Chapitre 15 Prends soin de toi
Une douce sensation d’hébétude m’envahissait à chaque fois que ma conscience affleurait la surface. Une coque protectrice semblait me protéger de l’extérieur et optimisait le processus de guérison. Ma magie me plongeait par phase intermittente dans une sorte de coma où je percevais mon entourage de façon toute relative.
La première douleur qui s’amenuisât fut celle à ma poitrine et la gêne respiratoire qui en découlait. Celle qui recouvrait tout l’arrière de mon corps, en revanche, persistait. La première fois que je me réveillai réellement, j’étais dans mon lit, à l’Académie. Quelqu’un me tamponnait le front avec un linge humide. Je voyais flou et l’effort fut si intense que je perdis conscience quelque minutes plus tard.
Plus tard, j’ouvris les yeux à nouveau. Cette fois-ci, les contours se précisèrent et je distinguai nettement mon environnement. Je percevais les sons, également. Mes bras et mes jambes me démangeaient et la fine peau cicatricielle qui recouvrait mon dos me tiraillait.
Une silhouette fine à la peau pâle achevait de bander mon bras gauche. Ses cheveux vert pâle cascadaient sur ses épaules découvertes. Une vive lumière baignait la chambre et il faisait bon. Je sentais l’air frais et doux d’une belle journée de printemps caresser mon visage.
Plus aucun étau ne comprimait ma tête, je me sentais reposée, bien qu’affaiblie. Je voulus manifester ma présence, mais seul un gémissement franchit la barrière de mes lèvres. Aussitôt, la première silhouette se rapprocha, le sourie aux lèvres. Elle héla une seconde guérisseuse qui la rejoignit avec hâte.
— Diame, elle se réveille !
— Atalaya ! Vous êtes avec nous, c’est merveilleux ! s’écria une jeune fille à la chevelure flamboyante
— Fais prévenir Dame Ochoro, je m’occupe d’elle, intima la première.
Diame hocha la tête et disparut de mon champ de vision. Je réalisai qu’il ne s’agissait pas de guérisseuses, mais des deux dryades appartenant à mes classes. Alys, celle à la chevelure de jade, me redressa doucement à l’aide de moelleux coussins qu’elle disposa dans mon dos. Puis, elle m’apporta à un verre d’eau délicieusement fraiche.
— Ne vous inquiétez pas, me rassura-t-elle avec sollicitude, votre gorge est sèche car vous dormez depuis plusieurs jours. Vous parlerez normalement d’ici quelques heures.
J’acquiesçai lentement et souris afin de manifester ma reconnaissance. La jeune dryade me le rendit avec ravissement.
— Il n’y a pas de quoi. C’est Lay qui nous a demandé de nous occuper de vous, sîn Diaslîn. J’ai convaincu Diame de me prêter main forte, car j’avais entendu parler de vous. J’habitais dans le Seinar gouverné par la Seina Reïsha.
J’écarquillai les yeux, surprise par une telle coïncidence. Ainsi, ces deux-là devaient savoir qui j’étais depuis le début. Il faudrait que je les remercie d’avoir gardé mon secret.
— Puisque vous ne pouvez pas me poser de question et qu’il va bientôt être l’heure pour moi de me rendre en cours, voici ce que vous devez savoir, poursuivit sereinement Alys. Votre magie fait des miracles, vous devez dès à présent pouvoir respirer normalement malgré le poumon perforé lors de votre mission.
Afin de confirmer ses paroles, je pris une profonde inspiration sans aucune douleur.
— Cela dit, vos brûlures mettront encore quelques jours à guérir. Nous avons changé vos pansements matin et soir avec Diame. Nous continuerons tant que nous l’estimons nécessaire. Je vais faire prévenir Ochoro que vous ne devez pas sortir de votre chambre votre chambre au moins avant trois jours, le tissu cicatriciel pourrait se déchirer. Considérez cet ordre comme venant de Myra, acheva Alys avec un sourire taquin.
Je reconnaissais bien là l’autorité de la Caelyn qui m’avait tant aidé il y a cinq ans. Alys devait certainement la connaitre. J’acquiesçai de nouveau.
— Bien, alors je vais vous laisser. J’entends Diame revenir, certainement avec Dame Ochoro. Lay a déjà entamé ses cours, il viendra certainement à l’heure de midi. Nous le préviendrons de vôtre réveil.
La dryade m’approcha une desserte roulante garnie d’encas et de jus de fruit, puis elle ramassa ses affaires.
— Une dernière chose, vous devriez éviter de vous lever sans nous. Il vaudrait mieux y aller doucement. Vous vous êtes épuisée, en terme de magie j’entends, votre corps va mettre du temps à s’en remettre.
Elle disparut ensuite dans le salon. J’entendis des éclats de voix. Ochoro venait d’arriver sans aucun doute. J’en profitai pour saisir un verre de jus de pomme pré-servi et me désaltérai avec soulagement. Comme l’avait promis Alys, je sentais ma gorge se réhydrater rapidement. Je me raclai la gorge et prononçai quelques mots, ravie de retrouver l’usage de la parole.
Ochoro débarqua en trombe dans la pièce. Elle se jeta sur le lit, me prit la main avec une douceur déconcertante, les yeux brillant de larmes.
— Oh, Atalaya ! J’ai eu si peur !
Elle m’enlaça avec tendresse, sans appuyer plus que nécessaire sur ma peau encore fragile.
— Je suis heureuse de te revoir aussi, Ochoro.
Nous profitâmes de l’instant, puis elle s’écarta tandis que je me servais à manger. Mon ventre criait famine.
— Ne fais pas prévenir Caleb tout de suite, je te prie, la devançai-je. J’ai à te parler, avant.
Elle acquiesça aussitôt, trop soulagée pour protester.
— Mais avant tout, est-ce que tout va bien ici ?
— Oh, mis à part l’affolement entrainé par votre mission, tout va pour le mieux, ricana la jeune femme. Caleb est fou de rage de s’être fait berné ainsi par le Draas et Clay est contrarié de la tournure prise par les choses. Enfin, Fabian n’a rien fait pour arranger les choses, non plus.
— Ou est-il, d’ailleurs ?
Elle me jeta un regard de biais.
— C’est là où est le problème. Il s’est volatilisé. Il t’a ramenée inconsciente, a raconté un tas de choses invraisemblables à Caleb et il s’est fait la malle dans la nuit. Un charmant garçon, en effet !
L’amertume contenue dans sa voix m’arracha presque un éclat de rire. Il ne perdait rien pour attendre, celui-là. J’aurais bien eu besoin de quelques éclaircissements.
— Comment m’a-t-il trouvé ? m’enquis-je, presque pour moi-même
— Ça, il faudra que tu en touches mots à Lay. Visiblement ton cher coéquipier se serait montré plus bavard avec lui, mais ton protégé non plus ne daigne pas cracher le morceau. Enfin, tu es réveillée, alors tu vas pouvoir nous éclairer, toi aussi.
Ses prunelles brillaient d’une lueur d’espoir.
— Je crois qu’il vaut mieux que je te raconte tout depuis le début.
Je lui relatai tout le déroulé des évènements, y compris mon allié providentiel à Resh et l’intervention providentiel du mage de Feu au visage inconnu. Ochoro en perdit des couleurs, mais je notais surtout une profonde lassitude dans son regard fatigué.
— Nous savions que vous aviez été la cible d’un groupe de mercenaires dissident, m’apprit-elle. Néanmoins…
— C’est beaucoup plus grave, Ochoro, la coupai-je gravement. Pour moi, en tout cas. Leander a mandaté Iman Wati pour me capturer morte ou vive, et ce dernier a requis l’aide du Draasni pour me mettre la main dessus. Ajouté à cela, il a organisé une véritable chasse à l’homme en appelant tous ses agents dormants, hommes comme mages de l’Air à se lancer à ma poursuite. Ceux que j’ai éliminés à quelques milles de Ports Bahiri avaient été mis au courant sur simple missive !
Un silence pesant s’ensuivit. Pourtant, le pire ne résidait pas sur l’étendue de la mainmise de Leander sur Vëonar.
— Leander a le bras long, c’est à n’en pas douter, mais il ne peut se cacher loin, murmura mon amie, en plein doutes.
— Il a fait plus que cela, je le crains, soupirai-je, atterrée. Ce que Fabian n’a pu vous dire, c’est ce que j’ai découvert à l’exploitation et que tu viens d’entendre.
— N’aurais-tu pas dû en parler d’abord à Caleb ?
— Non, je veux d’abord être honnête avec toi, car Caleb doit ignorer mon identité.
Elle acquiesça à regret.
— Dans quel but empoisonner quelques villages excentrés de Cordélie ? maugréa la jeune femme. Ça n’a aucun sens ! Leander a signé un contrat qui exigeait un commerce exclusif entre le commerçant de Maëel et son exploitation. Cela restreignait son champ d’action, c’est parfaitement illogique !
Je souris amèrement.
— Non, il ne cherchait simplement qu’à brouiller les pistes. Faire ingérer la toxine aux poissons pour empoisonner les consommateurs ne représentait que la première phase de son plan. Toute l’exploitation n’a pas brûlée, Ochoro. Des dizaines de milliers de fleurs ont été récoltées avant mon arrivée.
La compréhension éclaira brutalement ses prunelles chocolat.
— Tu les soupçonnes d’avoir trouvé le moyen de mettre ce poison en bouteille ? N’est-ce pas ?
Je hochai sombrement la tête.
— D’où vient-elle, cette fleur, Atalaya ?
— Je l’ignore, je regrette. Je peux cependant affirmer qu’elle ne provient pas de Tirawan, ni d’Othien, ni de Vëonar, ni de l’Eldöryan. Je mettrais ma main à couper qu’elle ne pousse pas non plus à Faiz, mais mieux vaudrait prendre l’avis d’un mineur.
— Mais d’où, alors ?
Je secouai la tête, soudain lasse. Cette machination nous prenait tous de court, surtout le Directeur de l’Académie et Caleb. Ce qui en était certainement le but. Le silence s’étira quelques instants, pesant.
— Tu es donc démasquée ? demanda soudain la jeune femme
— Pas vraiment, répondis-je. C’est peut-être la seule véritable bonne nouvelle de tout ce cirque. Je suis parvenue à conserver ma couverture, en cela que je n’ai pas utilisé de magie de la Terre, ni du Feu. Ceux qui l’ont vu à l’œuvre ne sont plus de ce monde. Les fuyards de l’exploitation ne pourront rapporter aucune preuve probante de mon identité.
Elle soupira de soulagement et me pressa affectueusement la main.
— La majorité clamera sans doute m’avoir vu utiliser un talisman pour renforcer ma magie, ajoutai-je en soulevant légèrement la chaine autour de mon cou sertie du pendentif où une pierre bleutée reflétait la lumière du jour.
— Leander ignore l’existence de cette pierre ?
— À ma connaissance, oui. C’était un secret bien gardé de ma mère. Elle seule m’a appris à l’utiliser, je n’aurais pas été surprise d’apprendre que même ma tante n’avait été mise au courant.
Je replaçai la chaine sous ma chemise de coton. Ce que je ne dis pas à Ochoro, c’est que sans la présence de Dumë, il m’eut été difficile d’utiliser au maximum le pouvoir de ce pendentif.
Je m’assurai ensuite que la fleur cueillie à l’exploitation fut mise en terre et entretenue avec soin. Elle représentait notre seul lien avec l’empoisonnement en Cordélie et notre dernière chance de trouver un remède. Elle m’apprit qu’afin de limiter le risque qu’elle ne fane, un appel avait été diffusé dans tout Vëonar. Il invitait tout mage de la Terre à se rendre à l’Académie afin de participer aux recherches visant à élaborer un antidote.
— Vous devriez demander l’aide d’Alys et de Diame, conseillai-je. Ce sont des dryades, après tout. Il n’y a pas meilleures guérisseuses.
— Je suis sûre que Clay appréciera de mêler des enfants aux affaires de notre pays, assura ironiquement mon amie.
Je lui jetai un regard oblique.
— Il n’a pas hésité à me sacrifier moi en me rappelant que la vie de personnes était en jeu. Si elles sont si importantes, je ne vois pas quelles objections il pourrait émettre.
Je ne cherchais pas à dissimuler mon ressentiment, mais le regard peiné qu’elle me rendît ne m’émut guère. J’avais failli mourir pour ces inconnus, ma suggestion me paraissait parfaitement justifiée.
Nous discutâmes encore pendant quelques minutes, puis Ochoro dû retrouver ses obligations. J’achevai de me restaurer et plongeai ensuite avec délice dans un sommeil bien mérité. J’émergeai juste à temps pour entendre la porte de l’appartement se fermer. Un instant plus tard, mon protégé pénétra dans ma chambre, un grand sourire aux lèvres. Il m’étreignit avec tant d’empressement que mon cœur se serra.
— Tu m’as tellement manquée, murmura-t-il dans mon cou.
Je resserrai mon étreinte.
— Toi aussi, assurai-je, la gorge nouée.
Je ne sus combien de temps s’écoula, avant qu’il ne s’écarte doucement.
— Merci pour tout.
Il acquiesça, attendit quelques secondes afin d’évacuer l’émotion qui lui nouait la gorge, puis inspira profondément.
— Tu sais que je devrais t’en vouloir, hein ?
Je déglutis péniblement, mal à l’aise.
— Si tu me disais ce que tu caches à Ochoro et Caleb, hein ? répliquai-je sur un ton faussement taquin
— Pourquoi tu n’as pas utilisé la Terre ? insista l’adolescent
Je sentais qu’il luttait contre l’envie d’être en colère, mais son soulagement l’emportait pour le moment.
— Je ne pouvais pas. C’était le seul moyen de conserver ma couverture. Et le Feu…, je détournai le regard. Tu sais bien pourquoi.
Il soupira bruyamment, contrarié.
— Tant que ton mensonge est debout, c’est moi qui suis protégé. C’est ça ? Si t’es découverte, alors je serais exposé.
— Je sais que ce n’est pas facile à comprendre, assurai-je en lui prenant la main, mais j’ai juré de te protéger. C’était le mieux que je puisse faire en étant loin de toi.
— Tu as eu de la chance que Fabian ait vu le feu, il t’a trouvée à temps, maugréa le gamin.
Je cillai.
— C’est donc lui qui m’a trouvée. Encore heureux qu’il ait vu l’incendie, il était censé couvrir mes arrières.
Il ricana, amusé. Puis, il me dévisagea intensément. Je pouvais deviner aisément sa prochaine question. Nous connaissions tous deux l’enjeu de cette mission.
— Ça devient trop dangereux ici, hein ? devina Lay.
J’acquiesçai en soupirant.
— C’est dommage, je m’étais fait des amis, regretta l’adolescent.
Je l’attirai vers moi, l’estomac noué. Je luttai pour refouler mes larmes. Je devais être forte pour lui.
— J’ai un ami à Faiz qui nous accueillera comme si nous étions chez nous, promis-je.
— Quand… ? balbutia-t-il
— Je ne sais pas, il faut… Il faut que je réfléchisse.
Et que je trouve la force d’en parler à Ochoro.
— Ouais, d’abord tu dois te rétablir, se reprit Lay. Alys t’as donné trois jours, elle m’a dit. Tu leur dois une fière chandelle, à elle et à Diame !
— Je sais, ris-je en ébouriffant ses mèches ébène. Je les remercierai.
Quelqu’un frappa deux coups à la porte de l’appartement. Lay se leva aussitôt et ouvrit au domestique qui apportait le repas. Il laissa sa desserte et repartit avec celui qui contenait les restes de mon petit-déjeuner. L’adolescent s’installa sur une chaise à côté de mon lit et se mit à manger tout en me racontant ce que j’avais loupé pendant mon absence.
Il me raconta le retour de Neela, Alban et Edwyn, les trois professeurs s’étant rendus à la fête de l’Aurore, et leur gueule de bois à leur arrivée. Il m’apprit comment il s’était lié d’amitié avec Alys et Diame, alors que Niall rendait visite à sa famille à la frontière de Faiz. Nous rîmes ensemble et plaisantâmes pendant l’heure qui suivit.
Comme c’était bon de retrouver l’Académie et sa routine rassurante. Je compris alors combien il allait m’en coûter de quitter ce foyer.
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