Chapitre 16-2 Il veillera toujours sur toi

Il arriva en fin d’après-midi. Un intendant frappa deux fois à la porte et annonça la venue d’un visiteur. Je l’invitai à entrer. Le serviteur céda la place à un jeune homme de bonne carrure entièrement vêtu de noir. Un capuchon recouvrait le haut de sa tête, qu’il rabattit d’un geste franc. Il dévoila un visage à la peau mate, des grands yeux de jade en amande et des lèvres pleines. Il soutint mon regard, impassible. Le serviteur referma la porte derrière lui.

Je m’avançai au centre de la pièce et croisai les bras. Je pris mon temps pour le scruter. Sa cape noire froissée recouvrait des épaules que je devinais carrées. Le  bas de son pantalon était taché de boue tout comme ses chaussures en fourrure. Il portait des gants de cuir et sa veste de la même matière était ouverte sur une chemise en coton blanc au col légèrement ouvert. La peau de son torse luisait, il respirait profondément, mais rapidement.

Le mage de Feu devait être épuisé, à n’en pas douter. Il n’avait pas ménagé ses efforts pour me rencontrer au plus vite, visiblement. Sur la défensive, je ne lui proposais pas de s’asseoir ni de le débarrasser de son pardessus. Je me contentai d’adopter une stature des plus hostiles.

— Voici donc le messager mandaté par Johnatan d’Othien.

Le jeune homme acquiesça.

— Ma missive est donc arrivée à bon poste.

Je jetai un rapide coup d’œil à la corbeille.

— En effet, souris-je sans aucune sympathie.

Il suivit mon regard vers le morceau de papier chiffonné. Une brève lueur indéfinissable traversa ses pupilles.

— Enfin, je manque à tous mes devoirs, m’exclamai-je subitement. Voulez-vous que je fasse monter une tasse de café ?
Cette fois, il pinça les lèvres et inclina la tête, agacé.

— Non. Merci. Je préfèrerai que nous entrions dans le vif du sujet. L’heure est…

— Fort bien, le coupai-je, toujours aussi aimablement. Dans ce cas, prenez place dans un fauteuil, vous m’avez l’air exténué.

Il me lança un regard insondable, puis consentit à s’asseoir. Je l’imitai de l’autre côté de la table de salon. Je croisai les jambes et l’invitai silencieusement à exposer les raisons de sa venue.

— Il y a près d’un mois, nous avons été attaqués à Othien, lança-t-il sans préambule.

Cela, je m’en doutais déjà. Il me jeta un coup d’œil prudent, mais comme je ne réagissais pas, poursuivit son récit.

— Nous avons été obligés de fuir, d’abandonner notre foyer pour nous réfugier loin d’ici.

— Dans votre résidence de secours, j’imagine, commentai-je innocemment.

Ses yeux s’arrondirent légèrement. Il entrouvrit les lèvres, visiblement perturbé. En vérité, j’avais seulement entendu vaguement parlé de cet endroit. J’ignorais tout de sa position et de son véritable rôle. Le mage se racla la gorge et reprit la parole, non sans avoir croisé les mains sur ses genoux, signe d’un malaise contrôlé.

— Je ne connais que les détails que notre chef a bien voulu me confier, car nous ne sommes pas allé jusqu’à l’affrontement. Nous avons pu fuir avant.

Un rictus cynique étira mes lèvres. Les Tamar n’avaient pas eu cette chance, eux.

— Il m’a envoyé vous chercher pour que vous nous veniez en aide. Nos attaquants sont sur nos traces. Nous ne pourrons pas les repousser sans vous.

Il n’y avait pas de réelle conviction sur ses derniers mots. Il recrachait les explications de mon père. Il se contentait de lui accorder aveuglément sa confiance. Je m’aperçus alors qu’il s’était tu. Il attendait une réponse de ma part.

— Est-ce là tout ce que vous avez à m’apprendre ? m’enquis-je sans pouvoir dissimuler une pointe d’incrédulité.

Le jeune fronça les sourcils, indécis.

— Pourquoi croyez-vous que je sois votre seule espoir ? Vous êtes des Mages, et moi une Thessar. Je ne vois pas bien ce que je pourrais vous apporter.

Je devais avant tout déterminer ce que mon père lui avait révélé à mon sujet. Ici, j’étais seulement Atalaya, Thessar de l’eau et de l’air. Si ce messager ignorait mon identité, il en resterait ainsi. Car je n’avais aucune intention de jeter à la poubelle ma couverture créée avec tant de mal à l’Académie pour les beaux yeux de mon père. C’était lui qui avait choisi de m’abandonner.

— Parce que vous connaissez celui qui mène ces hommes contre nous. Notre chef a bon espoir que cet atout joue en notre faveur.

Cette fois, ce fut à mon tour de froncer les sourcils. Allait-il m’annoncer que Leander s’était décidé à décimer le second clan de Mage du continent ? Cela ne nous avancerait pas beaucoup. Je n’étais pas encore de taille à l’affronter. Surtout pas avant d’avoir trouvé un endroit sûr pour Lay.

— Qui est-il ?

Le jeune homme prit une profonde inspiration avant de répondre.

— Daisyel. Il s’appelle Daisyel.

Mes yeux s’écarquillèrent de stupeur. Mes mains agrippèrent les accoudoirs jusqu’à ce que mes doigts blanchissent. Puis, l’indignation prit le dessus.

— Je vous demande pardon ?

Toute ma fureur transparaissait dans la froideur tranchante de ma voix. Le mage tressaillit.

— Comment osez-vous ? susurrai-je, le buste incliné en avant

— Je ne fais que transmettre…, tenta de se défendre le mage.

— Il est mort !

J’avais crié. Le souffle me manqua. Le messager, immobile, n’osait plus piper mot. Désormais debout devant le fauteuil, je peinais à retrouver mon calme. Mon sang bouillait dans mes veines.

— Il s’est sacrifié avec ma famille pour me sauver il y a cinq ans ! éructai-je

Le silence étendit ses bras dans l’atmosphère suffocante. Puis, le jeune homme se redressa à son tour.

— Je crois que vous ne vous rendez pas compte de la gravité de la situation.

Mes paupières se rétrécirent. Je retroussai mes lèvres.

— Sortez.

Il ne bougea pas d’un millimètre.

— Je ne me répèterai pas.

— Je comprends que…

— Sortez d’ici ! hurlai-je. J’ai dit, dehors !

La magie pulsait au bout de mes doigts, véritable bombe à retardement. Ce mage dépassait les bornes. Seul un contrôle extrême, ou désespéré, de ma magie de la Terre l’empêchait de ressentir la menace qui planait dans l’air.

La porte de l’appartement claqua à cet instant. Je croisai le regard perplexe de mon protégé. Il nous dévisagea tour à tour, s’attarda sur mon visage crispé par la colère et mon corps secoué de tremblement, puis se figea sur le Sheioff à nouveau silencieux. Lay posa sa sacoche au pied du porte manteau, y accrocha sa veste. Il s’avança ensuite dans le salon d’une démarche mesurée, le visage empreint d’une tranquillité toute extérieure.

— Je crois qu’elle vous a demandé de partir.

Je m’apprêtai à rembarrer à nouveau le messager. Au lieu de ça, il se leva promptement, sans oublier de me fusiller du regard au passage, et quitta l’appartement sans un regard en arrière.

Je passai une main fébrile sur mon visage. Les tremblements cessèrent aussi vite qu’ils étaient apparus, mais le poids qui comprimait ma poitrine semblait immuable. Une vague d’abattement me courba l’échine alors que je me laissais choir sur le fauteuil.

— Je croyais que c’était une visite de courtoisie, plaisanta l’adolescent.

Il caressa affectueusement mon dos.

— Qu’est-ce qu’il t’a dit, pour te mettre dans un état pareil ?

Je soupirai, lasse.

— Il prétend que les incendies à Othien sont dus à une attaque menée par mon frère, murmurai-je d’une voix sourde.

La main de Lay se figea, son bras retomba.

— Comment mon père ose-t-il salir la mémoire d’un mort ? Alors que d’eux deux, c’est bien Daisyel qui a le plus veillé sur moi…

Je luttai de toutes mes forces pour éviter à mes souvenirs d’envahir mon esprit. Le soudain silence de mon protégé me sortit de ma léthargie. Lay se mordait la lèvre inférieure. Il hésitait visiblement à m’avouer quelque chose.

— Il y a quelque chose que je devrais savoir ?

Sans un mot, il se leva et disparut dans sa chambre. J’entendis le bruit d’un tiroir qui s’ouvre. Puis, il revint dans le salon et se planta devant moi.

— Tiens. Je voulais attendre que tu sois remise. Tu aurais été capable de te précipiter sans penser à ta santé, précisa le gamin, un poil taquin.
Je saisis la missive, encore une, qu’il me tendait. Aucun signe distinctif n’ornait l’envers du papier, cette fois.

— Je… je vais rattraper ton visiteur, ajouta Lay du bout des lèvres. Je vais lui trouver une chambre. Je pense que tu voudras le revoir après… Enfin, je pense que c’est ce que tu devrais faire.

Il s’éclipsa avant que je n’eus pu répliquer. Prise d’une appréhension soudaine, je dépliai hâtivement le feuillet. Je lus les quelques lignes. Une fois. Deux fois. Et je ne sais combien d’autres. Ni combien de sanglots remplirent la pièce, ni combien de larmes inondèrent mes joues.

«  Ma très chère Atalaya,

Ma sœur adorée, si tu savais comme je m’en veux. Comme je m’en veux de t’avoir laissée me croire mort. De ne pas m’être manifesté plus tôt. De t’avoir abandonnée, alors que je t’avais juré de ne jamais le faire.

Tu me manques tellement. Si tu savais comme c’est une torture de te savoir si proche et pourtant si loin. Si je t’écris, c’est parce que l’heure est venue. Callie m’a fait promettre de veiller sur toi. De loin. Je n’ai pu faire autrement.

Je suis bien vivant et plus près que tu ne le crois. Promets-moi de ne rien tenter de dangereux. Je te promets alors que nous nous reverrons bientôt. Le soleil tapissera de ses rayons Vëonar tout entier, il me semble. Je serais à tes côtés, je te le jure.

Le danger se rapproche, ma sœur, et je vais peiner à t’en tenir écartée. Tu n’as pas les armes pour le combattre. Peut-être que si tu renouais avec le Feu, il pourrait éclairer ton chemin.

Prend garde à toi, Atalaya. Je ne veux pas te perdre.

Je t’aime.

Ton petit frère qui pense à toi chaque jour,

Daisyel »

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