Chapitre 13-2 Vous êtes tout l'un pour l'autre
Quelques instants plus tard, un souffle d’air souleva les pans de ma cape. Daisyel se tenait à côté de moi, sa sœur auréolée de lumière dans les bras. Son capuchon relevé dévoilait un visage carré au teint d’albâtre. Ses prunelles d’acier étaient posées sur sa sœur. Le courant d’air dégagé par le cocon agitait ses boucles d’ébènes. Il me rappelait vaguement quelqu’un, mais je fus bien incapable de mettre un visage sur mon intuition. Je lui tendis une couverture dont il s’empressa de recouvrir la jeune mage afin de dissimuler le cocon de magie. Puis, il enfourcha son cheval et je fis de même.
— Ne résiste pas, m’intima-t-il d’une voix grave.
Avant que je n’eus pu requérir davantage d’explications, une vibration se répandit dans l’air. Je la devinai nous entourer, seulement visible par un léger scintillement dans l’air. Puis, le mage de l’Air lança les chevaux au galop. L’onde nous suivit, floutant les contours de mon champ de vision.
Je n’aimais pas ça. Dépourvu d’un de mes sens, je ne pouvais me fier qu’à ma magie pour me situer. Nous avancions bien trop rapidement. L’onde accélérait notre progression. À cette vitesse, nous atteindrions l’Académie dans moins d’une journée de route. Sidéré, je laissai le mage de l’Air guider notre route.
Nous chevauchâmes toute la nuit, puis toute la matinée suivante. Je constatai à l’approche de la mi-journée que nos montures se fatiguaient à peine. Daisyel fit une halte au bord d’un torrent peu avant que le soleil eut atteint son zénith. Il raffermit sa prise autour du corps de sa sœur et descendit d’un bond du cheval. Le mouvement brusque lui valut un vertige, il se rattrapa sur Eclipse qui battit nerveusement de la queue.
— Tu devrais te reposer, avertis-je en lui proposant de porter la jeune femme toujours inconsciente.
Il hocha la tête, mais ne bougea pas d’un millimètre. Je remarquai les gouttes de sueur qui inondaient son visage et la grimace qu’il réprimait difficilement. Il était exténué.
— Va t’allonger à l’ombre avec elle, je m’occupe des chevaux.
Je l’aidai à transporter sa sœur, puis à s’installer à l’abri d’un buisson d’aubépine bien touffu. Je lui apportai ensuite de quoi se rafraichir et se restaurer. Je profitai de son absence pour récupérer le contenu de la besace d’Atalaya, que j’avais rangé avec mes affaires.
J’y trouvais une étrange fleur emballée soigneusement dans un mouchoir de soie. Elle avait dû la subtiliser à l’exploitation. Sans doute était-ce ça qui se trouvait dans les champs et qui venait de partir en fumée. Serait-ce l’origine du poison ? Atalaya pensait-elle pouvoir en tirer un antidote ? Elle n’avait visiblement rien trouvé d’autre.
Contrarié, je rangeai la fleur miraculeusement intacte et dissimulai la besace parmi mes bagages. Mieux valait la conserver en lieu sûr. Daisyel était peut-être dans le camp de sa sœur, mais il avait tout de même tenté de massacrer mon clan.
Je méditai sur les informations glanées au cours de cette mission mouvementée tout en amenant les chevaux au torrent. Ils se désaltérèrent une bonne heure avant de s’éloigner pour brouter l’herbe grasse à proximité. Les champs de lavande rutilaient sous le soleil de midi, à l’horizon. Nous étions proches de l’Académie.
Pourtant, je dus ronger mon frein jusqu’en fin d’après-midi, où Daisyel se leva de lui-même et décréta que nous devions poursuivre notre route. J’eus beau tenter d’obtenir des nouvelles sur l’état de santé d’Atalaya, il demeura muet. Soit le pronostic était très mauvais, auquel cas je ne ferais pas de vieux os, soit il n’en savait rien, soit autre chose le préoccupait davantage.
Quoiqu’il en fût, il n’utilisa plus de magie pour raccourcir notre voyage. Le fort de l’Académie fût visible trois heures plus tard, tandis que le jour déclinait. Nous arrivions par une route différente de celle que nous avions empreintée à l’allée. Il arrêta Eclipse à un kilomètre de la forteresse. Je le rejoignis à l’écart de la route pourtant déserte, sourcils froncés.
— Que signifie… ?
— Je ne peux vous accompagner plus loin. Nos routes se séparent ici. Attend moi près des chevaux, je te donnerai mes dernières instructions.
Mécontent par son air supérieur, j’obtempérai tout de même et m’éloignai de quelque pas. Lui, ne bougea pas d’un pouce. Il s’agenouilla, installa sa sœur sur ses genoux et appuya son front contre le sien. Plus par méfiance que par curiosité, je tendis l’oreille et ma magie.
— Atalaya…, si tu savais comme je suis désolé de ne pas te rejoindre. Je ne peux pas… pas encore. Je te promets que je ne t’abandonne pas. Je viendrai à toi, c’est promis.
Il s’interrompit un instant, semblant contenir une intense émotion.
— Tu vas vivre, je te le promets. Je le lui ai promis aussi, tu sais ? Alors laisse-moi veiller sur toi encore un peu, d’accord ? Bientôt, on se retrouvera, ma sœur adorée. Même s’il ne me reste plus beaucoup de temps…
Les derniers mots furent à peine un souffle. Il me sembla apercevoir une unique larme rouler sur sa joue et s’écraser au sol. Une impression bizarre m’étreignit. Que voulait-il dire ? Plus beaucoup de temps avant quoi… ?
Le jeune homme l’embrassa tendrement sur le front. Il la serra contre lui, comme s’il craignait de la perdre. Ou plutôt, comme s’il la retrouvait après tant d’années de séparation. Puis, il se releva, l’air plus déterminé que jamais.
— Ce n’est pas vraiment ta sœur, n’est-ce pas ? lançai-je tandis qu’il revenait vers moi
— Ce sont les yeux ou les cheveux qui te l’ont dit ?
Je souris en coin.
— Ca ne change rien, finit-il par déclarer. Elle est et sera toujours ma sœur.
J’acquiesçai en silence.
— Elle ne t’aime pas beaucoup, poursuivit le jeune homme sur un ton nettement plus taquin.
— Comment peux-tu le savoir ?
— Je la connais et je te vois, c’est amplement suffisant.
Je levai un sourcil sans daigner répondre. Pour qui se prenait-il, le gringalet ?
— En tout cas, elle paraissait bien plus dangereuse de réputation.
Son regard se durcit.
— Ne te méprend pas, espion, elle n’a pas commis qu’une seule erreur hier, mais elle est jeune et brisée. Donne-lui à nouveau une raison de se battre et n’espère pas la vaincre.
— Pourquoi la veulent-ils ?
— Je viens de te le dire, répéta le mage de l’Air, mal à l’aise. Elle est la plus puissante, la seule capable de l’arrêter, si tant est qu’elle en ait l’envie. Le problème, c’est qu’il a une manche d’avance sur elle, il l’a détruit le premier.
Les derniers mots crachés avec une telle hargne me prirent de court. Je voulais bien le croire, mais je commençais à en avoir assez des « ils » et des « lui » approximatifs.
— Tu ne sauras rien d’autre Sheioff, contente toi de la ramener en sécurité. Je vais devoir retirer le cocon alors ne tarde pas. Il vaudrait mieux qu’elle ne soit pas examinée par une guérisseuse, mais par quelqu’un de confiance. Sinon, son identité éclatera au grand jour. Je ne peux l’aider davantage où je risque moi aussi de tomber.
Il glissa la main dans une poche intérieur de sa tunique et en sortit une missive qu’il me tendit.
— Remets-lui ça de ma part. Bonne chance, Fabian.
Il me salua d’un hochement de tête, embrassa une dernière fois sa sœur et disparut dans une chape de brouillard qui se dissipa aussi vite qu’elle était apparue.
Je sanglai la jeune femme aussi fermement que je pu, attachai les chevaux ensembles et repris la route à bride abattue. Je choisis d’allier discrétion et rapidité et m’approchai de l’Académie par les écuries. Par chance, je reconnus un des deux adolescents qui veillaient sur les chevaux dans la prairie, surveillés par deux soldats postés à l’entrée de la structure militaire. Je hélai discrètement le garçon qui me reconnut aussitôt.
— Fabian ? s’exclama-t-il. Mais qu’est-ce que…
Son regard se porta sur les chevaux. Il blêmit aussitôt.
— Va chercher Ochoro et Caleb. Il faut la transporter d’urgence dans sa chambre et récupérer nos bagages. Il faut la soigner.
— Je m’occupe de ça, assura aussitôt le jeune garçon, son sang-froid retrouvé. Tu ne bouges pas d’ici, le général va vous faire entrer.
Comme si j’allais me volatiliser. Une poignée de minutes plus tard, la sous-directrice de l’Académie et le général renvoyèrent les gardes en faction et accoururent à la lisière de la prairie. Le général prit les rênes des chevaux tandis qu’Ochoro m’aida à soulever Atalaya, inconsciente.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’enquit-elle aussitôt
— Une trop grosse utilisation de magie, je pense. Nous avons été attaqué à plusieurs reprises, y compris à l’exploitation. Elle est simplement épuisée.
— Dans ce cas, Lay devrait être capable de s’occuper d’elle, assura le jeune femme, pourtant à peine rassurée.
— Ne vaudrait-il pas mieux qu’une guérisseuse l’examine ? insista le général
— Si elle ne se réveille pas d’ici ce soir, certainement. En attendant, je vais m’assurer qu’elle ne manque de rien.
Elle s’éloigna rapidement en direction de l’Académie, Lay l’attendait à la porte d’accès. Le général m’intima de le suivre d’un regard entendu.
— Je crois que nous avons des choses à se dire, déclara-t-il sombrement.
J’acquiesçai, le visage grave. En effet, l’heure n’était pas au beau fixe pour les Hommes. D’autant que l’état d’Atalaya me préoccupait davantage que je ne voulais l’admettre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top