Chapitre 23-2 Son sang coule dans tes veines
Je percevais à peine le silence tant je cogitais fiévreusement. Jamais je n'avais rencontré pareille magie, mais l'intervention de la flamme d'Hélias avait conforté ma théorie. Tyris m'avait enseigné les prémices de son apparition. Le mythe du Prince déchu et son combat contre les Premiers. Le sacrifice d'Irawan, la fille d'Isadora et d'Hélias pour chasser cette ombre de la terre-mère.
Cette brume opaque et létale, pourvue d'une volonté propre, bien que relative. Nous venions de nous frotter à la magie de l'obscurité. Notre survie relevait du miracle. J'avais muselé mon angoisse au fond de mon esprit, mais elle menaçait de me submerger à chaque instant. Le danger qui nous guettait à Othien n'avait rien à envier au piège tendu à Ports Bahiri.
Je devais l'annoncer à Rhee. J'allais de toute façon devoir prévenir Ochoro et Caleb. La magie de l'obscurité réveillée, un mythe millénaire venait de faire surface. Un mal qui avait engendré la chute du règne des Premiers et la disparition des Premières.
— Qu'est ce que c'était que cette brume ?
Je relevai brusquement la tête. Rhee se tenait devant moi, la boule de lumière loin de mon visage.
— Je vois bien que ça te préoccupe, j'entends les rouages des tes méninges d'ici, reprit-il, un poil taquin.
— Tu n'en as aucune idée ? Comme de ce que renferme réellement cette statue ?
Il inclina la tête sur le côté.
— Mis à part un passage secret et un mythe vieux comme le monde ?
Sa plaisanterie tomba à plat.
— Vieux comme le monde, oui, martelai-je d'une voix grave. Réfléchis et je suis sûre qu'une idée lumineuse t'éclairera.
Il saisit mon poignet avant que je ne le dépasse une seconde fois.
— Ce n'est pas un jeu, Atalaya, me reprocha le jeune homme, les lèvres pincées. Ce ne sont pas de vieilles légendes qui se réveillent sans raison.
Je me dégageai brutalement.
— Je ne suis pas naïve ! Les légendes, comme tu dis, viennent de nous sauver la vie !
Rhee esquissa une moue dubitative.
— Tu parles du feu d'Hélias ? Il ne s'est pas manifesté depuis des siècles.
Je me rapprochai de quelques pas et le toisai de toute ma hauteur.
— J'ai failli y rester, je crois que je peux affirmer que c'est bien lui qui m'a sauvé la peau.
Rhee se mura dans le silence de longues secondes. Il me dévisageait sans exprimer la moindre émotion. Je pouvais deviner sa ténacité au fond de ses prunelles. Puis, il se pencha à son tour. Je sentais l'odeur de sa peau, un effluve boisé et frais.
— Tu baignes dans les contes depuis ton enfance, susurre-t-il. Et pas n'importe lesquels. Qu'est ce qui t'attire tant sur l'histoire des Premiers ? Les hommes ont enterré ces souvenirs depuis bien plus longtemps que leur règne s'est effondré.
Mon assurance se craquela à la surface. Mon visage se crispa. Je reculai d'un pas, espérant sans doute me soustraire à son regard. Sa perspicacité me glaça le sang.
— Ce doit être un comble que je connaisse davantage votre histoire que toi, dans ce cas, sifflai-je.
Rhee écarquilla les yeux. Ils évitaient les miens. Soudain, un doute me frappa. Il ne pouvait m'avoir aussi bien cerné sans s'être rendu compte de la gravité de la situation.
— Tu le sais, n'est ce pas ? soufflai-je, sidérée de m'être laissée bernée
Il frôla mon épaule. La boule de lumière illumina le mur. Une immense flamme violette tracée à l'encre indigo s'étalait sur toute sa hauteur. Le mage s'arrêta quelques pas plus loin. Il me dissimulait son visage. Sa voix grave s'imprégna dans toutes les fibres de mon être.
— Tu l'as dit toi-même. La mort a manqué de te faucher. Notre histoire t'a conduite aux portes de la mort, aujourd'hui. Notre chef ne m'a pas envoyé vers toi pour que je lui ramène ton cadavre.
Je tressaillis, mal à l'aise. Rhee m'offrait une occasion en or de lui révéler mon identité. Pourtant, je n'en ressentais pas l'envie. Je préférais qu'il me considère comme une jeune femme douée de magie, qu'une Héritière déchue. D'autant que je n'avais pas côtoyé de Mage de Feu depuis plus de quinze ans. La méfiance enracinée en moi me poussait à retenir Rhee loin de mes secrets.
Je le regardai donc reprendre sa marche sans répliquer. Le couloir déboucha bientôt sur une pièce plus large, pourvue de flambeau. La sphère lumineuse se dissipa dans un souffle. Rhee passa sa main sur la flamme. Elle s'incurva sans qu'il ne parvienne à seulement l'effleurer. Je dissimulai un sourire. La flamme d'Hélias guidait notre chemin.
Les deux flambeaux encadraient une porte en bois simple. Je m'avançai la première cette fois. L'air libre devenait un besoin urgent. La porte se distordit comme le marbre. Je la traversai d'un pas.
De l'autre côté, une clairière baignée par les rayons du soleil couchant nous accueillit. Un battement d'aile détourna mon attention du jeune homme qui venait de me rejoindre.
— Riv.
La pyrie me toisa de ses pupilles dorées, ses longues ailes rouge vif déployées. Il les ramena contre lui d'un mouvement fluide. Puis, son bec s'inclina et il glatit gaiement. L'émotion qui tétanisait mes membres me délesta tout à coup. Je me ruai vers la pyrie et me blottit contre elle.
Ses plumes douces comme de la soie chatouillaient mon menton. Riv replia sa tête et son bec se posa sur le haut de mon crâne. Sa joie retentissait à l'intérieur de son esprit. J'avais conscience de ressembler à une enfant à cet instant. Mais je m'en fichais. Riv était le premier que je retrouvais enfin après le massacre de mon clan. J'avais cru ne jamais le revoir, lui aussi.
Contre lui, je me sentais en sécurité. Pour la première fois en cinq ans. Je m'écartai doucement, le souffle haché. Ses plumes luisaient d'un éclat particulier. Riv rayonnait comme un soleil. Je caressai tendrement sa tête, incapable de prononcer un mot.
— Pendant que tu roucoules avec le rapace, je vais chercher de la viande.
Les pas de Rhee s'éloignèrent dans mon dos. Tant mieux, je n'avais guère envie de me retrouver à nouveau piégée par ses questions. Je relevai les yeux vers la pyrie.
— C'est Daisyel qui t'envoie ?
Riv cilla, puis il se dandina sur ses serres. Je n'étais pas en mesure de traduire. Je l'observai alors attentivement. Je remarquai un éclat argenté à la base d'une de ses serres. Je m'accroupis vivement et décrochai délicatement le cylindre d'argent. Celui-ci ne recelait aucune importance, j'accordai bien plus d'attention au morceau de papier froissé qui tomba au creux de ma paume.
" Ma chère sœur,
Je prie Hélias pour que ton cœur ne saigne pas plus que tu ne peux endurer. Il fallait que tu saches. Que tu comprennes.
Callie est morte pour toi et pour tout ce que tu pourras accomplir. Elle est morte pour te protéger d'elle. De ce que cette chose est capable d'infliger. Peut-être auras tu compris aujourd'hui.
Pardonne moi de ne t'avoir rien dit. Je ne pouvais pas. Pas sans t'avouer ce qui m'attend. Sache que tu n'es pas seule. Jamais.
Riv veillera sur toi et ton "accompagnateur" jusqu'à ton retour. Rendez vous au soleil.
Sois prudente,
Ton frère. "
Je serrai les dents, inspirai profondément. Il savait. Il savait que la magie de l'obscurité s'était réveillée d'un sommeil vieux de plusieurs millénaires. Et qu'est ce qu'il l'attendait ? Daisyel me promettait que je n'étais pas seule. Pourtant, je ne m'étais jamais sentie à ce point démunie.
Une pression légèrement piquante sur mon épaule attira mon attention. Le grand duc s'y était juché. Il hulula, les yeux fixés sur le ciel violacé. Je lissai machinalement ses plumes. De l'autre côté de mon visage, le bec de Riv se pressa contre ma pommette. Un petit cri perça le silence de la nuit tombante.
À mes pieds, un écureuil à la queue touffue me tendait une feuille large et épaisse. Une substance mordorée luisait à la lueur des plumes de la pyrie. Du miel d'arbat, de grosses abeilles au dard indigo irisé. Elles produisaient cinq fois plus du précieux nectar que leur cousines présentes sur le reste de la terre mère.
De grosses lucioles rejoignirent bientôt notre petit comité. Je saisis délicatement la feuille et l'inclinai au dessus de ma bouche. Le miel au goût de fleur glissa dans ma gorge irritée par la brume infernale. Pendant ce temps, l'écureuil entreprit de relever le bas de mon pantalon. Je sifflai de douleur lorsque ses petites griffes effleurèrent ma peau. Je risquai un œil par dessous mon bras relevé.
Des marbrures recouvraient ma peau à l'endroit où le serpent d'ombre l'avait broyée. Dès que les traces furent suffisamment visibles, les lucioles y pressèrent leur dard. J'étranglai un cri à leur contact brûlant. Pourtant, la douleur se dissipa à la faveur d'une douce onde anesthésiante. Lorsque les bestioles s'éloignèrent, leur bourdonnement résonnait à mes oreilles, plus aucune trace de la marque de l'obscurité.
Je les remerciai d'une onde magique pétrie de reconnaissance. J'agitai mes doigts et un courant d'air s'enroula autour de mes petites guérisseuses. L'écureuil se lova dans le creux de mon bras et je m'assis contre le flanc de Riv qui se coucha pour s'enrouler autour de moi. Sa chaleur intérieure réchauffa mon âme plus que mon corps. Le grand duc se percha sur une branche plus haute. Je sombrai dans un sommeil sans rêve, bercée par les battements de cœur de la pyrie.
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