des autres élèves, mêlés aux autres couples. Un large sourire étirait leur lèvre.

— C’est moi qui leur ai donné ton adresse.

Je devinai qu’il ne plaisantait qu’à demi. Ainsi donc, Daisyel avait permis à Lay et sa mère de s’enfuir et les avait conduits droit vers moi.

— Tu leur as sauvé la vie, le remerciai-je.

— À lui, au moins, reconnu mon frère.

Je relevai les yeux vers lui, interloquée.

— Je ne pourrais pas couvrir votre fuite demain, me devança le jeune homme. Riv surveillera vos arrières. Je le laisse dans les parages. Tu pourras le contacter en cas de besoin.

Et ainsi te contacter, toi, complétai-je en mon fors intérieur. Je ne relançai pas la conversation sur la mère de Lay. Daisyel ne souhaitait pas aborder le sujet, je respectais son choix. Pour l’instant, du moins.

— Que comptes-tu faire avec ta magie de l’obscurité ? interrogeai-je

Cette question-là m’angoissait bien davantage.

Mon frère évita mon regard.

 — Je ne peux pas m’en débarrasser, c’est impossible.

Il parla si bas que je crus un instant avoir mal entendu.

— Je ne plaisante pas, maugréai-je. Tu te souviens bien des cours de Tyris ?

Daisyel soupira. Puis, d’un léger coup d’épaule, il me retourna face à lui.

— Je ne ris pas, Laya. C’est terminé pour moi. J’ai fait mon choix à l’instant où j’ai juré à Callie de te protéger quoi qu’il arrive.

— Non ! protestai-je avec véhémence. Je peux utiliser l’Appel de la Terre. Daisyel, je peux t’aider. Il n’est pas question de te laisser consumer.

— Là, c’est moi que tu dois écouter, ma sœur adorée. On se retrouvera bientôt, je te le promets. Fais-moi confiance, mais je t’en prie, ne sacrifie pas ta vie pour sauver la mienne. Elle n’en vaut pas la peine.

Doucement, il s’éloigna de quelques pas. Ses mains glissèrent le long de mes bras nu.

— Qu’est-ce que tu fais ? m’affolai-je

— Tu dois me laisser partir, Atalaya.

Il enjamba la balustrade. Je pouvais contempler le moindre trait de son visage, mais il paraissait tellement loin.

— Non !

Je m’élançai vers lui, mais il s’éloigna encore, suspendu dans les airs. Sa magie ondoyait autour de son corps.

— Daisyel, ne me laisse pas ! suppliai-je

Il se rapprocha d’un bond. Sa main caressa ma pommette. Il embrassa tendrement mon front.

— Je ne suis pas loin, je te le promets.

Puis, il s’éloigna à nouveau. J’avais conscience que notre séparation ne serait que temporaire, mais je refusais de le laisser s'en aller. J’avais l’impression que s’il disparaissait maintenant, je ne le retrouverai plus jamais. Je ne pouvais pas perdre quelqu’un d’autre. Plus jamais.

Les larmes ruisselaient sur mes joues. Les sanglots menaçaient de submerger ma raison. La disparition de mon clan serait ancrée en moi pour toujours.

Une seule décision et je pouvais le rejoindre. Rester à ses côtés. Ses contours s’effaçaient déjà parmi le manteau de la nuit. De solides bras m’entourèrent avant que mon esprit ne tranche. Ils me tirèrent en arrière.

— Prends soin d’elle, chuchota le vent à nos oreilles.

J’eus beau me débattre vivement, le mage de Feu ne relâcha pas son étreinte d’un pouce. Daisyel disparut, aussi furtivement qu’il était apparu au milieu des convives. Je m’effondrai dans les bras de Rhee. Je me sentais vidée, incapable de repousser le mage alors que la colère n’avait pas déserté mon cœur.

— Je te ramène.

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