Chapitre 26 Le feu est cachottier
Je tournai à l’angle du couloir extérieur. L’accès à l’aile des employés se situait à l’intersection suivante.
— Atalaya ?
Je pilai net et dévisageai les trois professeurs qui s’avançaient vers moi, tout sourire.
— Comment vas-tu ? s’écria Alban. Ça fait un bail !
J’échangeai une poignée de main avec les deux jeunes hommes et pris Neela dans mes bras.
— Pressée de contempler l’Académie aux couleurs du soleil, et vous ?
— Heureux de ne pas avoir les gamins dans les pattes ! renchérit Edwyn
Je leur lançai un regard interrogateur.
— Tu n’as pas su ? s’étonna la jolie brune. Avec la réouverture de l’Académie de magie, les grands sont conviés à la cérémonie. L’annonce officielle a lieu demain soir, un Haut-Conseiller sera présent.
La nouvelle me laissa sans voix. Le Directeur n’avait pas chômé.
— Oui, et comme les petits seront confiés aux nourrices, pas de tour de rôle pour surveiller les mômes, ajouta Alban. On va tous profiter de la fête, cette année !
Je partageai leur joie quelques minutes, puis les saluai. Je ne fus pas surprise de découvrir mon protégé assis sur le canapé du salon. Deux tasses fumantes reposaient sur la table basse. L’odeur de la cannelle, inimitable, tapissait l’atmosphère.
— Comment va Rhee ? m’apostropha Lay
— Le mieux possible, soupirai-je.
Je m’affalai dans le divan et avalai une première gorgée de lait épicée, reconnaissante.
— Je sens que tu as de nombreuses histoires à me raconter, je me trompe ?
Son sourire en coin se fana légèrement lorsqu’il me dévisagea avec attention.
— C’est réel ? murmura-t-il, apeuré. Alys ne s’est pas trompé ?
— Non, tu n’as rien imaginé. La magie de l’Obscurité s’est réveillée. Elle nous a tendu un piège à Othien. C’est la flamme d’Hélias qui m’a sauvé la vie. Rhee en avait respiré, j’ignore pourquoi ça n’a pas été mon cas.
— La magie de la Terre t’a protégée. Tu es une Héritière, ton lien avec elle est forcément plus fort.
Je lui adressai un sourire fier.
— Tu n’as pas oublié tes leçons, le taquinai-je. Tu as raison, ceci-dit.
Lay s’esclaffa et but une gorgée de lait chaud.
— C’est notre dernière soirée, hein ?
Je secouai la tête en signe de dénégation.
— Non, je sais que Solanus te tient à cœur, tout comme à moi, réfutai-je. Je tiens à être présente. Nous partirons le lendemain de la fête.
— J’avais oublié que Daisyel devait te rejoindre.
— Ce sera notre dernière soirée à l’Académie, soupirai-je.
— Est-ce que je pourrais la passer avec mes amis ?
Je plissai les yeux, la culpabilité m’étreignit. Je regrettais de lui imposer ce départ forcé, mais son père se rapprochait de nous. Si nous voulions avoir une chance d’échapper à ses filets, nous devions la saisir.
— Bien-sûr. Profite de cette soirée comme tu l’entends.
— Et toi ? Que vas-tu faire ?
Je haussai les épaules.
— Je n’en sais rien. Revoir Daisyel apporte déjà son lot d’imprévu et je dois rassembler mes affaires.
Je reposai ma tasse vide sur la table basse, bientôt imitée par l’adolescent.
— J’ai appris que ta classe participait à la cérémonie, rebondis-je avec un entrain renouvelé. Quel est le programme ?
Lay acquiesça vivement. Un large sourire égaya son visage.
— C’est génial ! On va défiler dans la grande salle et être présenté au Haut-Conseiller, on a déjà reçu nos costumes. On assistera à l’annonce du Directeur aux premières loges !
Je devinais l’effervescence qui avait due se répandre lors de l’annonce.
— À quelle heure devez-vous vous présenter ?
— On peut se rendre dans la Salle de Rubis quand on veut, avec qui on veut. On a rendez-vous à sept heures dans la salle annexe, avant le défilé.
— Tu veux être mon cavalier ? m’enquis-je sur un ton détaché.
Lay ricana.
— Pourquoi tu ne demandes pas à ton nouvel allié si fiable ?
Je ris jaune.
— Après tout, tu as fait une telle sensation l’année dernière que ça ferait une sacrée entrée, reprit l’adolescent. J’aurais la côte pour la soirée !
— Je ne crois pas qu’Ochoro ait le temps de m’emmener faire les boutiques cette année et moi non plus.
— Ça, ça peut s’arranger.
Je me levai d’un bon souple, un sourire amusé fendant mon visage.
— Je vais me coucher, tu devrais en faire de même.
Je décoiffai ses cheveux intentionnellement, puis retrouvai avec un soulagement mon cocon à moi. Si durement construit pendant ses longs mois. Cette nuit-là, je peinais à trouver le sommeil. Trop d’inconnues perturbaient mon esprit. Un nouveau périple s’annonçait, semé d’embûche. La matinée suivante s’écoula au ralenti. Je trépignai seule dans l’appartement, Lay s’était éclipsé aux préparatifs de la fête, en compagnie de ses amis.
L’essentiel de mes affaires sommeillait dans la malle du salon. Les quelques effets emportés à la hâte de Tirawan, ajoutés à ceux de l’Eldöryan, ne restait que quelques vêtements amassés à Vëonar. Le soleil déclina lentement. Je m’attablai finalement à mon bureau, une liasse de papiers à ma droite, un encrier et un stylo à plume à ma gauche. Puisque ma tâche de professeur s’achevait aujourd’hui, je tenais à leur laisser une trace de mon passage, à eux et au Directeur.
Je rédigeai alors, pour chacun d’eux, un bilan des mois passés à leur transmettre mon savoir. J’adressai également une lettre de remerciement au Directeur, à Clay Blakwell. J’apposais le point final à celle destinée à Alban, celles d’Edwyn et Neela soigneusement pliées à côté, lorsque la porte de l’appartement s’ouvrit. Je rangeai le stylo et l’encrier, puis me levai à l’instant où une petite troupe s’immobilisait sur le pas de la porte. Alys et Diamé se tenaient derrière Lay, les bras chargés de bric à brac.
— Les filles ont accepté de me filer un coup de main, s’expliqua le garçon.
Je soulevai un sourcil intrigué.
— En quel honneur ?
Alys s’avança d’un pas.
— Celui que vous porte notre peuple et l’affection de ma Seina.
— Vous avez été une excellente professeure, ajouta Diamé en son nom. Voici notre cadeau d’adieu.
La dryade à la chevelure de feu déploya sur le lit une création éblouissante. La robe étala ses volants en corole sur les draps, le tissu doré étincelant de mille feux.
— Où avez-vous déniché ça ? l’interrogeai-je, effarée
Elle esquissa un sourire en coin.
— Les dryades du Nord ne sont peut-être pas les meilleures guérisseuses, mais ses tisseuses n’ont rien à envier à celles du Sud.
Je sifflai d’admiration.
— Je vais vous laisser, intervint Lay, je repasserai vous aider à nettoyer, les filles.
Il s’éclipsa sans demander son reste. La compagnie des dryades n’était pas sans me rappeler celle avec qui j’avais grandi, que j’avais laissé derrière moi quatre ans auparavant. Alys déposa sur la commode un panier rempli d'accessoires, tandis que Diamé s’éloigna vers la salle d’eau, deux bouteilles à la main.
— Ne rendez pas folle les nobles venus assister à la cérémonie, le Directeur en serait gêné, plaisantai-je.
— Lay vous apprécie beaucoup, répliqua Alys.
— Il représente ce que je n’ai pas su protéger par le passé, grimaçai-je.
La dryade s’avança et posa sa main aux doigts fins sur mon avant-bras.
— Myra vous dirait que vous êtes capable de ce que vous croyez être capable d’accomplir. Si vous croyez en vous, alors vous vous ouvrirez le champ des possibles, murmura la jeune fille.
— C’est elle ta maorïn, n’est-ce-pas ?
Elle secoua la tête, un fin sourire aux lèvres.
— Non, mais j’aurais aimé.
Diamé réapparut dans l’encadrement de la porte.
— Le bain est prêt.
Alys planta son regard dans le mien.
— Vous savez ? Vous devriez nous emmener. Toutes les deux. Notre cursus prend fin l’année prochaine. Nous avons déjà appris suffisamment à Vëonar et nos pouvoirs de guérisseuses vous seraient utiles.
— Non, refusai-je tout net. Il est hors de question que je mette en danger des enfants dans une quête si dangereuse.
— Réfléchissez-y, quand même, ajouta Diamé. Ce n’est pas comme si on ne risquait pas de se retrouver en pleine guerre coincée ici.
J’ignorai son intervention et suivit les deux jeunes filles dans la salle d’eau. Elles m’invitèrent à plonger dans un baquet rempli de lait chaud. Je profitai quelques heures du bain, puis elles m’enduisirent d’huile d’argan directement en provenance des côtes de Faiz. Puis, elles saupoudrèrent ma peau de fines paillettes dorées.
Si j’avais imaginé incarner l’astre que nous fêterions toute la soirée, j’aurais chassé cette illusion aussi sec. La robe aux tons similaires glissa sur ma peau éclatante avec douceur. Quelques accessoires supplémentaires que j’avais conservé des années précédentes, j’étais presque prête. Les deux dryades insistèrent pour coiffer ma longue chevelure. Elles se contentèrent de la peigner soigneusement. Alys piqueta de perle nacrée les mèches bleues qu’elles recouvrirent également de poudre dorée.
Une touche de maquillage plus tard et j’eus crus plonger dans mon passé. A l’époque où la fête du soleil se tenait pour moi à Tirawan. Où je dansais en l’honneur du village, à la gloire d’Isadora. La journée entière était consacrée à me rendre la plus belle possible. J’étais heureuse de pouvoir savourer ma soirée à l’image des miens. Les futilités et les festivités n’auraient guère leur place lors des prochaines semaines.
Une heure plus tard, j’admirai la cour intérieure, méconnaissable du haut du couloir extérieur. Des lampions savamment disposés sur le pourtour de la place diffusaient une lumière tamisée. Un long tapis ocre aux bordures dorées recouvrait les pavés de la grande porte à l’entrée de l’aile de l’académie civile. De chaque côté, d’imposants vases en terre cuite disséminés à intervalles réguliers régalaient les yeux de leur bouquet fleuri harmonieusement confectionné.
Alys et Diame s’étaient éclipsés pour s’apprêter à leur tour. Lay m’avait donné rendez-vous dans moins d’une demi-heure. Je désirai seulement rendre une dernière visite à Rhee avant la fête. M’assurer qu’il avait bien pris son traitement et qu’il se reposait comme il le devait.
Je délaissai le spectacle apaisant et repris mon chemin. Il m’ouvrit quelques secondes à peine après le premier coup frappé. Je pénétrai dans son appartement d’un pas gracieux, les volants de la robe virevoltants au rythme de mes pas.
Le mage de Feu s’écarta vivement et se figea sur place. Ses pupilles de jade me détaillèrent de bas en haut, effarées. Alys et Diamé avaient frappé fort, visiblement. Je le dévisageai également. Son visage avait repris des couleurs, son front ne luisait plus. Rhee était tiré d’affaire.
— Tu es magnifique.
Le compliment sembla franchir la barrière de ses lèvres de lui-même. Le jeune homme se redressa aussitôt et se racla la gorge.
— Je te remercie, m’inclinai-je.
J’avisai le pot de remède confié par Alys, ouvert sur la commode du salon. J’en conclus que sa santé comptait pour lui plus que je ne l’aurais cru.
— Je suis simplement venue m’assurer que tu ne participerais pas aux festivités.
Rhee se fendit d’un air outré.
— Tu es venue m’interdire de m’amuser ?
Il se pencha soudain, une lueur taquine au fond de ses prunelles.
— Ou as-tu peur que je danse mieux que toi ?
Je m’esclaffai librement, hilare.
— Je ne crois pas que tu puisses être meilleur que moi dans ce domaine, ricanai-je. Quoi qu’il en soit, je te déconseille de te fatiguer inutilement.
Je m'apprêtais à sortir, lorsqu’il crocheta mon bras.
— C’est adorable de t’inquiéter, ma belle, mais ce n’est pas une danse qui va me tuer.
Je levai les yeux au ciel. Mon regard glissa au-dessus de son épaule, dans l’entrebâillement de la porte de sa chambre. Un vase trônait sur une commode. Ce fut la fleur à l’intérieur qui attira mon attention. Je me dégageai brusquement et m’avançai d’un pas vif.
— Non, ne…
Je repoussai le battant et m’immobilisai aussitôt. Je n’avais pas rêvé. La fleur en question était un lys azuré. Épanoui et aux couleurs resplendissantes, il se plaisait clairement dans son environnement. Un de mes lys. La coïncidence était trop évidente. Je pivotai vers le mage de Feu, interdite. Il se gratta la gorge, muet.
— C’était toi ? murmurai-je, sidérée
Le jeune homme cilla. La colère flamba dans mes veines.
— Oui.
J’étouffai un cri de rage. Tout ce temps, il s’était joué de moi.
— Tu connaissais mon nom depuis le début ?
Je n’escomptais pas de réponse de sa part. Folle de rage, je le bousculai d’un coup d’épaule et quittai l’appartement en trombe. Je refusai pourtant de gâcher ma soirée à cause de lui. Je rejoignis Lay au pas de course, tout en ruminant son aveu. Rhee m’avait menti dès les premières secondes où Ochoro l’avait introduit dans mon appartement. Car le mage de Feu qui m’avait aidé à Resh n’était autre que lui ! Pendant tout ce temps, il m’avait roulé dans la farine, comme s’il ne m’avait jamais rencontré auparavant.
— Un imprévu ?
J’observai fixement l’adolescent, magnifique dans son costume d’apparat blanc aux épaulettes dorées. Ses cheveux soigneusement peigné lui donnaient l’allure de l’élève modèle, fier et élégant.
— Non, me radoucis-je. Rien d’important. Prêt à t’amuser ?
Pour toute réponse, Lay esquissa un large sourire et je glissai mon bras dans le sien.
— Tu es sublimes, au fait, murmura-t-il.
— Pour ça, je ne peux que remercier mon formidable neveu.
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