Chapitre 24-2 Elle s'eveillera dans les ombres

— Atalaya !

À peine s’exclama-t-il qu’il se leva d’un bond et m’étreignit avec force. Le soulagement étira ses lèvres et égaya son visage harassé.

— Tu es revenue, grâce à Edonias !

J’éclatai de rire.

— J’ignorai que tu priais les Premiers, le taquinai-je.

— Assieds-toi.

Il me tira un fauteuil à côté de la cheminée éteinte. Je pris place tandis qu’il nous servait deux coupes de tano. Il s’assied sur le fauteuil en face du mien, après m’avoir donné mon verre. Je bus une gorgée revigorante. Je savourai la quiétude de l’instant, simplement heureuse d’être de retour à l’Académie.

— Alors ? Les nouvelles ? s’enquit mon ami, incapable de patienter plus longtemps

Je grimaçai, la coupe tournoyant entre mes doigts.

— J’ai demandé à Ochoro de nous rejoindre, l’avertis-je. Attendons la.

Il me jeta un regard alarmé.

— C’est si grave ?

Je pinçai les lèvres, hochai la tête. Il n’existait pas plus dramatique, de mon point de vue. Comme Ochoro ne se manifestait toujours pas, je glissai une main dans la poche intérieure de ma cape et en retirai une missive décachetée. Celle que j’avais tentée de faire signée par Rhee, sans succès. Il l’avait laissée sur mon lit, enrubannée soigneusement. Je l’avais remballée parmi mes affaires de rage, sans même prendre la peine de l’ouvrir.

— C’est l’accord du Directeur ? s’enquit Caleb

J’acquiesçai, mais nuançai aussitôt ses espoirs, alors qu’il dépliait déjà la missive.

— Je préfère te prévenir, il n’a pas…

Les mots s’amalgamèrent sur le bout de ma langue lorsqu’il tourna le morceau de papier vers moi, face visible. Une signature en lettre de feu authentifiait l’accord en bas à droite. Je me rencognai dans mon siège de velours, interdite. Ainsi donc, Rhee avait signé. Je réprimai un rire ahuri et pris plutôt une autre gorgée de tano.

Caleb rangea le précieux accord dans un tiroir de son bureau. Ochoro pénétra à cet instant dans la pièce. Je me levai pour qu’elle me prenne à son tour dans ses bras. Elle expira longuement dans le creux de mon cou, ses cheveux blonds chatouillaient mes pommettes. Ce qu’elle allait me manquer.

Elle se détacha à regret, replaça une mèche azurée derrière mon oreille et m’observa de la tête au pied d’un œil critique. La jeune femme adressa ensuite un signe de tête à Caleb en guise de salut, qu’il lui rendit avec un sourire en coin. Puis, elle se servit elle-même un verre de remontant et s’assied sur l’accoudoir de mon fauteuil, après avoir refusé que le général lui en approche un.

— Si nous sommes réunis, j’imagine que les nouvelles ne sont pas bonnes, devina la jeune femme.

Ses iris noisette s’ancrèrent dans les miennes. Je n’eus pas besoin de mots, en réalité. Elle avait compris. Un sourire triste étira ses lèvres et elle glissa sa main dans la mienne.

— Non, en effet, confirmai-je sur un ton lourd de sens. Je vous épargne les détails du voyage. Ce que nous avons découvert à Othien, c’est le pire des fléaux.

J’échangeai un regard entendu avec mon amie, déposai mon verre sur la table basse, puis me levai.

— Il est temps que je sois tout à fait honnête avec toi, Caleb, déclarai-je.

Le général fronça les sourcils, redoutant le pire.

— Tu n’es pas obligée.

— Je n’ai jamais été aussi sûre de mon devoir depuis que j’ai mis les pieds à Vëonar, assurai-je. Tu as le droit de savoir.

J’inspirai profondément. Puis, je libérai une à une, toutes les entraves que j’imposais quotidiennement à ma magie de la terre afin de la dissimuler. Mon aura fut délivrée la première. Elle se déploya dans la petite pièce comme les ailes d’un papillon. Invisible, mais perceptible. Elle fouetta le visage d’Ochoro et de Caleb qui chancelèrent sous l’impact psychique.

Puis, j’appelai ma magie à moi, la dirigeai jusque mes paumes qui s’illuminèrent d’une douce lumière verte. Un lys azuré naquit au creux de chacune de mes mains. Ils s’élevèrent dans les airs tandis que des nervures dorées sillonnaient ma peau, jusque mon visage.

Ochoro m’observait, subjuguée, mais pas effrayée. Le général, lui, déglutit, impressionné. Il n’osait plus esquisser un geste. Je ne poussai pas plus loin ma démonstration et rappelai ma magie à moi. Seuls témoins, les deux lys que je tenais dans mes mains et que je tendis à mes deux amis. Ochoro saisit délicatement la tige tandis que le général l’observait, craignant de l’abîmer.

— Mon nom est Atalaya de Tirawan, dévoilai-je. Je suis l’Héritière du clan des Tamar.

Les pupilles chocolat du général s’éclairèrent.

— Tu es une mage de la terre ! s’exclama-t-il

Je confirmai d’un sourire.

— Ce qui signifie que ta famille, l’attaque…, c’est de ton clan dont tu parlais ? réalisa l’homme

Mon visage se rembrunit soudain. Mon sourire vacilla.

— Tu es donc la fille d’un mage de feu, n’est-ce pas ?

Surprise par sa perspicacité, ma réponse fusa automatiquement.

— De leur chef, pour être exacte.

Il siffla, fasciné. Puis il prit le lys d'un geste précautionneux.

— Si j’avais su de quel bois tu étais faite, j’aurais peut-être moins balisé, ricana-t-il.

Je le laissai assimiler l’information, puis ramenai la conversation au sujet principal.

— Si je te l'avoue aujourd'hui…, débutai-je. 

— C'est parce que tu t'en vas. 

Je dévisageai attentivement mon ami, le général. Il but sa dernière gorgée de tano. Je ne parvenais pas à confirmer sa déduction. Peut-être parce que je n'avais pas envie de quitter l’Académie. 

— Il y a quelque chose qui s'est réveillé, à Othien. Nous avons eu de la chance d'en ressortir vivants. 

Ochoro se redressa à ces propos. 

— Vous vous souvenez de vos contes d'enfant ? 

— Tu veux parler de la légende des Premiers ? s'enquit la jeune femme

J’acquiesçai. 

— Ce n'est pas une légende, pour nous, les mages. C'est un pan de notre histoire. Il y a plusieurs millénaires, les Premiers régnaient sur la terre mère, aux côtés des Premières. Leur règne dura longtemps, jusqu'au jour où le Prince des Airs leva une armée contre ses semblables. 

— Si je me souviens bien, sa révolte a échouée, commenta Ochoro, attentive. 

— Oui, confirmai-je, même si ce n'est pas l'étouffement de sa rébellion qui nous intéresse aujourd'hui, mais plutôt ses prémices. Savez vous ce qui a incité le Prince des Airs à désirer le pouvoir ? 

Caleb leva le menton en direction de la sous directrice, l'incitant à répondre pour eux deux. 

— Il a signé un pacte, il me semble, avança Ochoro, dubitative. 

— En quelque sorte, nuançai-je. Disons qu'il a attiré à lui toute la puissance qu'il a pu drainer. Il a puisé dans ses émotions comme dans l'essence de la terre mère, pour servir un destin funeste. C'est ainsi qu'apparut la magie de l'obscurité. 

Caleb et Ochoro se murèrent dans un silence introspectif. Le général intervint en premier. 

— C'est ça que tu as vu à Othien ? 

Je hochai gravement la tête.

— La magie de l'obscurité s'est réveillée. Ce qui signifie que quelqu'un l'a appelé. Ce n'est pas non plus une coïncidence. Cette personne est liée aux mages de l'air qui veulent ma tête. 

Ochoro tourna sa tête pour m'interroger du regard. 

— Est ce que ça représente un danger pour les autres peuples ? 

J'esquissai un sourire amer. 

— C'est exactement pour cela que nous sommes réunis en ce moment. Quel que soit le but de ce mage de l'obscurité, il ne se contentera pas d'exterminer les mages, il va s'attaquer à Faiz, à Vëonar et sans aucun doute à l’Eldöryan ! 

— Il pourrait déclencher une guerre ? 

Je me souvins des ombres dont avait parlé Graham à Resh.

— Il sème déjà le trouble au cœur de la nuit, répliquai-je à l'intention du général. M'est avis que le Draasni n'est pas si blanc non plus. 

Il ricana. 

— Ça, ça ne me surprendrait pas ! 

La jeune femme crocheta ma main. 

— Que vas-tu faire ? 

— Ce qui est devenu inévitable, soupirai-je. Les Sheioff doivent être prévenus et ni moi ni Lay ne sommes en sécurité ici. Nous devons disparaître si je veux espérer vaincre l'obscurité. J'ai besoin d'informations. 

Ochoro me dévisageait, un sourire triste pour seul témoin de sa peine. La résignation se lisait dans ses prunelles noisettes. 

— Quand pars-tu ? 

— J'assisterai à Solanus. Daisyel m'y a donné rendez-vous, précisai-je. Nous partirons le lendemain. Je préfère ne pas vous indiquer notre destination.  

Caleb acquiesça, pas dupe. Mieux valait qu'aucun d'eux deux ne sache où nous nous trouverions. Je serrai la main d'Ochoro dans la mienne, le général pressa affectueusement mon genoux. Sans doute était-ce notre dernière discussion avant mon départ. 

La porte du bureau s'ouvrit avec grand fracas. Une adolescente à la chevelure de feu, s'enfouffra dans la pièce. Ochoro se leva aussitôt, alarmée.

— Diamé, que se passe-t-il ?

La jeune dryade scruta chacun d'entre nous jusqu'à croiser mon regard. 

— C'est Lay qui m'envoie, il faut que vous veniez à la chambre de votre ami. C'est urgent. Alys est avec eux. 

Une lueur de panique dansait dans ses iris de la même teinte que ses boucles. Ses lèvres ne prononcèrent pas un mot de plus, mais je devinais la question silencieuse qu'elle brûlait envie de poser. Ce que je craignais était en train de se réaliser. Je me ruai à la suite de Diamé, Caleb et Ochoro sur les talons.

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