Chapitre 21 Le Feu ne se taira jamais en toi
Une serviette enroulée autour de mes hanches, je poussai la porte de la salle d'eau. Des volutes de fumée suivirent mon sillage. Je secouai mes cheveux afin de dégager les quelques mèches rebelles qui entachaient ma vision. Mon regard cilla sur la jeune femme allongée sur son lit, sa jambe indemne relevée. Un étrange bâtonnet marron tournoyait entre ses doigts fins. De temps en temps, elle l'approchait de son visage et humait son parfum. Un sourire taquin étira mes lèvres.
— Tu devrais aller te laver, intervins-je. Sinon les draps vont sentir…
— Mêle-toi de tes oignons, cingla-t-elle.
Le bâton disparut dans sa tunique et elle se redressa souplement. Je m'assis tranquillement sur mon lit, en face d'elle. La jeune femme me fussilla du regard, je ricanai en retour. Elle démarrait au quart de tour et je m'amusais comme un petit fou. J'ancrai mon regard dans le sien, à la couleur si singulière. Elle céda la première.
Je suivis des yeux le nouvel objet de son attention. Un rouleau de papier scellé par un sceau sur la table basse. Un pli soucieux barra mon front. Atalaya le désigna du doigt rapidement.
— Si tu pouvais signer en bas, c'est une formalité.
Je lui jetai un coup d'œil interrogateur qu'elle ignora royalement. Je me relevai donc, sans oublier de soupirer, attrapai la missive et m'affalai à nouveau dans les draps de coton douillets. Je depliai le papier, parcourus les quelques lignes. Une grimace déforma mon visage.
— Tu ne t'attend tout de même pas à ce que j'usurpe les droits de mon chef de clan ? m'exclamai-je
Atalaya leva les yeux au ciel.
— C'est un accord bidon ! Il est déjà caduque, rétorqua-t-elle, un brin agacée. Il n'y aura jamais d'accord avec un clan en fuite. Clay résiliera le traité dès qu'il en aura connaissance !
Je soulevai un sourcil dubitatif. La jeune femme grommela de nouveau, puis croisa les bras.
— Ce morceau de papier n'est la que pour légitimer mon déplacement, c'est à dire moi.
— Ce qui signifie que tu seras virée si je ne signe pas ? précisai-je.
Elle me jeta un regard d'avertissement. J'esquissai un sourire de défi. Je levai légèrement la main qui tenait la missive au dessus de ma tête. Ma paume se mit à luire. La jeune femme réagit en un quart de seconde. Elle me sauta dessus, bloqua mon poing dans le sien, glacé et ecrasa ma gorge du tranchant de sa main, ses jambes bloquant mes jambes et mon autre bras.
— Si tu crames cet accord, je te fume, siffla-t-elle à quelques centimètres de mes lèvres, une lueur assassine dans ses prunelles violettes.
Surpris par sa force, je choisis de ne pas riposter. C'est qu'elle en a à revendre, songeai-je, abasourdi. Je ravalai ma magie du feu, à peine alarmée. Pourtant, Atalaya ne paraissait pas décidée à me relâcher. Elle me scrutait attentivement, les lèvres pincées en signe de méfiance.
Une odeur de rouille assaillit soudain mes narines. Je glissai doucement ma main sur sa cuisse blessée. Elle était poisseuse de sang. Son mouvement brusque venait de raviver l'hémorragie. La jeune femme grogna, puis relâcha légèrement son étreinte. Je la dégageai d'un mouvement doux et la soulevai pour la porter sur son lit. La missive glissa sur les draps.
— Tu devrais me laisser regarder. Il va bien falloir recoudre.
— Contente de toi de nettoyer. Et ne recommence pas.
Je ne relevai pas sa dernière remarque. La bande imbibée de sang et de cataplasme acheva sa course à la poubelle. Je jetai un coup d'œil à la Thessar lorsqu'elle commença à retirer son pantalon.
— Tu ne me lâchera pas la grappe tant que tu n'auras pas personnellement constaté qu'il n'y aucune raison de perde ton temps, non ? m'invectiva-elle. Et tu vas râler parce que tu ne l'examineras pas correctement si je garde mes vêtements, j'ai tort ?
Son irritation m'amusait, mais je me gardais bien de le lui signifier. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je m'aperçus que j'étais en tort. Après avoir nettoyé correctement la plaie, je fus forcé de convenir qu'elle n'était ni profonde ni infectée. Le sang cessa de couler rapidement. Elle cicatriserait en quelques jours. Atalaya esquissa un sourire satisfait, puis attrapa ses affaires dans ses bagages et s'enferma dans la salle d'eau.
Je reportai mon attention sur le morceau de papier qui gisait toujours sur mon lit. Bien sur que je comprenais pourquoi elle s'était mise en colère. Si son travail dépendait d'une signature, sa situation n'était pas la seule dans la balance. Son neveu était sous sa protection. Je posai les yeux sur l'espace vide en bas de la page.
Sur une impulsion, je levai un doigt et inscrivis une signature en lettre de feu. Son Directeur ne devait pas connaître celle de Johnatan, si ? Pas moi, en tout cas. Puis, je le roulai sur lui même, dénichai un ruban dans une commode de la chambre de l'auberge et le nouai autour. Je déposai ensuite la missive en évidence sur l'oreiller de l'alliée de mon chef.
Nous reprîmes la route à l'aube, le lendemain matin. Atalaya nous fit contourner largement la ville de Diell. Mal-famée d'après ses dires, elle risquait de grouiller de mages de l'air. Elle conduisit les chevaux sur les chemins de rase campagne, rarement pavés et souvent tronqués par de petits bois. Nous ne croisâmes personne ou presque. L'occasion rêvée pour obtenir les réponses aux questions qui me taraudaient depuis la veille.
— D'où vient la Pyrie d'hier ? m'enquis-je subitement
Elle me jeta un premier coup d'œil sans répondre. Puis son regard se porta sur le ciel d'azur, désert. Une lueur de déception traversa ses prunelles violettes.
— Les pyries vivent de l'autre côté des montagnes. Ce sont des oiseaux du soleil, déclara-t-elle simplement.
— Que fais-elle ici ? m'exclamai-je
Elle sourit, amusée.
— Il. C'est un mâle. Son nom est Riv.
— Tu le connais ? la coupai-je à nouveau
Cette fois, elle pinça les lèvres, agacée. Elle reprit après un léger silence.
— Quant à ce qu'il fait ici, à Vëonar, c'était évident.
Je haussai un sourcil railleur.
— J'ai bien compris qu'il nous avait sauvé la vie, mais j'imagine que quelqu'un était à l'origine de son intervention.
— Effectivement, c'est un allié qui l'a envoyé.
— D'où le connais-tu ?
Ses mains se resserèrent nerveusement sur les rênes.
— Ça remonte à l'époque où j'avais une famille.
Je n'insistais pas. Mon but n'était pas de remuer le couteau dans une plaie ouverte depuis des années.
— Les pyries vivent donc de l'autre côté des montagnes ? la relançai-je plutôt
Elle esquissa un nouveau sourire taquin, ses iris violets pétillaient d'espièglerie.
— Tu n'es pas beaucoup sorti de ta forêt, je me trompe ?
— Et toi tu en sais beaucoup pour une Thessar, je me trompe, répliquai-je.
Son sourire fondit comme neige au soleil. Elle détourna le regard, tandis que j'observais attentivement son profil. Sa mâchoire se carra autant qu'elle se mura dans le silence. Sa peau hâlée brillait doucement sous la caresse de l'astre su jour.
Ma question n'était pas anodine. Depuis notre rencontre à Resh, et cette course poursuite à travers la ville, un doute s'était instiller dans mon esprit. Atalaya n'était pas humaine, encore moins une Thessar. Peut être à demi. Sa connaissance impressionnante sur les mages et les mineurs dépassait de beaucoup celle des Hommes en général. Sa maîtrise de la magie, bluffante, restait incompréhensible.
Le regard de la jeune femme papillonnait des champs à l'encolure de sa monture. Le vent chargé d’épillet fouetta notre visage. Il souleva les cheveux d’ébène d’Atalaya pour les rejeter derrière son épaule. Un effluve de cannelle s’en échappa. Une de ses mèches bleues refusa de se soumettre et glissa devant ses yeux.
Son apparence même détonnait des autres femmes de Vëonar. De ses yeux violets, couleur que je n’avais remarqué chez personne, à sa chevelure d’encre ornée de trainées d’azur, tout témoignait de l’exotisme de ses origines.
— Cesse de me reluquer ainsi, s’exclama-t-elle soudain. Je ne suis pas un bout de viande et je vais finir par croire que ton feu intérieur t’a ramolli le cerveau.
Surpris par sa véhémence, j’éclatai de rire. Cette femme possédait un tempérament au moins aussi tranché que celles de mon clan.
— Je ne suis pas venue à l’Académie pour déballer ma vie au premier tombeur des campagnes venu, maugréa-t-elle plus bas.
Une exclamation indignée m’échappa, ce qu’elle ne manqua pas au vu de la moue taquine qui dérida ses traits. La jeune femme qui dansait dans une taverne de Resh avec une voix ensorcelante se détachait de sa carapace dans ce genre de moment. Lorsqu’elle baissait sa garde, si bien érigée.
— Les pyries sont des créatures de légende présentes dans bien des lieux, à notre époque. En peinture accrochée au mur de la bibliothèque de Dinaba, capitale des Terres d’Aquib, à Faiz. En sculpture dans un ancien temple à la gloire des Premiers. Brodé sur une tenture murale dans la salle du Haut-Conseil à Tyyrs. Illustré dans d’innombrables ouvrages d’histoire. La liste est loin d’être exhaustive.
— Tu as visité tous ces lieux ?
— Bien sûr que non, sourit-elle.
Elle acheva la conversation en talonnant son étalon qui me dépassa de quelques mètres. Nous chevauchâmes jusqu’à Othien presque sans interruption. Nous passâmes une seconde nuit dans une auberge du village le plus proche de la sylve. Il était plus prudent de s’y rendre de jour.
Je redoutais de remettre les pieds là-bas. Mon village était-il intact ? Les mages de l’Air l’avaient-ils saccagé ? Une vive colère flambait dans mes entrailles à cette idée. Pourtant, Atalaya semblait encore plus préoccupée que moi. Je comprenais aisément que d’imaginer mettre les pieds au cœur d’une sylve qui n’hésite pas à tuer les hommes importuns qui osent fouler son sol la tracasse. Pourtant, le regard vissé sur la fenêtre, son bâtonnet serré contre sa poitrine, elle ressemblait à un enfant apeuré.
Je me gardais bien de l’interroger. L’observer le lendemain serait bien plus instructif. D’autant que je comptais en profiter pour vérifier une théorie. Si je ne me fourvoyais pas, sa réaction après l’attaque des mages de l’air avait été étrange. Tout était étrange chez elle.
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