Chapitre 17-2 Donne lui une chance
Je bifurquai vers le bâtiment d’entrainement. Je devais lui parler. Le visage toujours dissimulé sous mon capuchon, je me glissai à l’intérieur parmi les allées et venues des militaires, jusqu’à la grande salle d’arme. Le tintement des épées me tira une grimace. J’étais plus habituée au silence de mon appartement désormais.
Je m’installai dans le coin opposé, afin d’avoir un point de vue dégagée sur l’ensemble de l’espace. Je scrutai chaque combattant, à sa recherche. Je soupirai de dépit lorsque j’en vins à la conclusion qu’il se trouvait plus sûrement au terrain extérieur, près des écuries. Je me décollai du mur d’un coup d’épaule et longeai la salle vers une porte adjacente quand soudain, je me figeai. À quelque pas de moi, Caleb venait de surgir du couloir accompagné d’un de ses lieutenants. Ils avançaient dans ma direction.
Je restai immobile, peu désireuse d’épier une conversation confidentielle. Plus par indifférence que par respect de l’autorité, ceci-dit. Je patientai tranquillement jusqu’à ce qu’ils passent à ma hauteur. Alors, je glissai ma main dans celle du général que je pressai légèrement, puis me dégageai avec fluidité et repris mon chemin dans leur dos. Je m’engouffrai d’un pas lent dans le couloir éclairé par des torches enchâssées au mur. Il était désert. Tous les apprentis soldats devaient être à l’entraînement ou en cours théorique. Je ne m’appesantis pas plus sur la question car dans mon dos résonnaient des pas précipités.
— Atalaya ! me héla une voix bien connue
Je fis volte-face, le sourire aux lèvres, et abaissai mon capuchon. Caleb me serra affectueusement dans ses bras, à peine essoufflé. Son étreinte protectrice renforça la motivation de ma visite. J’avais besoin de quelqu’un de confiance, d’un ami. Je l’entourai de mes bras à mon tour, surprise par sa démonstration d’affection. Quand enfin il s’éloigna, la perplexité envahit son visage.
— Pourquoi tant de mystère ? s’enquit-il aussitôt. Tu viens masquée et ne m’interpelle même pas directement. Te rappelle-tu au moins que tu as pleinement le droit de te déplacer librement dans ce bâtiment ?
Sa plaisanterie me tira un sourire qui se fana bien vite. Pourquoi tant de mystère ? Ma récente excursion hors des murs de l’Académie l’expliquait suffisamment.
— Il est vrai que nous n’avons pas réellement échangé depuis mon retour… mouvementé, concédai-je, à voix basse. Tu as raison, je ne tiens pas à ce que quelqu’un me reconnaisse, ni ne me sache remise.
Il croisa les bras, alerte. Je posai une main apaisante sur son avant-bras.
— J’ai surtout besoin de parler à un ami, avouai-je.
À ces mots, son visage s’éclaira.
— Allons dans mon bureau, dans ce cas, proposa-t-il. Nous y serons loin des oreilles indiscrètes.
Je secouai la tête en signe de dénégation.
— Je préfèrerai être à l’air libre, si tu le veux bien. Je ne supporte plus d’être enfermée.
Il acquiesça vivement, compréhensif, et me dépassa en me tendant son bras.
— Suis-moi.
J’acceptai son aide avec plaisir. Mes jambes commençaient à trembler. Il me guida jusqu’au chemin de ronde.
— Les prochaines sentinelles patrouilleront ici dans vingt-minutes.
Je hochai la tête, reconnaissante, et appuyai mes bras contre la muraille en pierre. Je respirai profondément l’ai frais matinal, me gorgeai de ses senteurs revigorantes. Je n’étais pas faite pour vivre enfermée entre quatre murs. Ma magie pulsait dans mes veines, s’imprégnant avec vigueur de l’essence de la sylve qui l’entourait, si ténue fut-elle.
— Tu n’ignores pas que l’Académie accueille tous ceux qui implorent asile, me lançai-je enfin, sous l’œil attentif du général.
— Ce fut longtemps un motif utilisé, notamment au long de la Grande Dissidence, confirma Caleb. Même s’il se fait plus rare de nos jours, c’est encore le cas de quelques-uns de nos résidents.
— C’est la raison de ma venue, à moi aussi.
Le regard perdu dans le lointain, je scrutai sans les voir les collines recouvertes de sapins entrecoupées de champ de lavande. Il fallait qu’il sache, même si ce n’était qu’une partie de la vérité.
— Il y a cinq ans, ma famille a été massacrée, murmurai-je. Pas seulement elle, mon village entier. Je n’étais pas là, j’étais partie voir mon père. Pour une raison que je ne comprends toujours pas, il nous a abandonnées ma mère et moi alors que j’étais âgée de six ans. Je m’absentai régulièrement pour me rendre en cachette au village où il résidait, sans jamais trouver le courage de lui parler.
Je m’interrompis quelques instants, papillonnant des paupières pour chasser les gouttes salées qui obstruaient ma vue. Caleb conserva un silence respectueux.
— Le jour du drame, repris-je d’une voix douloureuse, j’étais là-bas. Je suis rentrée plus tôt que prévu car j’avais surpris une conversation entre lui et une amie. Il lui affirmait que moi et ma mère étions une page tournée de son passé, qu’il n’avait aucune raison de prendre de nos nouvelles. Choquée et en colère, je suis repartie chez moi sans un regard en arrière.
Je fermai les yeux, des trémolos dans la vois. Evoquer ces instants resterait toujours une torture.
— Lorsque que je suis arrivée à mon village, il n’en restait déjà plus rien. Les flammes avaient tout ravagé. Les corps jonchaient les rues. Homme, femme, enfant, ils gisaient tous là, sauvagement massacrés. Mon frère, ma tante n’étaient déjà plus. Ma mère…
Ma gorge se noua alors que son visage surgissait dans mon esprit. Son sourire rayonnant, sa douceur incarnée, ses grands yeux émeraude remplis de force, de sagesse, mais surtout d’amour. J’aurais pu mourir pour elle. Mais c’était elle qui s’était sacrifiée pour moi.
Caleb recouvrit ma main de la sienne, doucement. Je m’aperçus alors que j’étais secouée de tremblement. Je pris le temps de recouvrer mon sang-froid avant d’achever mon récit, bien que difficilement.
— Ma mère est morte dans mes bras, après m’avoir fait promettre de me cacher et de ne dévoiler à personne mon identité. C’est elle qui m’a conseillé de chercher refuge à Vëonar. J’ai erré un peu plus d’un an, avant d’atterrir ici, à l’Académie.
Quand il fut certain que j’étais arrivée au terme de mon histoire, sa main toujours dans la mienne, Caleb se racla la gorge. Je détachai mon regard du paysage baigné par le soleil pour le planter dans le sien, indécis. Nuls doutes que mes aveux devaient le troubler. Pourtant, je ne décelais aucune pitié dans ses prunelles cyan. Seulement une compassion des plus sincères.
— Je ne peux qu’imaginer ce que tu as enduré, Atalaya. Pourtant, je doute que tu sois venue seulement pour m’en apprendre plus sur ton passé. Ochoro doit déjà savoir tout ça.
— Même plus encore, ajoutai-je, un poil coupable. Mais je t’interdis de l’interroger, je ne souhaite pas t’impliquer davantage. D’autant que je ne suis pas ici pour pleurer toutes les larmes de mon corps, je le fais suffisamment le soir.
Il acquiesça vaguement et plissa les yeux, en pleine réflexion. Caleb était intelligent. Il tentait de raccrocher les pièces du puzzle qu’il possédait, le puzzle complexe de mon existence. Une épine dans le pied de beaucoup de personnes.
— Ceux qui ont détruit ton village en avaient après toi, pas vrai ? J’imagine que ce sont les mêmes qui vous ont poursuivis Fabian et toi jusqu’à Ports Bahiri. Ils t’ont reconnu ?
Je secouai la tête.
— Pas exactement. Celui qui me veut se nomme Leander. J’ai de bonne raison de croire qu’il a le bras long, très long, et probablement le Draasni a sa botte. Un de ses sbires m’a reconnu à Diell il y a quelques semaines. Le seul avantage que je possède encore, c’est qu’il doit encore ignorer où je me cache.
— Pourtant, le Draas de Diell est venu t’intimider ici, à l’Académie, objecta mon général.
— J’ignore jusqu’où vont les liens entre Leander et le Draasni. Tu as peut être raison, mais quelque chose retient Leander. Il aurait déjà agi de façon plus frontale, sinon.
Caleb haussa les épaules.
— J’imagine également que ton cousin éloigné et ton neveu ne sont pas vraiment de ta famille, reprit-il, faussement vexé.
— Tu imagines bien, souris-je. Disons que le chemin de Lay a croisé le mien et après avoir perdu mon frère, je n’ai pas su lui refuser mon aide. C’est sa mère qui me l’a confié. Nous fuyons le même homme, après tout. Quand à mon « cousin », il n’est rien de plus qu’un messager mandaté par mon père.
Caleb haussa un sourcil surpris.
— C’est de ça que je suis venue te parler, poursuivis-je, le cœur soudain plus léger. J’ai appris que mon frère était en vie. En vie ! Fabian avait une lettre de lui qu’il a laissée à Lay avant de filer en douce. Daisyel est en vie, Caleb !
Mon euphorie toute neuve lui tira un sourire en coin.
— Quel rapport avec ce messager ?
— Mon père prétend que Daisyel aurait attaqué son village et il veut que je l’arrête.
— Toi, tu n’y crois pas n’est-ce pas ?
— Non, pas un seul instant. Si c’est bien Daisyel que mon père a vu, je suis certaine qu’il fait erreur sur ses motivations. Il a forcément une explication. De toute façon, s’il s’en est sorti il y a cinq ans, il n’avait qu’une seul échappatoire.
— Leander l’a capturé, devina aisément le général.
Le reste coulait de source. Caleb frotta sa barbe naissante, le visage indéchiffrable. Il dissimulait efficacement la moindre de ses émotions.
— Qu’attends-tu de moi, Atalaya ? Que je te trouve une excuse pour partir à sa recherche ? Que j’organise ta fuite ?
Je secouai vivement la tête en réponse à ses traits crispés. Une telle responsabilité lui attirerait certainement des ennuis.
— Non, je souhaite simplement avoir ton avis. Penses-tu que mon père a tort ou qu’il pourrait avoir raison ?
Caleb était quelqu’un de réfléchi, c’était un militaire après tout. Fin stratège, je lui confirais ma vie sans hésiter. J’avais conscience que sa réponse pouvait ne pas me plaire, mais je désirais prendre son avis en compte.
— Je pense que tu connais ton frère mieux que personne, mieux que ton père en tout cas. En ce qui concerne sa captivité, je ne peux rien affirmer. Si tu désires le libérer et découvrir la vérité, ta seule option est de le retrouver et de le confronter.
Le général posa sa grande main sur mon épaule.
— Quoi que tu choisisses, je peux t’aider, m’assura-t-il aussitôt. Je peux veiller sur Lay en ton absence, Ochoro aussi. Nous partons avec un quart de la garnison pour Horblend dans quatre jours. Nous attendons le retour de nos informateurs sur place. Des déplacements suspects ont été repérés près des gorges, le Directeur ne veut prendre aucun risque après le fiasco de la mission à Ports Bahiri.
Ce fut à mon tour de hausser un sourcil circonspect.
— Près des gorges ? Que suspectez-vous exactement ?
— Minute, ma jolie, mais tu me dois un rapport de mission la première, me taquina Caleb. Quoi qu’il en soit, tu pourras nous accompagner si tu es en état. Je pourrais m’arranger pour t’octroyer quelques jours de surveillance supplémentaires.
Je me raclai la gorge, hésitante.
— Quelques semaines ne seraient pas de trop. À peu près le temps d’un aller-retour à Othien, disons.
Caleb s’esclaffa, légèrement moqueur.
— Tu n’es pas difficile en affaire, toi ! Il se pourrait néanmoins que j’ai un petit message à faire passer aux Mages d’Othien. Ça pourrait fonctionner. Le Directeur requerra sans doute ta présence à Horblend, dans tous les cas, je le crains.
Je balayai ses excuses du plat de la main, bien trop reconnaissante de l’aide qu’il me proposait si spontanément.
— Merci pour tout Caleb, sincèrement. Tu ne me dois rien et…, tu es un ami en or. Merci.
— Si tu souhaites toujours que j’entraine Lay, il pourra profiter de ton absence, renchérit le général. Bien, à présent, j’écoute ton rapport. Tu as cinq minutes pour me faire un récit complet de votre petite aventure, qui sera bien plus précis j’espère que celui de ce gredin d’espion !
Je ris de bon cœur à la mention de Fabian. Caleb ne le portait pas dans son cœur, c’était une certitude. Je me pliai à sa requête du mieux que ma mémoire me le permit. Notre discussion avait apaisé mes craintes et renforcé ma confiance en mon frère. Quoiqu’il se soit passé en cinq ans, j’étais certaine qu’il était toujours de mon côté. Il me tardait de le revoir enfin et de le serrer contre moi.
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