Chapitre 14-2 Il ne te décevra pas
Le docteur avait déserté le chevet de son patient. Je m’appropriai donc la chaise qu’il avait déplacé près du lit. Je n’eus pas à patienter longtemps avant que l’homme n’émerge. Le médecin avait vu juste. Le pauvre homme serait bientôt sur pied avec le repos nécessaire.
Il ouvrit d’abord un œil, puis tenta de se redresser, mais ses côtes cassées le rappelèrent à l’ordre. Je vis ses pupilles s’écarquiller à mesure que les récents évènements remontaient à la surface. Enfin, il m’aperçut.
— Qui êtes-vous ? grogna-t-il
— Une connaissance d’Atalaya. Pour vous, un allié providentiel.
Il haussa un sourcil circonspect.
— Graham, est-ce exact ?
— C’est bien mon nom.
Un sourire amusé étira mes lèvres tandis qu’il testait les limites de son corps grâce à divers mouvements peu gracieux. Nuls doutes que sa faiblesse le remplissait de frustration.
— Où sommes-nous ?
— Chez les parents de l’amie de votre fils, Caroline.
— Brett est ici ? s’exclama l’aubergiste
J’acquiesçai.
— Pourquoi nous avez-vous aidé ? s’enquit-il de plus belle
— Voici justement le sujet que je souhaitais aborder avant de prévenir vos amis que vous avez repris connaissance. Je suis un ami, un client fidèle, ce que vous voulez. Je suis arrivé à temps pour vous tirer d’un mauvais pas et je vais vous aider à reconstruire votre taverne.
Il grimaça et serra les poings.
— Tout a brûlé ?
— Atalaya vous a laissé quelques présents. Ils sont avec Brett. Il croit que vous aurez de quoi rebondir rapidement.
Graham soupira, profondément, puis inspira.
— Et elle ? Comment va-t-elle ?
— Aussi bien qu’une fugitive puisse l’être.
L’homme blêmit aussitôt, affolé.
— Il l’a retrouvé ? Comment est-ce possible ?
— Qui ça, "il" ? tiquai-je
Le visage de Graham se ferma aussitôt.
— Si elle ne vous a rien dit, je n’en ferais rien. Mais il ne doit pas la retrouver, elle ne mérite pas ça.
Perplexe, j’acquiesçai machinalement, conscient d’avoir obtenu une information essentielle bien malgré moi. Je pris congé du convalescent, troublé.
Quelques jours s’écoulèrent, au cours desquels Brett et son père planifièrent la reconstruction de leur auberge. Ils établirent des plans, listèrent les matériaux autres que le bois dont ils auraient besoins. Puis, vint la question de la culture des lys azurés. Graham proposa à Fidel un partenariat. Le fleuriste se chargerait de la culture et de la vente des lys, tandis que Graham les exposeraient dans son auberge comme symbole plébiscitant le commerce de ses voisins.
Je rongeai mon frein de mon côté, pressé de faire autre chose que de me tourner les pouces tandis que mon clan luttait pour sa survie à des centaines de kilomètres de là. Je ne pouvais nier que la sécurité d’Atalaya me préoccupait également. Quand enfin, Graham fut autorisé à reprendre ses activités, des dizaines de sculpture de bois parsemaient les moindres recoins de la chambre dans laquelle je logeais toujours.
Brett vint me chercher un matin, le pochon d’Atalaya accroché à sa ceinture. L’adolescent revivait. Il arborait un grand sourire doublé d’un regard pétillant d’énergie.
— On commence les travaux à l’auberge aujourd’hui. Tu veux toujours nous aider ?
— Tout plutôt que de rester cloitré entre ces murs un jour de plus.
Nous échangeâmes une bourrade amicale, avant de descendre au rez-de-chaussée. Graham nouait un sac garni de divers objets utiles à la reconstruction. Fidel nous proposa son aide. Il laissait la boutique à sa femme et Caroline. L’auberge se trouvait seulement de l’autre côté de la place aux Lys, mais la traverser relevait du défi. Une foule de curieux et de riverains foulaient les trottoirs, se pressaient autour de notre groupe hétéroclite. Des commérages à l’inquiétude sincère, Graham dut user de toute sa patience pour nous libérer un espace de travail – et personnel- suffisant.
Ce qui reste de la taverne se résumait en quelques mots, des cendres, du bois branlant et des restes calcinés. La première chose à faire était de mettre à terre ce qui restait de la bâtisse. Graham et Brett préféraient repartir de zéro. Fidel, Graham et moi nous attelâmes à cette tâche, hache en main. Une fois les derniers tronçons calcinés abattus, je les assemblais à l’écart des bâtiments et y mis le feu. Graham se tourna vers son fils.
— À toi de jouer, mon grand. Notre salut dépend de toi, désormais.
— Fais lui confiance, papa, riposta le garçon avec un sourire taquin.
Il saisit son pochon et s’avança au centre de l’ancienne salle à manger. Puis, il y plongea la main et parsema le sol de terreau, qu’il émiettait méthodiquement sur le sol. Enfin, il nous rejoignit, ferma les yeux, et souffla sur les quelques particules. Le silence plana quelques instants tandis qu’il ramassait le plan et se concentrait. Graham retenait son souffle.
Soudain, le sol trembla sous nos pieds. Les passants s’immobilisèrent, affolés. Quelques secondes plus tard, de grosses racines brunes remplacèrent le terreau et s’élancèrent dans les airs. Les tronçons s’élargirent, s’aplatirent, s’étirèrent à une vitesse fulgurante. Sous nos yeux effarés, un sol en bois bruns surgit de terre, des colonnes en bois massifs soutenant le premier étage. Les racines recouvrirent le toit, puis la façade de l’auberge. Le charme était indéniable, rustique et naturel. Ne manquaient que les tuiles pour recouvrir le toit, ainsi que le mobilier.
Par curiosité, je m’avançai et posai ma paume contre l’écorce nue. Je sentais comme une douce pulsation. Un cœur qui battait. Une douce chaleur se diffusa lentement sur ma peau. Le bois sentait le citron, ainsi qu’autre chose. Une senteur plus exotique.
Un sourire en coin étira mes lèvres. Ce qui était dingue, c’est que cette odeur me rappelait étrangement la jeune femme qui m’avait confié ce présent. Je rejoignis les autres tout en cogitant. Ils avaient franchi la porte d’entrée. Un immense travail s’annonçait tout de même. Graham et Brett n’avaient rien laissé au hasard.
Pendant trois jours, je taillais le bois, agençais les tuiles sur le toit, balayais le sol et installai du mobilier. Les commandes passées par Graham nous parvenaient en carrioles qu’il fallait décharger tous les matins. Brett planta deux graines de lys azurés de chaque côté de la porte.
— Ils recouvriront l’encadrement d’ici quelques semaines, promit-il.
Au troisième coucher de soleil, la taverne pouvait enfin ouvrir. Toutefois, exténué par son dur travail et tout juste remis de son passage à tabac, Graham préféra patienter jusqu’au lendemain pour inaugurer sa nouvelle auberge. Cela marquait également mon départ. Ma tâche ici était accomplie.
— Merci pour tout, sincèrement, m’assena l’aubergiste avec une ferme poignée de main. Nous te devons beaucoup.
— À Atalaya, surtout, nuançai-je. C’est à elle que je dois ce détour.
— Alors, prends soin d’elle, gamin. Elle mérite le meilleur.
Je n’étais plus un « gamin » depuis longtemps, mais je ne relevai pas le diminutif dégradant. L’homme ne pensait pas à mal. Brett était ému, lui aussi, mais bien plus inquiet pour la jeune femme qui venait de leur sauver la vie. Décidément, elle était plus qu’appréciée.
Je repris la route dès le lendemain au matin. Je ne m’étais que trop attardé ici. Je chevauchai à une allure soutenue. Ma destination, l’Académie. Plus je descendis vers le sud, plus le climat s’adoucit. Les champs de lavande se profilaient à l’horizon, des champs de blés aussi. Le soleil se couchait lorsque j’atteignis un petit bourg à quelques kilomètres seulement de l’Académie. Les contours du fort se découpaient sur le crépuscule.
Je logerai cette nuit dans une auberge bon marché et me rendrait demain à l’institution. Je déposai une brève missive au bureau postal avant la deuxième levée. Il me tardait de mettre fin à ce voyage plein de faux semblant. Tout cela ressemblait fort à une mise en scène de mauvais gout. Tant de temps perdus alors que de mystérieux adversaires nous poursuivaient toujours. À quoi jouait donc Johnatan ? Je rangeais le couteau dans une poche, avec l’esquisse d’une flamme en bois.
Lorsque les portes de l’Académie se dressèrent devant moi, je me retins de siffler. Une gravure recouverte de feuilles d’or ornait à part égales chaque battant. Un cheval entouré de sept soleils. Je devais reconnaitre que l’architecture elle-même valait le détour. Derrière les murailles, se dissimulait un véritable bijou. Le fort constitué de plusieurs ailes s’élevait au-dessus d’une vaste cour encadrée de colonnes de marbre sculpté. L’espace grouillait de vie, si bien que j’ignorai complètement où je pourrais dénicher le moindre renseignement.
Je pénétrai au hasard dans le bâtiment d’en face, après avoir confié ma monture à un garçon d’écurie. Je me retrouvais dans un large corridor plus peuplé d’enfant que d’adultes. Sans doute l’enceinte de ladite académie. Résigné, je hélai une femme de chambre qui me dépassait.
— Connaissez-vous Atalaya ?
Elle ouvrit des yeux ronds en mande et secoua la tête riant.
— Où vous croyez vous ? s’esclaffa-t-elle. L’Académie est vaste, si vous voulez des renseignements, allez au bâtiment administratif !
Elle m’indiqua l’aile la plus à gauche puis disparut dans la foule. Je rebroussai donc chemin, lorsqu’une poigne ferme s’abattit sur mon épaule et m’immobilisa. Une femme de taille moyenne aux cheveux blonds coupés au carré me dévisageait d’un air maussade.
— Que lui voulez-vous ? gronda-t-elle à voix basse.
— C’est d’ordre privé, rétorquai-je, pas le moins du monde impressionné.
— Je ne vous reposerai pas la question. Vous pouvez toujours finir la journée au cachot.
Elle désigna du menton une patrouille de soldat qui tournait à l’angle du couloir.
— Je suis la sous-directrice de l’Académie, ajouta la jeune femme.
— Vous pourriez être la cheffe des Tamar que ça ne changerait rien, rétorquai-je ironiquement.
Elle grimaça, sa poigne faiblit. Elle me relâcha enfin, mais de méfiant, son regard avait viré à une colère sourde.
— Ne parlez pas de choses que vous ignorez, siffla-t-elle. Je suis la plus proche d’Atalaya en ces lieux. Vous ne l’approcherez pas sans mon approbation.
Sa véhémence attira ma curiosité. Visiblement, la comparaison n’était pas à son gout.
— Très bien. C’est une question de vie ou de mort. Cela vous suffit-il ? Le reste est confidentiel.
Elle tergiversa un instant, puis hocha sèchement la tête.
— Un mot de sa part et je vous enferme.
— Vous pourrez toujours essayer, la narguai-je.
— Suivez-moi. Vous la rencontrerez dans la journée.
Je fronçai les sourcils tout en lui emboîtant le pas.
— Je préfèrerai la rencontrer immédiatement.
— Elle se repose.
Je me plantai au milieu du couloir.
— Qu’est-ce que vous ne…
La sous-directrice leva une main impérieuse, le regard noir.
— Je ne vous demande pas votre avis, vagabond. Estimez-vous heureux de m’avoir convaincue.
Sur ces mots, elle me guida jusqu’à une chambre qu’elle me proposa. Je fus donc condamné à patienter encore plusieurs heures avant qu’un messager ne m’avertisse qu’il me conduisait à l’appartement d’Atalaya. Je rabattis mon capuchon. Je désirai avertir un espion de la venue d’un Sheioff en ces lieux. Des tentures tapissaient les murs, chacune soutenue par un croissant de lune sculpté à même la pierre. Sans doute le symbole de l’Académie. Je l’avais déjà repéré incrusté au-dessus de l’aile centrale.
Le domestique m’introduit dans un dédale de couloir. Nous traversâmes une ou deux ailes, devinai-je. Il s’immobilisa finalement derrière une porte. Il frappa deux coups. Puis, il m’introduisit dans un spacieux salon. La jeune femme se tenait droite, devant une grande fenêtre. Mon guide nous laissa. Ses sourcils froncés et ses lèvres pincées démentaient son apparente désinvolture.
Atalaya me dévisagea intensément, après que j’eus dévoilé mon visage. Puis, elle croisa les bras, courroucée. La discussion s’annonçait houleuse. J’ignorais si elle m’avait reconnue, mais pour sa part, elle n’avait guère bonne mine. Un bandage dépassait de son épaule, mais aucun de ses bras n’étaient immobilisés. Elle portait une blessure à la poitrine. J’esquissai un sourire amusé, tandis que la tension s’installait. Je me régalais à l’avance.
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