Chapitre 22-1 Ne renie pas le passé par vengeance
Les troncs noueux s’élevaient dans les airs, au milieu de taillis foisonnants. De multiples branches s’entrecroisaient au-dessus de nous. J’humai l’air. L’humus recouvrait le sol de la sylve et dégageait une odeur épicée. Je m’avançai la première mue par un besoin impérieux. Le vent gazouilla à mon oreille un murmure de bienvenue. Le mage de Feu me rejoignit à son tour.
— À partir d’ici, laisse-moi ouvrir la marche. Othien peut se montrer capricieuse.
J’acquiesçai, trop heureuse de me dérober à son regard. L’esprit de la sylve papillonnait en périphérie du mien. Il me suppliait de m’ouvrir à elle. Je refoulai l’envie irrépressible d’entrer en résonnance, ou même de déployer ma magie de la terre afin de communiquer avec Othien. Il était primordial qu’aucun mage de l’Air ne détecte ma présence ici. Il n’était pas utile non plus de révéler mon identité à Rhee.
Mon compagnon pénétra sur les terres de son clan avec un soulagement non dissimulé. Ce périple à Vëonar devait être son premier pas en dehors de sa forêt, excepté une éventuelle excursion au Gouffre de Dhraein, où qu’il soit. Ses épaules s’affaissèrent légèrement et un discret sourire étira ses lèvres pleines. Sa démarche elle-même était plus souple, plus détendue.
Je le suivis, un nœud au ventre. Fouler le sol de la sylve de l’ouest était à double à tranchant. À la fois un bien être profond qui me remuait profondément et un écho douloureux d’un passé révolu. Othien était une sylve des mages et loin d’une inconnue pour moi. J’étais née ici. Le pire était de la repousser alors que je percevais clairement ses intentions. La dernière fois que la sylve s’était connectée à moi, je prenais la fuite pour porter secours à mon clan. Elle me savait en danger.
Je ressentais en ce moment toute l’inquiétude qu’elle manifestait. Elle savait. Cela était inévitable. Face à mon silence buté, je pressentis une nouvelle tentative, par un autre billet. Distraite par l'insistance d'Othien, je trébuchai sur une branche en travers du chemin. Rhee se retourna. Il esquissa une moue moqueuse.
— Je te croyais adaptée à tous les terrains, plaisanta le jeune homme. Besoin d’aide ?
J’esquissai le sourire le plus mielleux dont j’étais capable et refusai placidement sa main tendue. Il reprit son chemin en ricanant. Je savais le chemin jusqu’au village encore long. Nous avions laissé les chevaux au village, peu à l’aise dans une forêt aussi dense. À pied, nous avions cinq heures de marche devant nous.
Peu à peu, l'atmosphère se modifia. La terre s'imprégniait sous nos chaussures, la chaleur du soleil prise au piège dans la canopée se diffusait dans l'air. Ma cape fut la première à céder. Je la retirai dans un grognement et la jetai en travers de mon avant bras. Mes cheveux collés à ma nuque par la transpiration furent les seconds à faire les frais de la serre ambiante. Je les tressais avec un soupçon de magie de l'air.
Puis, je compris. La sylve déviait chaque courant d'air qui sillonnait la forêt. Elle me privait de vent. Je soupirai, excédée, tandis que je m'adossais quelques secondes au tronc d'un chêne millénaire. J'agitai sèchement mon poignet. Un nuage de glace fondit au-dessus de ma tête et libéra une pluie de gouttes glacées. Ma température corporelle à nouveau régulée, je trottinais à la suite du mage de Feu qui disparaissait derrière un taillis.
— Tu n'as pas l'air si heureux de retrouver ta terre, commentai-je, arrivée à sa hauteur.
Il grimaça et s'immobilisa, sa main retenant une branche épaisse.
— Tu confonds avec les mages de la Terre, railla-t-il. Nous ne sommes pas si sensibles. La sylve n'est pas plus notre "maman chérie" que nous passons nos journée à lui offrir des fleurs.
Je marquai un temps d'arrêt, presque certaine n'avoir mal compris ses propos.
— Pardon ? m'étranglai-je
Rhee soupira et se pinça le nez, les lèvres pincées.
— Cesse de nous mettre tous dans le même panier, Atalaya ! s'irrita le jeune homme. Nous ne vivons pas dans le meilleur des mondes, à l'abri de tout conflit. Tu n'es pas la seule à savoir te battre.
Il inclina son visage, son nez à quelques centimètres de mon front.
— Quoi que tu prétendes, tu es loin de connaître quoi que ce soit sur les mages.
D'offusquée, j'étais passée à une colère froide, bouillonnante. Je serrai les poings, déterminée à ne pas décharger ma colère vulgairement.
— J'ignore ce qui te prend, mage de pacotille, susurrai-je, mais tu viens de commettre une erreur qui va te coûter cher. N'oublie pas une chose, c'est la vie des tiens qui dépend de toi, et tu viens de ruiner vos chances.
Je détournai mon regard vers la boule de lumière qui grossissait au creux de sa paume. Mon instinct me poussa à riposter la première. Mes doigts se refermèrent sur les siens. Un bouclier d'eau emprisonna l'onde lumineuse dans son carcan inextricable. Le jeune homme abasourdi se reprit aussitôt. Une flamme naquit au creux de son autre paume.
Mon cœur rata un battement. Mon regard vissé sur la langue ardente chassa toute pensée rationnelle de mon esprit. Dumë percuta avant moi. Une décharge de douleur se répercuta dans mon crâne. Je titubai et reculai. Je poussais un gémissement suivi d'un grognement rageur. L'avertissement mental devança ma peur. Quelque chose clochait.
Dumë ne s'était jamais trompée. Je l'avais toujours écoutée. Cela ne changerait pas aujourd'hui. Je bondis sur le mage de Feu furibond. Mon avant bras heurta le sien. La flamme mourut sous la force d'un courant d'air synchronisé. Je plaquai ma main contre sa bouche entrouverte, déterminée.
Un éclair de surprise traversa ses iris émeraude. Puis, ses yeux se révulsèrent et il chuta en arrière. Je le rattrapai et l'allongeai en douceur sur l'humus de la forêt. Un pointe de culpabilité m'assaillit. Ma magie de l'air venait de l'endormir après l'avoir privé d'oxygène. Je venais de prendre une décision radicale, mais on ne peut plus nécessaire.
Ma main s'attarda sur sa pommette. Sa peau douce glissait sous la pulpe de mes doigts. La colère brute qui avait envahi ses prunelles si limpide d'ordinaire avait déserté son visage. Essoufflée par la mise en sommeil de son esprit. Rhee devait avoir respiré quelque chose dans l'air. Poison ? Philtre ? Cela ne signifiait qu'une seule chose. De la magie de l'air était à l'œuvre. Au village où en ce moment même, autour de nous, elle en était la responsable.
Je me relevai lentement, attentive au moindre mouvement. J'inspirai profondément. Je n'étais peut être pas prête à tomber le masque, mais rien ne m'empêchais d'enfin écouter Othien. Je jetai un dernier coup d'œil au mage de Feu étendu au sol et grimacai. Je ne pouvais décemment pas le laisser ainsi à la merci de nos ennemis. J'agitai un doigt, puis m’élançai sans plus attendre au cœur de la sylve de l'ouest.
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