Chapitre 20 Souviens-toi de ce que tu as appris

Je sautai sur le dos d’Eclipse après avoir vérifié les sangles des bagages. Je priai pour que la missive confiée par Ochoro avant mon départ y soit toujours. Elle était le gage de l’autorisation de mon expédition à Othien auprès de Clay Blakwell. Je lançai l’étalon au galop, suivie de près par la jument de Rhee. Chaque minute de gagnée était un espoir moins incertain de distancer assez les Mages de l’Air. 

Le Sheioff ne m’interrogea pas davantage. Bien qu’il ignorait l’identité de nos poursuivants, il consentit à m’accorder sa confiance. Une dizaine de minutes plus tard, nous sortions enfin du bois de Gildevir. Aucune trace de l’escouade de Caleb. Peut-être nous devançaient-ils déjà. Nous dépassâmes la silhouette de l’Académie dressée en haut de sa colline, puis le village où j’avais donné rendez-vous au messager d’Othien. 

Une heure s’écoula sans qu’un seul mage de l’Air ne se manifeste. Je jugeai bon de ralentir le rythme afin d’économiser les chevaux. Rhee se cala à mon niveau. 

— Vous êtes tombé dans un piège, n’est-ce pas ? 

J’acquiesçai, les lèvres pincées. L’angoisse et l’ignorance me comprimaient l’abdomen. 

— Tendu par qui ? 

J’hésitai avant de lui répondre. 

— Par un homme qui veut ma peau, ou qui requiert mes services selon ses dires. 

Il cilla, seule trace de son étonnement. 

— C’étaient des Mages de l’Air que tu combattais, commenta le jeune homme.

— Je sais. Ils se sont présentés. 

Il esquissa un sourire en coin.

— Ils n’ont pas mentionné leur lieu de résidence, par hasard ?

Je lui jetai un regard excédé, lasse de ce petit jeu. 

— Si vous n’avez aucun contrôle sur vos légendes, ce n’est pas mon problème, rétorquai-je.

— Ça va le devenir s’ils mettent leur nez dans les affaires des Hommes. Que possèdes-tu qu’ils convoitent tant ? 

Mon sang, songeai-je amèrement. Je soupirai, consciente que Rhee ne me lâcherait pas la grappe sans avoir obtenu de réponse satisfaisante. Je glissai mes doigts sous le col de ma tunique, ses yeux suivirent le mouvement. Je dévoilai la chaîne en argent que je portais constamment autour du cou, ornée d’un pendentif similaire, finement ciselé, serti d’une aigue-marine. 

— Ceci, avouai-je avec un sourire énigmatique.

— Qu’est-ce qu’est ? 

— Ça, c’est la partie qui ne te concerne pas. 

Il esquissa une moue déçue, tandis que je dissimulai à nouveau le collier, ravie. Un glatissement déchira soudain le ciel. Nous levâmes la tête en même temps. Un immense rapace planait au-dessus de nous. Un oiseau du soleil. Ses plumes dorées comme de l’or liquide rutilaient sous la lumière de l’astre du jour. Sa collerette rousse flamboyait tout comme les longues plumes de la même teinte qui serpentaient en une trainée de flammes en guise de queue. 

Un large sourire étira mes lèvres, tandis que l’émotion me nouait la gorge. Je n’avais donc pas rêvé. Il était là. Le rapace plana quelques secondes en rond, je sentais son regard ardent sur ma peau. La voix de Rhee me tira de ma rêverie. 

— Qu’est-ce que c’est que ça ? 

Le jeune homme blême dévisageait la créature exotique avec un mélange de crainte et d’admiration. 

— Une Pyrie, déclarai-je d’une voix remplie de fierté.

Si Riv est ici, alors son maître ne doit pas être loin. Soudain, l’oiseau du soleil trompetta de plus belle et s’élança vers l’ouest, telle une flèche étincelante. Le message était clair. 

— Donne-moi tes rênes ! ordonnai-je subitement

Rhee me jeta un regard interloqué. 

— Fais-ce que je te dis ! Ils sont derrière nous.

Il obtempéra après une légère hésitation. Tandis que je les nouais au miens, il scruta la route derrière nous. 

— Il y a comme un nuage un peu flou, là-bas, commenta laconiquement le mage. 

Je me statufiai sur ma selle, le dernier nœud solidement serré. Je suivis son regard, alors que le sang désertait mon visage. Rhee avait vu juste. Nous venions d’être rattrapés. Riv glatit à nouveau. Cette fois, l’empressement était tangible. 

— Positionne-toi le plus à plat, conseillai-je à mon compagnon. Je me charge du reste. Et oui, c’est la pyrie qui va nous guider. 

Il referma la bouche, décontenancé par ma réaction. Peut-être que je commençais à le connaitre. Ses yeux verts s’ancrèrent dans les miens. Ils me transmirent toute sa confiance et ses attentes. Un frisson désagréable parcourut ma colonne vertébrale. Je rompis le contact en rabattant mon capuchon. 

Mon esprit se projeta simultanément vers l’oiseau du soleil. Ma magie s’envola haut dans le ciel, à l’encontre de celle qui m’attendait derrière la pyrie. Celle de mon frère. À travers elle, je vis les grandes pupilles ambrées de Riv détailler mon visage. Il m’invita à me connecter à son esprit d’un coup de bec amical. 

Dès que j’alignais mon esprit sur le sien, la course folle s’engagea. Je talonnai Eclipse qui se mit au galop, imité par la jument de Rhee. Je sentais l’air sous pression dans mon dos. Les mages de l’Air volaient en groupe, mais ils seraient bientôt obligés d’individualiser leur vol pour passer à l’offensive. 

Cette technique, Daisyel me l’avait décrite un nombre incalculable de fois. Il s’en était sans doute servi pour me ramener à l’Académie après m’avoir sauvé à Ports Bahiri. Ils s’enveloppaient dans un cocon d’air et s’en servaient comme un courant marin, afin d’accélérer leur déplacements. Technique forte épuisante, plus taillée pour l’endurance que le sprint, mais un atout de taille utilisée à bon escient. 

Je percevais l’air en mouvement derrière nous, mais je comptais sur l’inconvénient du vol et l’aide de Riv pour nous tirer de là. Le vol empêchait la précision. Si les mages de l’air nous rattrapaient et nous attaquaient au corps à corps, leurs mouvements seraient grossiers, imprécis et plus lent qu’hors du cocon. Aiguillés par Riv, indirectement par Daisyel, nous avions une chance. 

Le prochain village suffisamment grand pour dissuader les mages de l’air de nous poursuivre se situait à une vingtaine de kilomètres de notre position. Trop loin. Nous allions devoir les affronter. Pour l’instant, Riv se taisait, mais je restais concentrée sur notre connexion. Petit à petit, les vagues se rapprochaient. 

La Pyrie glapit un instant avant que je perçoive le remous à ma droite. Eclipse fit un écart à gauche, juste à temps. L’air fouetta la croupe de l’étalon, que j’apaisais mentalement. Je devinais sans les voir des serpentins dorés se dessiner sur ma peau hâlée. Le capuchon dissimulait à Rhee ceux qui décoraient mon visage. L’héritage de la magie de la terre se dévoilait depuis cinq ans. Cinq ans que je n’avais pas connecté mon esprit à celui d’un animal grâce à ma magie. 

Nouveau cri en trompette, écart à droite. L’air siffla à mes oreilles, Eclipse vira à nouveau de l’autre côté. À chaque impulsion, cri de Riv, je dirigeai l’étalon en conséquence. Les mages de l’Air nous entouraient, à présent. À toi de jouer, ma sœur, susurra une voix dans ma tête. Mes lèvres s’étirèrent en un doux sourire. Oui, c’était à mon tour d’entrer en scène. 

Je détachai subtilement un filin de magie de la terre qui sonda le périmètre. Quatre mages derrière, deux de chaque côté. La solution la moins risquée était de stopper le vol des mages afin de les affronter à distance et de libérer un périmètre autour de nous. 

Le cocon représentant un écran protecteur, une attaque de front était inutile. Interrompre un vol n’était pas une mince à faire, Daisyel me l’avait maintes fois répété. Le plus efficace restait de faire pression sur le cocon, d’entraver son environnement. Une idée germa dans ma tête. Risquée, mais qui pouvait se tenter. J’interrogeai hâtivement Riv. La pyrie me donna son aval après un instant de réflexion, sans doute partagée avec son maitre invisible.

Je rétractai ma magie à regret, mais c’était nécessaire, et priai Isadora pour que Riv ne disparaisse pas. Puis, je retirai mes pieds des étriers, stabilisai mes jambes avec ma magie de l’eau. La magie me propulsa dans les airs en pirouette tandis que je bandai mon arc après avoir attrapé une flèche en vol.

Un bouclier d’eau entoura simultanément chaque cocon qui se brisèrent sous la pression croissante. Je décochai trois flèche simultanément. Les mages s’écrasèrent au sol, le quatrième encore en vie ne se releva pas. Il dut se briser les os à la réception. 

Un poinçon frôla mon épaule. Rhee jura. Les rênes ! Je relâchai aussitôt ma connexion avec Eclipse. Le mage de feu sauta sur le dos de l’étalon. Il en reprit le contrôle juste à temps avant qu’il ne dévie trop sa route. Je retombai sur mes appuis, au bord du chemin. Deux mages se lancèrent à sa poursuite, les deux derniers se jetèrent sur moi, leur cocon conservés. 

Je fermai les yeux, à l'instar des conseils de Daisyel, et laissai ma magie guider mes mouvements. Les cocons produisaient une aura prononcée dont la trace était aisément identifiable et localisable. Un remou sur ma droite m'indiqua de me déporter à gauche, la lame invisible trancha le vide. 

La seconde entailla ma cuisse. Pas assez rapide. Lutter contre la vitesse d'un mage de l'air n'était pas réalisable, mais une bonne anticipation pouvait contrebalancer. Je me concentrai davantage. J'esquivai un second remou et expédiai une pluie de stalactite dans sa direction. Une lame frôla mon avant bras, je pliai les genoux et la seconde électrifia mes cheveux. 

L'air s'alourdit subitement. Je ne me fis pas avoir. Un bouclier d'eau blinda mon corps d'une couche épaisse. L'air comprimé éclata contre la barrière qui absorba le choc. Le bouclier se gonfla, puis vomit l'onde de choc d'une traite. Les cocons se brisèrent sous l'impact. 

La force de recul m'ébranla également. Je titubai sur quelques pas, la cage thoracique comprimée. Enfin, j'inspirai une grande goulée d'air, mon cerveau oxygéné prit le relais. À cet instant, mes réflexes de survie représentèrent un avantage considérable. Je repris mes esprits quelques secondes seulement avant mes adversaires au sol. 

Trois secondes où mes doigts se refermèrent sur le manche de ma dague. D'un mouvement expert, ils la lancèrent sur l'un des mages encore à genoux. Il expira avant de retomber au sol. Le second se mit sur ses jambes, et fondit sur moi, fou de rage. 

— Atalaya ! Couche-toi

J'obtempérai sans réfléchir et me jetai sur l'herbe. L'élan m'emporta en bas de la colline, je roulai sur l'herbe grasse sans parvenir à trouver d'appui. Derrière moi, je sentis une vague de chaleur se répandre dans l'air et s'approcher dangereusement. 

Ma réaction fut instantanée. Je revis les langues de flammes m'entourer puis lâcher mon dos à en liquéfier ma peau. Une peur panique remonta dans ma gorge. J'entourai ma poitrine de mes bras et invoquai Dumë de toute mes forces. Elle réagit à mon angoisse instantanément. Un cocon de glace épousa mon épiderme et m'ancra à la terre. La coque protectrice stoppa ainsi ma chute temporairement. 

Le silence s'imposa tout à coup. L'affrontement avait pris fin. Deux bottes foulèrent l'herbe à deux pas de moi. Le souffle court, je me forçai à refouler les souvenirs de l'exploitation au fond de ma mémoire. Le feu…Effectivement, la vue du feu venait de provoquer une frayeur incontrôlable. Un comble, pour une fille de Mage de Feu. Sans doute un traumatisme induit par l'incident à Ports Bahiri. 

Rationaliser ma réaction disproportionnelle me permit de retrouver mes esprits. Le cocon fondit comme neige au soleil. J'eus à peine le temps de prendre une inspiration qu'une main ferme crocheta la mienne et me releva d'une traction. Je tanguai légèrement, ma main se posa par réflexe sur le torse de Rhee pour stabiliser mon équilibre. 

— Oh là ! Je croyais pourtant que tu avais déjà côtoyé la mort de près. 

— Ça n'a rien à voir, maugréai-je. Tu les as… cramé ?

Je voulais avoir la confirmation. 

— J'espère que tu ne voulais pas les interroger, ricana le jeune homme. 

Je levai les yeux au ciel. Rhee baissa les yeux sur ma main toujours posée sur son torse. Il se soulevait au rythme de sa respiration toujours rapide. Je la retirai bien vite et reculai pour rejoindre la route. Une vive douleur à la cuisse avorta mon mouvement. Je m'effondrai de nouveau dans les bras du mage, une main pressée contre ma cuisse. 

— Tu es blessée ? 

Son regard émeraude glissa sur le haut de ma jambe. Il écarta doucement ma main déjà poisseuse de sang pour dévoiler une entaille longue comme ma main qui barrait le haut de ma jambe. Je sifflai de douleur lorsqu'il effleura la plaie. Pas très large, mais assez longue, je savais qu'une lame de vent pouvait entailler profondément la chair. Il fallait la refermer au plus vite. 

Déjà, le jeune homme m'avait assise sur l'herbe et courait vers les chevaux, qui revenaient au petit trot, enfin certains que le danger avait disparu. Rhee revint les bras chargés de bandage et d'une bouteille incolore que je devinais être de l'alcool. 

— Ne bouge pas et serre les dents, m'adjoint-il. 

— Comme si je pouvais aller quelques part. 

Le sang dégoulinait de la plaie à l'intérieur de mon pantalon. Rhee dut en déchirer un morceau pour désinfecter proprement le pourtour de la coupure. Il imbiba une compresse d'alcool et tamponna l'entaille avec mille précautions. Ses iris de jade ne cessaient de chercher les miennes, comme s'il craignait que je l'embroche d'un pic de glace à tout moment. 

Sa méfiance m'amusa légèrement, jusqu'à ce que ses mains hésitantes frottent un peu trop fort. Je grognai et le fusillai du regard. Il m'ignora royalement tandis qu'il étalait un cataplasme. Puis, je l'observai silencieusement dérouler un bandage. Il souleva ma cuisse d'une main afin d'enrouler fermement la bande autour de la coupure qu'il serra fort et noua grossièrement. Il reposa ensuite doucement ma jambe au sol, les lèvres pincées. 

— Tout va bien, soupirai-je. Le principal était de comprimer la plaie, le reste se fera tout seul. 

Afin de prouver mes dires, je me relevai hâtivement. Rhee s'esclaffa. 

— Et moi, je suis un mage de l'Air, persifla le jeune homme. 

Ma réplique bien sentie mourut sur mes lèvres. Bien sûr. La magie de la Terre me guérit, mais je ne suis qu'une Thessar de l'eau et de l'air pour lui. Mortifiée par la bourde que j'avais manqué de commettre, je le dépassai en silence et rejoignis nos montures en boitant. 

— Laisse-moi…

Je le coupai d'un geste de la main. Eclipse accourut au trot lorsque je le sifflai. Une poussée d'air me souleva au niveau de la selle. Je me hissai sur le dos de l'étalon avec prudence, sans pouvoir retenir une grimace. Rhee n'était pas dupe. La plaie n'était pas belle et assez profonde. J'aurais été en mauvaise posture si j'avais été une réelle Thessar. 

Le mage me rejoignit sur la route après avoir ramasse l'alcool, les compresses et les bandes. Il rangea le tout dans son bagage puis grimpa sur sa jument. Il m'inspecta sans mot dire, passa une main dans ses cheveux châtains en soupirant. Puis, il claqua des talons sur les flanc de sa monture et nous reprîmes la route.

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