Chapitre 17-1 Donne lui une chance

La lettre serrée contre cœur, je pleurai, encore et encore. Daisyel était en vie. Tout ce temps, il était là, quelque part. Et moi, je l’avais abandonné. Les sanglots déchiraient ma poitrine comme tant de lames acérées. Il vivait. Mon frère… vivait. Comme j’aurais aimé qu’il soit là, à cet instant.
Je m’avançai péniblement vers la fenêtre, ouvris les battants. L’air frais fouetta mon visage rougi par les pleurs. Le ciel se parait de rose et de trainées flamboyantes. Il n’existait pas meilleur décor pour nos retrouvailles. Ma magie de l’air murmurait à mes oreilles son envie irrépressible de s’élancer vers mon frère si longtemps perdu.

— Ne fais pas ça, Laya ! Tu signerais notre arrêt de mort.

Je pivotai vers mon protégé, le morceau de papier plaqué contre ma poitrine. Je respirai bruyamment, le nez encombré.

— Oh, Laya…

Il me tira doucement par la main pour m’éloigner de la fenêtre qu’il referma. Puis, il m’entoura de ses deux bras et m’étreignit fermement.

— Pardon, se fustigea le garçon. J’aurais dû t’en parler plus tôt. C’est Fabian qui m’a dit d’attendre…

Je le repoussai aussitôt, sourcils froncés. Je reniflai et le dévisageai attentivement.

— Fabian qui… C’est lui qui t’a donné cette lettre pour moi ? compris-je

Il hocha la tête sans oser croiser son regard.

— Tu as bien fait, Lay. Merci… merci.

Je peinais à retrouver mon souffle, mais désormais la joie surpassait l’inquiétude.

— Où est-le… ?

— Le mage de Feu loge dans une suite pour les hôtes de l’Académie. Tu pourras lui parler demain, si tu le souhaite.

— Comment as-tu fait ?

Il me gratifia d’un clin d’œil complice.

— Je suis allé voir Caleb, c’est un cousin éloigné de notre famille.

Un sourire amusé étira mes lèvres. Puis, je retrouvai mon sérieux.

— Tu lui as parlé ?

— Un peu. Je ne lui ai pas parlé de toi, si c’est ce qui t’inquiète. Je sais juste que ce sont des mages de l’Air qui les ont attaqués. Et toi, alors ? Qu’est-ce qu’elle dit ta lettre ?

Je jetai un coup d’œil ému à la précieuse missive.

— Elle vient de mon frère. Il m’apprend qu’il est en vie, qu’il me retrouvera ici à la fête du Soleil. Il mentionne un danger que je ne connais pas encore. Il affirme que je pourrais en apprendre plus à Othien.

Lay inclina la tête sur le côté, pensif.

— Je peux voir ?

Je lui tendis la lettre sans hésiter. Un sourire moqueur ne tarda pas à fleurir sur son visage.

— Tu m’explique comment tu parviens à traduire ça par ce que tu m’as dit ?

— Je le connais, c’est suffisant, rétorquai-je, faussement vexée.

Lay éclata de rire. Il me rendit la lettre. Il paraissait sincèrement heureux pour moi. Nulle trace de jalousie ne jetait de l’ombre sur le soulagement qui se peignait sur son visage encore juvénile. Il ne me questionna pas non plus sur l’erreur qui avait failli être commise par mon inconscience. Si j’avais tenté de joindre Daisyel par le biais de la magie de l’Air sans savoir où il se trouvait, cela serait revenu à allumer un phare au-dessus de l’Académie et crier ma présence à Vëonar tout entier. Il m’avait arrêté à temps.

Je concevais que j’avais réfléchi sous le coup de l’émotion, choquée par la nouvelle, mais c’eut été une catastrophe si ma magie avait échappé à mon contrôle ainsi. Je n’étais pas étonnée que Lay ait deviné en une seconde l’intention de ma magie, mais il aurait pu se mettre en colère. Je l’aurais jeté en pâture à son père sur un coup de folie.

Au lieu de ça, il nous servit deux coupes de pshill, une boisson pétillante à la pomme et au raisin, pour fêter la « résurrection » de Daisyel. Puis, il s’agenouilla au milieu du salon et joignit ses mains. Une sphère translucide s’étira à l’intérieur, qu’il libéra pour qu’elle se niche au plafond. La magie de l’air tournoyait à l’intérieur, tel un courant tumultueux. Un discret sifflement s’en échappait.
 
— Qu’est-ce que c’est ?

— Un petit tour de magie, claironna l’adolescent.

Il m’adressa un clin d’œil taquin, fier de sa performance. 

— Attend, ce n’est pas fini.

À son signal, le sifflement se transforma en .violon. Il entama une gigue endiablée aux accents prononcés de la musique mineure, proche de celle des Tamar. Mon protégé se releva, un grand sourire aux lèvres, et me tendit une main.

— Tu danses ?

Mon cœur se teinta d’une douce euphorie, matinée de mélancolie. Je saisis sa main tendue avec un sourire ému et bientôt, nos pas étouffés par le tapis martelaient le sol de la pièce. Nous dansâmes longtemps au son du violon, puis des cithares et des tambours. Ce soir, nos cœurs étaient à la fête. Mon frère était en vie. J’allais le revoir. Et Lay riait de me voir heureuse.

Le réveil du lendemain matin fut plus difficile. J’avais arrêté de danser quand mes cicatrices m’avaient rappelé à l’ordre. Lay prit le temps de les enduire de pommade apaisante lorsque nous fumes réveillés. Il avait dormi avec moi, comme nous en avions pris l’habitude lorsque nous en avions besoin. Une sensation étrange était tapie au fond de mes entrailles. Lay n’était plus ma seule raison de vivre. L’adolescent achevait de tartiner mon avant-bras droit. Il glissa sa main dans la mienne.

— Tu ne m’abandonneras pas, hein ?

Surprise, je recouvris ses doigts collants des miens.

— Bien sûr que non !

Je l’obligeai à croiser mon regard.

— Je ne partirais pas sans toi. Si je dois me rendre à Othien, je reviendrai, tu as ma parole. Quoiqu’amène ma discussion avec ce Sheioff, tu es ma priorité, Lay, depuis le début.

Il hocha la tête, mais le doute persistait au fond de ses prunelles.

— Et Daisyel ? C’est ton frère, après tout. Si tu dois choisir…

La nuit portait conseil, visiblement. Une moue déterminée se dessina sur mon visage.

— Je ne choisirai pas, Lay. Daisyel est mon frère, mais toi, tu es ma responsabilité. Tu es sous ma protection et je t’ai juré de me tenir à tes côtés, quoi qu’il arrive. Ais-je ta confiance ?

Il secoua la tête.

— Tu as bien plus que ça, Laya, souffla le garçon.

Je le serrai dans mes bras, touchée par l’affection qu’il me portait. Il n’avait même pas quinze ans, bon sang ! J’aurais tant souhaité retiré tout le poids qui pesait sur ses épaules, mais je connaissais mieux que personne le fardeau qu’il portait. L’absence d’une mère était irremplaçable. Je pouvais seulement contrebalancer ce vide, à défaut de le combler.

— Allez, file, l’admonestai-je avec un sourire taquin. Tu vas être en retard.

Il obéit sans protester, visiblement rassuré. À présent, il me fallait soigner mon apparence. La discussion qui s’ensuivrait serait une toute autre paire de manche. J’hésitai à appeler une guérisseuse pour m’aider à me rendre à l’aile des invités, mais je renonçai à la pensée de la perte de temps que cela représenterait.

Je recouvris néanmoins ma silhouette d’une épaisse cape en satin violine. Je ne désirais pas être reconnue dans les couloirs. L’arrivée du messager d’Othien devait passer inaperçue tant que je n’avais tiré cette histoire au clair. Mon badge suffit à m’obtenir l’accès à l’aile privée de l’Académie et je me dirigeai d’un pas lent vers l’aile des invités. L’appartement indiqué par Lay était l’un des premiers, soit l’un des moins luxueux.

La dernière fois que je m’étais rendue dans cette aile, je rendais visite au Seigneur Haddrix quelques heures avant son départ. J’avais profité de chaque instant passé avec mon ancien mentor. Le pendentif en demi-conque ornait toujours mon poignet droit, gage de son soutien indéfectible.

Un sourire nostalgique fleurit sur mes lèvres tandis que je m’immobilisais devant la porte frappée du numéro dix-huit. Le Seigneur mineur me manquait. L’espace de quelques jours, j’avais eu la sensation fugace de retrouver mes repères, une partie de ma famille, même si loin de chez moi. J’avais été heureuse, réellement heureuse. Puis, il avait dû repartir.

J’expirai profondément afin d’afficher un visage impassible, presque froid, et frappai au battant. J’attendis patiemment quelques minutes, guère pressée. Soudain, je perçus le claquement sec du loquet et la porte s’ouvrit en grinçant. Le Sheioff se tenait dans l’embrasure, tout juste sorti de la salle d’eau. Les gouttelettes scintillaient sur le haut de sa clavicule qui dépassait de sa chemise enfilée à la hâte. Il achevait de nouer son pantalon. Ses cheveux châtains repiquaient par endroit et retombaient devant ses yeux en amande, pas encore peignés.

— Vous n’êtes guère matinal pour un guerrier surentraîné, raillai-je, une main sur les hanches.

Il grogna sans relever la pique et m’invita à entrer d’un coup de menton. Je pris place dans le canapé sans attendre d’invitation. Après tout, j’étais chez moi, contrairement à lui.
Quelques instants plus tard, sa tignasse ordonnée et sa chemise boutonnée correctement, il me rejoignit, un sourire taquin aux lèvres.

— Vous êtes venue présenter vos excuses ? me nargua-t-il
Je ricanai ouvertement.

— Absolument pas. Je ne vous en dois aucune.

Il leva les yeux au ciel.

— Que faites-vous là, dans ce cas ? Je croyais que vous souhaitiez mon départ ? répliqua le jeune homme, plein de cynisme. Vous me faites donc vos charmants adieux ?

Ce fut à mon tour d’esquisser une moue agacée.

— Je suis venue poser mes conditions. Ainsi que vous demander votre nom, il me semble que vous me devez une présentation.

Devez ?

Je soutins son regard, le défiant de me contredire. Il ne baissa pas les yeux, mais consentis à s’incliner le premier.

— Mon nom est Rhee d’Othien.

— Et le mien est Atalaya, renchéris-je en lissant nonchalamment les plis de ma robe. Enseignante à l’Académie et espionne confirmée au service de son Directeur à mes heures perdues.

— En quoi cela me concerne ?

J’esquissai un sourire acéré.

— En rien, je souhaite simplement vous donner idée de mon rôle dans cet établissement. De la place que j’occupe entre ces murs. Si je veux vous mettre au cachot, je le peux, mage de Feu ou non.

J’exagérai un tantinet, mais jamais je ne me laisserai marcher dessus par un sbire de mon père. Lui s’était incliné face à l’arrogance des siens, ce ne serait pas mon cas. Jamais la Terre ne courbera l’échine devant le Feu. Rhee se rencogna au fond du canapé, indécis. Son aura était indéchiffrable. Soit il avait compris le message, soit il s’en fichait éperdument. Tout l’un ou tout l’autre.

— Quelles sont vos conditions ?

Je ne retins pas un sourire satisfait. Le mage avait compris le message.

— Premièrement, le sort de votre clan ne m’importe pas. Le seul paramètre qui me concerne, c’est Daisyel.

Il me sonda prudemment, sur le qui-vive.

— Je reconnais m’être emportée hier. Seulement, j’ai appris entre-temps qu’il était bel et bien en vie. Lui seul compte à mes yeux, que ce soit clair.

Enoncer à voix haute que mon frère était en vie m’emplit d’une joie si intense que mes yeux me piquèrent. Je les fermai un instant, la gorge nouée. Quelle que fut sa position, ce mage de Feu était mon seul lien avec Daisyel. Ma seule piste pour le retrouver. Lorsque je rouvris les paupières, Rhee me dévisageait, l’air pincé.

— Que vous me croyiez ou pas, ce n’est pas mon problème, poursuivis-je sur le même ton autoritaire. Je ne crois pas un mot de ce dont vous l’accusez. Daisyel n’est pas un tueur. Je le connais mieux que personne.

— Pourtant, il est à nos trousses ! répliqua hargneusement le mage de Feu

Je clignai des paupières, sans me départir de mon calme.

— Ne vous emportez pas, le réprimandai-je sévèrement. Que nous soyons d’accord sur ce point ou non importe peu. La seule chose que vous avez intérêt de retenir, c’est que jamais, jamais, je ne lui ferai le moindre mal pour vous.

J’avais élevé sur les derniers mots, afin que le Sheioff les imprime bien profondément dans mon esprit. J’avais bien saisi le sens de la requête de mon père. Il espérait que je parvienne à raisonner mon frère. Seulement si j’échouais, cela impliquait de lui ôter la vie. Or, il en était hors de question !

— Que proposez-vous dans ce cas ? s’enquit le jeune homme, railleur

— Vous allez m’aider à le retrouver, et je me charge du reste.

Ses prunelles en amande s’arrondirent légèrement.

— Il est dangereux.

— Pas pour moi, m’esclaffai-je. Je peux vous l’assurer.

Il ne répliqua pas et se mura dans un silence introspectif. Dans mon esprit, une soudaine interrogation vint bousculer le fil de mes pensées.

— Pourquoi n’êtes-vous pas allés demander de l’aide au Tamar ? qu’enquis-je soudainement.

Le Sheioff me dévisagea comme si j’avais massacré un peuple entier.

— Nous sommes en guerre contre les Tamar, vous l’ignorez ?

Un rire nerveux se joignit à l’incrédulité qui se peignit sur mon visage.

— Depuis quand ? Un traité a été signé il y a plus de dix ans pour ça ! Vous n’avez même plus de frontière commune, je vous rappelle.

Rhee fronça les sourcils, déstabilisé. Cherchait-il à dissimuler la vérité concernant les Tamar à une humaine ?

— Nos rapports n’ont pas été rétablis pour autant, maugréa-t-il enfin. J’aurais préféré que notre chef se tourne vers eux, croyez-moi. Il a refusé, pourtant.

— Pourquoi ? murmurai-je d’une voix affaiblie

Il haussa les épaules.

— Par arrogance ? Par déni ? Il est persuadé qu’ils auraient refusé de nous venir en aide.

Je relevai de la réticence dans sa voix.

— Pas vous ? le relançai-je

— Pourquoi les mages de la Terre nous laisseraient-ils être exterminés ? pesta le mage de Feu. Nous sommes un seul peuple, au fond !

J’esquissai un sourire sans joie.

— C’est une idée que les vôtres se refusent à admettre.

Il planta son regard dans le mien.

— Qu’en savez-vous ?

Perturbée par ses révélations, je secouai la tête et me levai sans répondre. Je désirai être seule et réfléchir aux choix qui s’offraient à moi. J’avais failli baisser ma garde face à cet inconnu. Je devais digérer la nouvelle concernant mon frère.

— Nous avons fini, décrétai-je. Reposez-vous et attendez mes instructions. Si nous partons, notre destination première sera Othien.

Rhee ouvrit la bouche pour rétorquer, visiblement perplexe, mais je le coupai d’un geste de la main. J’ouvris la porte de l’appartement, puis pivotai au dernier moment pour lui jeter un coup d’œil.

— Ah, et tutoyez-moi, ajoutai-je. Nous avancerons plus vite.

Sur cette consigne, je refermai le battant et rabattit mon capuchon sur ma tête. Je m’arrêtai au tournant du couloir, indécise. Après avoir passé autant de temps enfermée entre quatre murs, je désirai tout sauf regagner mon appartement. Mon choix se porta tout d’abord sur les jardins, influencé par une envie impérieuse de grand air et de verdure. Je descendis par le premier escalier sur la cour intérieure, déjà bondée. De là, je distinguai déjà les allées pavées fourmiller de visiteurs divers. Je soupirai profondément, contrariée. Tant pis ! pestai-je.

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