Chapitre 25 Le venin de l'obscurité est plus insidieux que le poison
Je pénétrai dans l'appartement avec soulagement. Ces escaliers avaient manqué d'avoir ma peau plus facilement que ces maudites torsions de l'estomac. Je refermai la porte d'un coup d'épaule, la main pressée contre mon abdomen, un rictus grimaçant collé au visage.
Mon dos s'appuya de lui-meme contre le battant clos. Fichu voyage. Fichus mages de l'air. Atalaya n'avait pas tort. Il n'y avait pas d'explications à mon état qui se détériorait de minutes en minutes. Il était hors de question de l'impliquer davantage. Je comprenais de moins en moins l'initiative de Johnatan. Impliquer une étrangère dans notre combat, c'était insensé.
Atalaya avait frôlé la mort à Othien, affronter la magie de l'obscurité l'avait profondément bouleversée. J'avais tenté de lui éviter d'y songer, sans succès. Elle était plus têtue que les apprentis Sentinelles. La présence de la pyrie avait attisé ma méfiance, mais je n'avais pu que constater la sérénité qu'il avait apporté à la jeune femme.
Mon abdomen m'élança à nouveau. Je grognai et me pliai en deux. Mon ceinturon rejoignit ma cape au sol. Je m'affalai dans un fauteuil, le souffle haché. Ma tête bourdonnait, mes membres brûlaient intérieurement. Pourtant ma magie du Feu someillait et j'hésitais à l'appeler.
J'entendis vaguement la porte claquer. Atalaya était déjà de retour ? Je me redressai difficilement, les doigts crispés sur les accoudoirs à m'en blanchir les jointures. Je discernais les contours flous d'une silhouette plus petite que la jeune femme. Mes yeux refusaient de faire le point.
— Je t'ai vu traverser la cour, en sortant de cours. Vous venez de rentrer ?
Je reconnus le timbre du neveux de l'alliée de mon chef. Lay, si mes souvenirs étaient exacts.
— Oui, confirmai-je d'une voix pâteuse. Elle est avec son général.
Un nouvel élancement abrégea mes explications. Je sifflai douloureusement. L’adolescent se précipita près de moi.
— Qu'est ce qui se passe ? Tu es blessé ?
Je le repoussai d'une main qui manquait de volonté.
— Je vais bien, assurai-je sèchement. C'est passager.
— Bien sûr, railla le jeune garçon. Tu transpires comme un vône et tu baves en parlant. Qu'est ce que t'as mangé ?
Je le fusillai du regard. Aussi buté que sa tante, le gamin. J'ouvris la bouche pour lui répondre lorsqu'un haut le cœur me souleva l'estomac. Une bile visqueuse à l'odeur de rouille imprégna ma langue. J'eus un second spasme et je vomis un flot noir et nauséabond.
Lay s'écarta d'un bond. Il se rua vers la porte tandis que je régurgitais toujours plus de la substance infâme. La douleur irradiait chaque parcelle de mes intestins comme s'ils étaient rongés à l'acide. La gorge en feu, je ne parvenais plus à respirer correctement. Mes mains ne répondaient plus, mon corps convulsait sur le fauteuil recouvert de dégueuli.
À peine quelques minutes plus tard, qui m'apparurent des heures, l'adolescent revint flanqué de deux de ses camarades, aussi graciles que magnifiques. Des dryades.
— Il s'est mit à vomir subitement, je suis venu vous chercher tout de suite, s'écria Lay.
Les deux jeunes filles s'approchèrent auréolées de vert. Un bouclier de protection. Celle aux longs cheveux blonds prit mon pouls, ma température, puis entreprit de me dévêtir. L'autre, une dryade aux boucles rousses, positionna ses mains au-dessus de mon corps. Une lumière rosée s'en échappait. Elle me sondait. Elle se tourna ensuite vers le neveu d’Atalaya.
— Tu avais raison, murmura-t-elle, les yeux écarquillés de stupeur.
— Que peut-on faire, Alys ?
La jeune blonde leur jeta un coup d'œil. Elle avait retiré mon pantalon et achevait de délaçer ma cuirasse.
— Je ne suis pas caeryn. Myra aurait su, mais…
La seconde dryade s'approcha et lui posa une main sur l'épaule.
— Tu en es capable, assura telle. Nous sommes là pour t'aider.
— Va chercher Atalaya, Diamé, ordonna Lay. Je vais seconder Alys pour démarrer la purge.
La rousse acquiesça et détala dans le couloir. L'adolescent retroussa ses manches et se rapprocha de la jeune blonde.
— Dis moi ce que je peux faire.
— Je te ne demande pas comment tu es courant pour la purge.
Je devinai le malaise de l'adolescent au silence qui s'éternisa. J'étais incapable de prononcer un seul mot, mais je percevais entièrement mon environnement. Une sensation intolérable, de mon point de vue.
— Il ne vaut mieux pas, non, finit par reconnaître le jeune garçon.
Je crus voir la dryade esquisser un sourire amusé. Focaliser mon attention sur les gamins plutôt que le poids qui broyait ma cage thoracique me paraissait une bonne tactique.
— Trouve de quoi lui attacher les bras. Tu vas devoir le tenir. Il va souffrir, déclara alors la blonde.
Je voulus déglutir, mais je manquai de m'étouffer avec la bile gluante.
— Pas de geste brusque, le fanfaron, me tança la jeune fille. La prochaine fois qu'on vous proposera de l'aide, acceptez là. Ça vous évitera de mourir.
Lay lui jeta un regard alarmé.
— Son cœur va s'arrêter lorsque l'obscurité aura entièrement quitté son corps. Je vais devoir le relancer, indiqua calmement la dryade.
Son sang froid aurait pu m'impressionner si ses paroles ne m'avaient pas mortifié. L'adolescent attacha mes poignets sans que je puisse opposer de résistance.
— Maintenant sers toi de ta magie pour maintenir ses bras en l'air et ses jambes immobiles.
Il s'exécuta. Alys plaça ses mains au-dessus de mon torse et un torrent lumineux engloba mon corps. Je hurlai. La pression dans mon abdomen augmenta drastiquement. Mon sang s'embrasa. La nausée disparut aussitôt. Je perçus de nouveaux éclats de voix. Sans doute Atalaya.
Le rayon enfla, la souffrance redoubla. Je n'avais plus la force de crier. Mon esprit se nappa d'un cocon qui coupa mes sens du monde extérieur. Il glissait dans un sommeil profond, très profond.
— Pas maintenant ! s'écria Alys, il me sembla
Des tâches de couleur apparurent à travers mes paupières closes.
— Non, ne le touches pas !
— Occupez-vous du rayon, je m'occupe de le maintenir en vie, répliqua une seconde voix, plus affirmée...
Cette fois-ci, je reconnus le timbre d’Atalaya. Soudain, une forte aura se fracassa contre mes remparts mentaux. Ma conscience affleura brusquement la surface. Je perçu des mèches de cheveux effleurer ma pommette. Une odeur de cannelle se dégageait de la peau de la jeune femme. Elle saisit ma main dans la sienne et la plaqua contre sa poitrine. Son cœur battait sous ma paume.
— Regarde-moi.
Sa voix modula son injonction en harmonie chantée. J'obéis instinctivement. Ses iris violets s’ancrèrent dans les miens, véritables puits enchanteurs. Il me semblait qu'ils brillaient plus que d'ordinaire.
— Reste avec moi, m’intima la jeune femme d'une voix enjôleuse.
La douleur enfla alors, alors même que j'estimais ça impossible. Atalaya agrippa mon menton, me forçant à ne pas la quitter des yeux. À travers ces billes lilas, j'eus l'impression qu'elle distillait un antidouleur dans ma tête. La souffrance devenait supportable.
— Maintenant !
Tout s'arrêta subitement. La douleur, la compression, le cocon et mon cœur. Je plongeai dans le noir complet. Soudain, je me redressai sur le fauteuil, les yeux exorbités, le souffle court. Je crachais mes poumons, la main sur la poitrine.
— Comment te sens-tu ?
Une petite tête encadrée d'une cascade dorée pénétra mon champ de vision. Elle frôla mon cou d'une main auréolée d'une douce lumière azurée. L'autre dryade sonda à nouveau mon corps.
— Il est indemne, déclara-t-elle.
Alys se recula. Je remarquai alors qu'il n'y avait plus aucune trace de liquide noir. Je cherchai Atalaya du regard. Elle échangeait quelques mots avec les deux dryades. Lay s'approcha, les épaules basses.
— Tu peux parler ?
— Je crois que oui, bafouillai-je.
Ma voix rauque racla ce qui restait de mes cordes vocales.
— Je te dois des excuses, gamin, reconnus-je à voix basse.
La dryade blonde se détourna d’Atalaya, la main sur la hanche.
— Ça, c’est le moins qu’on puisse dire ! s’exclama-t-elle. J’ai laissé des instructions à Dame Atalaya concernant les précautions à prendre et les remèdes que nous laissons à ta disposition, Diamé et moi. Estimes-toi heureux de pouvoir respirer !
Atalaya posa une main sur son épaule.
— Tu feras une caelyn formidable, Alys, déclara-t-elle d’une voix douce. Ne le blâme pas, tu es sans doute remuée et je le comprends. Vous n’auriez jamais dues être mêlées à ces évènements, toutes les deux.
— Mais c’est le cas ! s’écria à son tour la jeune rousse. Pouvons-nous au moins avoir des explications ?
Je n’aperçus les deux dernières personnes que lorsque l’une d’elle s’avança dans le salon. Je reconnus la sous-directrice.
— Non, vous ne pouvez pas. Pas maintenant du moins. Et si votre aide nous a été précieuse, il est capital que vous gardiez pour vous ce que vous venez d’apprendre.
— Cette affaire ne concerne en rien les Hommes, maugréa Diamé. C’est notre héritage, à nous.
— C’est aussi celui des Mages, rappela Atalaya. Rentrez dans vos appartements à présent. Je vous promets que nous en reparlerons.
Alys acquiesça, puis s’inclina devant sa professeur, Ochoro et enfin le général. La jeune rousse voulu protester, mais sa camarade lui coupa la chique en lui fourrant dans les bras une bassine remplie de bric à brac médical.
— Allons-y, Diamé.
La jeune dryade entraina sa camarade à sa suite et quitta l’appartement. Lay, qui avait observé toute la scène, me héla.
— Tu devrais aller te reposer. Je vais t’aider à atteindre ton lit.
— Non, intervint Atalaya. Je vais m’en charger. Rentre chez nous avec Caleb et Ochoro.
Celle qui évitait mon regard depuis mon réveil, échangea un coup d’œil entendu avec ses supérieurs. Puis, elle prit congé d’eux avec un sourire encourageant et se tourna vers son neveu.
— Je te rejoins tout à l’heure, insista la jeune femme.
Lay soupira, elle embrassa le haut de son crâne en riant, l’enlaça brièvement et l’observa quitter à son tour le salon, silencieuse. Enfin, elle pivota pour se retrouver face à moi. Avachi sur le fauteuil, la chemise ouverte et en caleçon, je me redressai le plus dignement possible. La jeune femme ne parut pas en faire grand cas, ceci dit.
— J’espère que ça te servira de leçon, me tança-t-elle sévèrement.
— Qu’est-ce que t’as fait, toute à l’heure ?
Elle esquissa un sourire rusé.
— Moi ? Absolument rien. Ce sont Alys et Diamé qui t’ont sauvé, avec l’aide de Lay.
— Je n’ai pas rêvé ! protestai-je. Je t’ai entendu.
Elle s’assit dans le fauteuil en face du mien, les mains jointes derrière sa tête.
— Tu étais dans les vapes, Rhee, s’esclaffa la jeune femme. Si tu crois que rien qu’en chantant je t’ai soigné, c’est que ton cerveau t’en a auto-persuadé.
Elle se pencha en avant, les pupilles dilatées et un sourire charmeur aux lèvres.
— Ça signifie aussi que tu m’apprécies plus que tu ne le voudrais.
Je crus que je m’étouffai avec ma salive. Atalaya se leva d’un élan souple et vint se positionner dans mon dos. Ses mains glissèrent de mes épaules à la naissance de mes pectoraux. À quoi jouait-elle ? Ses lèvres effleurèrent le lobe de mon oreille.
— Si tu me mens encore une fois, je te laisse crever comme un crétin, est-ce assez clair ?
Un filet de sueur dégoulina dans mon dos. J’ignorai si elle attendait une réponse de ma part.
— Qu’est-ce que tu attends pour te lever ? s’exclama-t-elle quelques secondes plus tard. Je ne vais pas te trainer et tu as besoin d’un bon bain. Il doit être encore chaud.
Une moue taquine se peignait à présent sur son visage hâlé. Pourtant, j’aurais juré qu’elle ne plaisantait pas quelques secondes auparavant. J’aurais juré qu’en réalité elle avait craint pour ma vie, mais je m’abstins de lui en faire la remarque. Je passai un bras autour de son cou, le sien dans mon dos, et elle m’aida à avancer jusqu’à la salle d’eau. Un large baquet rempli d’eau fumante trônait au centre de la pièce. Une pile de linge propre était posée sur un tabouret en bois.
— À présent que nous avons la confirmation du danger qui menace ton clan, il va nous falloir agir sans tarder, déclara soudainement la jeune femme.
— Tu t’es décidée à quitter le nid ? souris-je
— Ce n’est pas de gaieté de cœur. Nous emmenons Lay avec nous et nous allons devoir procéder par étape.
— Comment ça ?
— Les mages de l’Air peuvent nous avoir pistés jusqu’ici. Ils nous ont bien tendu un piège aux gorges. S’ils sont parvenus à nous attirer là-bas, c’est qu’ils savaient pertinemment qu’il s’agissait de la garnison de l’Académie. Il va donc falloir les semer avant de rejoindre les Sheioff en toute discrétion.
Je ne pouvais qu’acquiescer. Même si la présence de Lay m’incommodait, je comprenais qu’elle refuse de s’en séparer.
— Quand partons-nous ?
— Demain soir se tient la fête de Solanus, fête annuelle où je me dois d’être présente. Nous partirons le lendemain. Caleb doit réunir des vivres nécessaires et déterminer notre plan de route.
— Pourquoi tu ne t’en charges pas ? notai-je
Elle souleva un sourcil, tandis que je m’adossai à un mur, les membres ankylosés.
— Parce que Solanus est ma dernière occasion de savourer la vie avant longtemps. C’est aussi ma dernière soirée à l’Académie. Je n’y reviendrai pas, Rhee. Je veux…
Elle n’acheva pas sa phrase et baissa la tête. Un sourire triste étira ses lèvres. J’avais conscience que nous l’arrachions à sa maison, à ses amis. Je cessai de la dévisager et me détournai, silencieux. J’ôtai ma chemise, puis délaçai les liens de mon caleçon.
— Je n’ai aucune envie de prendre un bain avec toi, tu vas réussir à te passer de ma compagnie ? me taquina le jeune femme dans mon dos
Je sentais son regard me brûler la peau. Je ricanai et pivotai à demi pour croiser ses yeux violets.
— Je ne te retiens pas, répliquai-je avec un clin d’œil.
Elle leva les yeux au ciel et s’éclipsa aussitôt.
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