Chapitre 16-1 Il veillera toujours sur toi
— Allez-y doucement, sîn Diaslîn, vos jambes tremblent encore.
Alys se tenait à ma droite, observant mes efforts avec attention. Je pressai les mains de Diame dans les miennes lorsque la peau toute neuve de mes jambes s’étira. La plus grande des deux dryades me soutenait avec fermeté.
— Continuez, renchérit-elle, c’est très bien.
Elle chassa une mèche rousse de son visage d’un souffle. J’expirai profondément et avançai d’un pas, puis d’un autre. Un dernier effort et je venais de traverser ma chambre. Je m’adossai au mur avec un soupir. Ma peau me tiraillait, mais il était surtout nécessaire de l’assouplir.
Alys sourit, puis échangea un regard entendu avec son amie.
— Je crois que nous allons pouvoir retirer vos bandages, sîn Atalaya, déclara la jeune fille aux longues mèches dorées.
— Cela fait trois jours que vous êtes réveillée et votre nouvelle peau a surtout besoin d’air frais, ajouta malicieusement Diame.
— Et moi donc ! protestai-je
Alys sourit. Elle me jeta un regard compatissant avant de m’indiquer mon lit du menton. Je m’y assis sans aide, non sans une once de fierté, puis les deux dryades entreprirent de retirer les bandes de gaze qui recouvraient mes jambes et mes bras.
Un élan d’affection pour les jeunes filles m’arracha un sourire attendri. Je leur devais tant. Elles m’avaient soignée et couvert mon secret sans rien attendre en retour.
— Je vous remercie du fond du cœur, déclarai-je doucement.
— Ne le faites pas, sîn Diaslîn, répondit Alys sur le même ton. Entre filles de la Terre, il est normal de s’entraider. D’autant que ma Seina ne m’aurait jamais pardonné de ne pas vous rendre ce service.
Elle conclut sa phrase par un sourire amusé, qui dévoila ses dents d’un blanc saisissant. Sa peau rosée se mariait à merveille avec la teinte étincelante de ses cheveux fins et à ses yeux de la même couleur.
— Vous connaissiez-donc mon identité ? ne pus-je m’empêcher de relever
À ma grande surprise, Diame secoua la tête. Elle éclata de rire.
— Oh, je ne l’aurais pas deviné si Alys ne m’avait pas ouvert les yeux ! s’exclama celle aux cheveux de feu
— Il est vrai que si je ne vous avais pas reconnu, je ne l’aurais jamais su non plus, ajouta Alys, une pointe de curiosité dans la voix. Vous cherchez à dissimuler votre magie de la Terre, n’est-ce pas ? Comment est-ce possible ?
Décontenancée par la tournure soudaine de la conversation, j’hésitai. Mon trouble n’avait pas échappé à la seconde jeune fille.
— Il est dans notre nature de sentir ce genre de stratagème, mais nous ne souhaitons pas vous importuner, tempéra Diame.
Je balayai ses arguments du plat de la main.
— Ce n’est guère une question de confiance, souris-je. Il s’agit seulement de bien plus que ma personne.
Les dryades étaient connues pour leur perspicacité. Je parlais en connaissance de cause. Néanmoins, les deux petites me rappelaient celle que j’avais laissé derrière moi, quatre ans plus tôt. Ce qu’elle me manquait.
— As-tu des nouvelles récentes de ton Seinar ? poursuivis-je à l’intention d’Alys
Le changement de sujet les fit tiquer, mais elles en avaient appris suffisamment. La jeune fille secoua la tête, soucieuse.
— Pas depuis plusieurs semaines.
Elle jeta une œillade de biais à son amie, visiblement indécise.
— Le dernier message de ma maorïn mentionnait un désaccord entre notre Seinarîn et plusieurs Seina. Elle semblait inquiète de la retombée des décisions prises au Semandar.
— Comment cela ?
Elle s’humidifia les lèvres avant de poursuivre, de plus en plus nerveuse.
— Vous n’ignorez pas que chaque année, les Seina se retrouvent à Cyllandîr avec la Seinarîn, pour le Semandar. À l’image des sessions extraordinaires du Haut-Conseil à Vëonar.
J’acquiesçai de concert. Bien évidemment que je n’ignorais pas ce qu’était le Semandar.
— Je ne peux rien vous dévoiler de son contenu, précisa inutilement la jeune dryade, lèvres pincées, mais notre Seina ne semblait pas satisfaite à son retour. Visiblement, il serait question de soulèvement à l’encontre de notre Seinarîn.
J’écarquillai les yeux, aussi hébétée que Diame. Une rébellion ? Chez les dryades ? Jamais un tel évènement n’avait été consigné dans les livres d’histoires.
— Enfin, se soulever contre la Seinarîn, ce serait défier notre mère Nature elle-même ! protesta enfin son amie
Alys se mura dans le silence. La situation la préoccupait plus qu’elle ne le laissait paraître. Bien que je n’eus pas obtenu les nouvelles que j’escomptais, je rassurai la jeune dryade comme je le pus. Nuls doutes que la situation de l’Eldöryan du Sud devait être préoccupante, pour que la maorïn d’Alys le mentionne. À cet instant, j’aurais tout donné pour communiquer avec mon amie restée là-bas ou la Seina qui m’avait recueillie.
Je ravalai ce désir avec difficulté. Si je souhaitais les protéger, je devais à tout prix éviter de rentrer en contact avec elles. Pourtant, je ne pus m’empêcher de songer que le danger, elles l’affrontaient peut-être déjà.
Lorsque Lay regagna notre appartement, quelle ne fut pas sa joie lorsqu’il me vit debout pour l’accueillir. Il me gratifia d’une accolade affectueuse. Le soulagement se disputait à l’appréhension dans ses pupilles d’orage. Etait-il temps pour nous de tirer notre révérence ? Une telle décision se révélait bien plus difficile à prendre que je ne le pensais.
Chaque fois que je songeais à quitter l’Académie, mon cœur se serrait. Allais-je un jour trouver un nouveau foyer ? Je souris doucement et pressai son épaule avec affection.
— Doucement, je suis loin de pouvoir rivaliser à la course avec toi, plaisantai-je.
Son visage se dérida et les coins de ses lèvres s’étirèrent à leur tour. Le départ n’était pas prévu pour le lendemain et il en était ravi. Soudain, une ride soucieuse vint barrer son front tandis qu’il extirpait d’une poche intérieure une curieuse missive. Le papier épais et jauni était orné d’arabesque d’argent à chaque coin. Je la retournai. Une flamme tracée à la plume représentait l’expéditeur.
J’eus un haut le cœur. Cet écusson appartenait aux Sheioff. J’ouvris fébrilement l’enveloppe et en tirai une lettre où quelques mots avaient été tracés soigneusement à la plume. Ce n’était pas l’écriture de mon père.
« Chère Atalaya,
Je souhaite m’entretenir au plus vite avec vous. Je porte un message de la plus haute importance.
Je me trouverai à l’Académie le quatrième jour de la semaine au matin.
Salutation »
Je levai les yeux du feuillet, les lèvres pincées. Cet illustre inconnu ne prenait même pas la peine de se présenter. Comme c’était étonnant.
— Ça vient d’Othien ? s’enquit prudemment Lay
Je secouai la tête en signe de dénégation.
— Ce n’est pas dit. Quoiqu’il en soit, j’ignorais qu’il savait où me trouver, observai-je, amère.
Je fixai l’écriture soignée et mesurée sans la voir. Etait-ce en rapport avec les incendies à Othien ? Un frisson de peur tenailla mes entrailles. Ce n’était pas pour les Sheioff que j’angoissais, mais pour la sylve. Même si son clan m’avait rejetée, Othien avait pris soin de moi, à sa manière. Elle avait couvert mes venues chaque fois que j’avais tenté de revoir mon père. Je le savais. Pour elle, je n’avais jamais cessé d’être sa fille, même si mon lien avec Tirawan dépassait l’entendement. Et aujourd’hui, elle brûlait.
— As-tu remarqué quoi que ce soit d’anormal, ce matin ? insistai-je, tendue
L’adolescent haussa les épaules.
— Absolument pas, la routine habituelle. On a été aux écuries avec Niall, puis on a retrouvé Alys et Diame avant d’aller en cours.
Je froissai le papier et le jetai brusquement à la poubelle.
— J’ai des raisons de m’inquiéter ?
Je posai un regard grave sur mon protégé.
— Je l’ignore.
Il soupira profondément, soudain las. Nous partageâmes notre repas dans un silence pesant. Penser à mon père me remplissait d’un sentiment étrange. De la colère, certes, mais aussi un certain malaise. Je sentais mes barrières mentales sur le point de s’effondrer et tous mes souvenirs d’enfance menacer de me submerger. Lay retourna en cours après m’avoir gratifiée d’une accolade plus longue qu’à l’accoutumée.
Par habitude, je jetai un coup d’œil au miroir qui ornait un des murs de ma chambre. Les manches en gaze de ma robe dissimulaient assez bien ma peau trop lisse, trop brillante, toute neuve. Néanmoins, le bandage qui me ceinturait toujours la poitrine, là où le poinçon d’air comprimé était ressorti, dépassait du col sur le haut de ma clavicule. Tant pis. J’avais suffisamment bonne mine pour inspirer de la crainte si ce messager venait m’intimider.
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