Chapitre 19-2 Ton héritage sera ton salut

Dès l’instant où le dernier soldat disparut dans les taillis, je tendis le bras. Une vague de glace s’abattit sur les troncs. Pas assez acérée pour les trancher, suffisamment violente pour les courber. Les mages de l’Air dégringolèrent de leur perchoir. Ils étaient maintenant visibles au grand jour. J’encochai mes flèches et tirai successivement. Trois d’entre eux succombèrent. 

Je projetai une nuée d’éclat de glace autour de moi et m’élançai dans la trouée percée dans leur défense. La seule direction où je ne risquais pas de rencontrer de soldat. Également celle des gorges. Je dépassai les mages en difficultés et détalai à travers les taillis, talonnée par mes poursuivants. L’air siffla, trois fois consécutive. J’esquivai les poinçons par anticipation. 

Une désagréable sensation me prit aux tripes. Je fuyais à travers la forêt, la mort aux trousses. Les arbres et les bosquets défilaient de part et d’autres, je gardai les yeux rivés sur le chemin. Heurter une racine ou trébucher sur un caillou signerait ma mort ou ma captivité. Dans mon dos, la cavalcade résonnait. Les mages de l’Air n’avaient plus aucun soucis de discrétion désormais. 

Seuls mes entraînements avec Daisyel me permettaient de déceler la cible des poinçons d’air comprimé. Des flashs remontèrent à la surface. La sylve traçait le chemin pour moi. Son esprit me poussait de toutes ses forces à ne pas m’arrêter. J’étais épuisée, le souffle court, le cœur en miette. 

Un sanglot se coinça dans ma gorge. Pas maintenant ! Une larme roula sur ma joue. Dumë ! Mais celle qui vivait en moi ne pouvait pas m’aider. La machine s’était mise en route. Les taillis d’un vert unis étaient désormais bariolés de fleurs flamboyantes. Les troncs des arbres paraissaient plus gros, parcourus de sillons plus profonds. 

Mon souffle se hacha. Je ne voulais pas revivre ça ! Je ne voulais pas… Une violente traction sur mon bras m’envoya heurter un feuillu. Le mage m’assena un coup à l’abdomen. Je me pliai en deux, le gout du sang envahit ma bouche. Son poing passa à un cheveu de ma mâchoire. Je fléchis les genoux, un pic de glace transperça son ventre. Il recula en titubant, les yeux écarquillés. 

Je le repoussai sèchement en arrière et repris ma course folle. J’avais ralenti. Sans même m’en rendre compte. Je devais cesser de songer à Tirawan. Pas maintenant. Plus jamais. Ma gorge se noua. Comment pouvais-je même imaginer oublier ma sylve ? C’était son héritage qui coulait dans mes veines et qui réparait mes blessures à l’instant même. 

Un nouveau sifflement déchira l’air. J’esquivai le poinçon in extremis. Soudain, un second courant d’air m’enveloppa brièvement, avant de s’enrouler autour de mon poignet droit. D’instinct je gantai mon avant-bras d’une couche de glace. Le lien invisible se resserra à peine, il tira mon poignet vers le haut. L’absence d’hostilité me perturba. 

Une sourde sensation germa au plus profond de mon esprit. Peut-être venait-il même de Dumë. Lorsque le filin souleva ma main une fois de plus, je levai les yeux vers les hautes branches. Je perçus un bruissement de feuille sur ma droite. Un éclat doré captiva mon regard. Il disparut aussitôt dans une trainée lumineuse.

Un doux sourire étira mes lèvres. Aussitôt, le gant de givre disparut. Je fermai les yeux et me laissai guider. J’occultai tous mes sens, excepté ceux de ma magie. Le filin m’orientait comme une boussole, me guidait comme s’il me tenait la main. À la moindre traction, j’affinai ma trajectoire. Les poinçons, qui furent remplacés par des poignards à mesure que mes poursuivants se rapprochaient, rataient largement leurs cibles. 

Petit à petit, le grondement des gorges enflait. Les mages de l’Air avaient l’avantage de la rapidité, grâce à leur magie. S’ils me rattrapaient au pied des gorges, la situation deviendrait périlleuse. Je me concentrais d’autant plus sur les indications indirectes de Daisyel. Pourtant, les pas de mes adversaires se faisaient de plus en plus distincts. Je déployai alors ma magie de l’Eau dans mon dos. Une couche de gel se déposa sur l’humus à chacun de mes pas. 

Un cri brisa le silence de la forêt, quelques secondes plus tard. Je venais de grappiller quelques secondes supplémentaires. Je débouchai brusquement sur les berges des gorges de Gildevir. Quelques mètres devant s’étendait un profond précipice et une chute potentiellement mortelle. 

Je ne m’arrêtai à aucun prix. Mes poumons me brûlaient, mais je compensais le manque d’oxygène par ma magie de l’Air. La seule utilisation possible face à la nature de mes adversaires. Je parcourus la moitié de la distance qui me séparait à nouveau du couvert de la forêt, lorsque mon pied dérapa sur une pierre glissante. Je m’étalai brutalement au sol, le souffle coupé. 

Je me relevai prestement en tirant une dague de ma botte. Trois mages de l’Air me faisaient face. L’un d’eux n’était pas un visage inconnu. Je l’avais pressenti. 

— Comme on se retrouve, l’oisillon, me salua ironiquement l’homme. 

Ses cheveux blonds hirsutes collaient à sa peau avec sa transpiration. Un rictus sardonique étirait ses lèvres. Il tenait dans chaque main ganté un couteau. Les deux autres se tenaient en retrait, par prudence ou par respect pour le chef de leur petite troupe bien réduite. 

Je me jetai sur eux la première. Un lasso de glace dans une main, le couteau dans l’autre, je fendis l’air d’une herse tranchante. L’un des mages se retrouva isolé des deux autres. La corde improvisée crocheta sa cheville. Il s’écroula au sol. Je lançai mon couteau. Il se ficha dans sa gorge. Ma magie s’étiola pour se rassembler en une longue épée de glace, l’arme des Tamar. 

La lame tournoyait dans les airs, de plus en plus vite. Le chef de l’escouade tira un couteau cranté de son fourreau tandis que l’autre expédia une flopée de poinçon qui ricocha contre un bouclier d’eau. Le blondinet s’élança vers moi à l’instant où j’inclinai ma lame de glace face au soleil. L’éclat lumineux l’étourdit. Je plongeai vers le second mercenaire, interceptai ses filins affuté et plantai ma lame dans son cœur. Il s’effondra sur le coup. L’air était rapide, mais peu synchronisé. 

Le mercenaire blond fondit vers moi dans un cri rageur. Une violente bourrasque me repoussa en arrière. Mon pied glissa sur le sol, mais je retrouvai mon équilibre et parai le coup de couteau. De la mousse. Nous nous étions trop rapprochés des gorges. Le grondement insoutenable saturait mes tympans, je ne percevais plus les variations de l’air. 

Le Mage était rapide, mais pas autant que Daisyel. Mon épée l’entailla au flanc, puis à la cuisse, alors qu’il ne m’avait atteint qu’au bras. Il changea alors de tactique. Assourdie, je ne perçus pas la déflagration qui me repoussa à plus d’un mètre de lui. Il se trouvait trop près pour en créer une aussi puissante qu’à Diell. Je roulai sur les cailloux, toujours plus bas. Je transformai mon épée en harpon et me stabilisai de justesse. Le précipice s’étendait à peine quelques mètres dans mon dos. 

Je me relevai, un bouclier érigé autour de moi. Le mercenaire se tenait au même endroit, le bras levé, un sourire retors aux lèvres. Une pluie d’épines de glace l’assaillit à l’instant où une rafale s’abattait contre mon bouclier. Pas assez forte pour le percer. Trop pour ne pas l’ébranler. Le choc se répercuta dans mes membres. Mes jambes tremblèrent, mes dents crissèrent. Puis, mes pieds dérapèrent. 

En quelques secondes, je dégringolai les quelques mètres qui me séparaient du précipice. Je tendis mes bras en avant, une de mes mains crocheta une roche poisseuse. La prise instable m’échappait petit à petit. Un second harpon apparut dans ma main droite, mais je ne parvenais pas à le fixer à une seconde prise. 

Je ne maitrisais pas suffisamment la magie de l’Air pour me sortit de là. Les rafales naturelles qui sillonnaient les gorges risquaient de me déstabiliser et de m’envoyer valser contre les rocher. Non, le mieux était de laisser Dumë me tirer d’affaire, comme elle savait si bien le faire. Après tout, la magie de l’Eau était tout indiquée au vu des circonstances. 

Je rassemblai mon courage, invoquai Dumë, et laissais ma prise me filer entre les doigts. L’entité répondit aussitôt à l’appel, elle s’appropria mon canal de communication avec ma magie de l’Eau. Elle appela à elle l’essence de l’élément qui tourbillonnait en dessous de moi. Je sentis ma magie se lier à l’eau agitée des gorges, comme un harnais de secours. 

Un à un, mes doigts glissèrent. Puis, je chutai dans le vide. Soudain, une violente traction sur mon bras avorta net ma cascade périlleuse. Dumë se rétracta, me laissant désorientée, le cœur battant à tout rompre. On me hissa sur la berge, puis deux bras me soulevèrent sous les épaules pour me redresser. 

Pantelante, ma tête dodelina quelques instants. Une main l’attira sur le torse de mon sauveur. Il sentait la sève de pin et la menthe poivrée. Je connaissais cette odeur. Je reculai précipitamment, les barrières de mon esprit relevée à bloc. 

— Que fais-tu là ? crachai-je

Ma voix manquait de puissance pour rendre ma colère crédible. J’étais essoufflée et prise de court. 

— Je te sauve la vie, commenta sarcastiquement le mage de Feu. 

— Je m’en sortais très bien toute seule !

— Je l’ai constaté, en effet. 

Son sourire moqueur me rappelait par trop bien celui de Fabian. Ce qui n’était pas pour apaiser ma colère. 

— Je t’avais ordonné de rester…

Il leva une main impérieuse, le regard soudain assombri. 

— Je n’ai aucun ordre à recevoir de toi, m’avertit le jeune homme d’une voix grave.

Avant que je ne réplique, il poursuivit sur un ton détaché. 

— Les chevaux sont à peine un kilomètre, harnachés. 

Je levai un sourcil étonné, tout en ramassant mon couteau toujours planté dans le cadavre du mercenaire.

— Où est l’homme qui me poursuivait ? 

— Il s’est enfui. 

Je grimaçai et m’élançai en courant dans la direction indiquée par Rhee, qui me talonnait. 

— Ne perdons pas de temps, il est parti chercher du renfort.

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